« Que ceux qui crient « dialogue! dialogue! » aillent faire leur dialogue quelque part si cela les amuse! Nous, au gouvernement, nous savons ce que nous voulons et nous savons comment l’obtenir. Ce n’est en tout cas pas par un quelconque dialogue.
Monseigneur était serein avant de venir au dialogue, sachant bien dans quelles conditions idéales il était appelé pour le présider (ou ne le savait-il pas?), connaissant en tout cas les gens avec qui il aurait affaire ( là il les connaît bien, comme sa propre poche ). Il lui suffisait peut-être d’apparaître devant eux dans ses impressionnants et brillants habits et insignes sacerdotaux, auréolé de sa majesté seigneuriale pour que la magie, pardon, le miracle ( Monseigneur est chrétien!), se produise.
Miracle des leaders de partis politiques qui, ainsi illuminés, éblouis, feraient désormais passer l’intérêt national avant leur propre besoin de justifier leur existence en acceptant ce dialogue qu’ils savaient voué à l’échec, et surtout, miracle de la raison, dont la lumière irrésistible ferait que les représentants du RPT-UNIR comprendraient que dans une République, une famille n’a pas à monopoliser perpétuellement le pouvoir pour la simple raison qu’elle y est parvenue et s’y maintient par la force et par la fraude.
Dirai-je que Monseigneur ignorait cette situation? Non, je ne le dirai pas. Je suis seulement autorisé à dire qu’il était venu serein, sûr du pouvoir d’exorcisme dont il est doué pour chasser par sa seule présence tous les démons qui torturent les politiciens togolais et par voie de ricochet, prolongent la crise togolaise, nous plongent dans les ténèbres de la misère. Je crois aussi que même déçu après l’échec du dialogue, Monseigneur n’a pas perdu sa sérénité. Monseigneur sait que tout va se passer très bien, en toute sérénité comme les autres fois. Serein, il a donc remis solennellement le rapport final au « premier ministre ».
Voilà un nouveau trophée qui vient s’ajouter à ceux déjà remportés, vers la sérénité totale et définitive, par l’homme qui, depuis 2005, après la mort de son père, vole de victoire en victoire ( victoires pas volées, comprenez bien!). Bien sûr que pour y parvenir il s’appuie à chaque étape, pour prendre son élan, sur les épaules des hommes tels que, à tout seigneur tout honneur, Chirac, Obasandjo, Gilchrist Olympio, les généraux togolais. Sans oublier la bénédiction de Monseigneur! Serein « le premier ministre » l’a félicité de sa sérénité, l’a remercié du beau travail abattu, de son sens du sacrifice, du patriotisme, de son abnégation. Vous connaissez la suite du discours de sérénité auquel nous sommes habitués. Qu’est-ce que cela peut faire si certaines brebis galeuses, sur la sérénité desquelles il comptait pourtant (raison de sa sérénité) ont refusé de le signer? Monseigneur s’en lave les mains! Ce n’est pas lui qui… Mais Monseigneur n’est pas seul à être serein. Il y en a d’autres. Sereins, mes seigneurs aussi le sont. Sereins, mes seigneurs professeurs, docteurs, maîtres, magistralement sereins ! Tous doctes, auréolés eux aussi de leurs diplômes.
Sereins mes seigneurs Président d’honneur-Présidents-Nationaux-Secrétaires-Généraux, futurs Sénateurs-Maires-Députés-Conseillers… Sereins, même criant que « l’heure est grave ! ». Ils ont toujours crié, hurlé, gesticulé sans perdre leur sérénité. Sereins à pas de futurs sénateurs. Ils ont toujours été sereins, car rien ni personne ne les dérange, rien ni personne ne les tourmente, ne les inquiète. Ils demeurent mes seigneurs, dans la majesté de leurs titres, de leur position. Sereins dans leurs châteaux, leurs bureaux, dans la rue, à la plage. Dans leurs piscines se prélassant sereinement, dans leurs voitures de luxe. Sereins à la tête de leur parti. Têtes sereines ! Têtes bien-pensantes1 Sereins, auréolés de la légitimité que leur confère leur science politique. Sereins, barrés de leur écharpe de député et confortablement assis dans leurs sièges. Sereins, mes seigneurs, même trompés, tournés en dérision, giflés, terrassés, près d’une trentaine de fois humiliés. Sereins, car ils n’ont de compte à rendre à personne. Quoi ? Leurs militants ? Mais non, ce sont leurs militants qui veulent qu’ils soient sereins, donc c’est au nom de leurs militants qu’ils sont sereins, pour que ceux-ci aient une raison de les admirer, de les adorer, de les suivre partout. Mes seigneurs sont donc sereins en claquant la porte au nez à Monseigneur! Sereins, unis dans cette sérénité-là, au moins, en attendant celle dont ils ont besoin pour s’entredéchirer, pour s’invectiver les uns les autres. Serein, le gouvernement aussi qui a assisté au spectacle du dialogue en « observateur », selon un membre serein et souriant de ce gouvernement serein, observateur donc pas mêlé, pas mouillé et même pas du tout concerné. En quoi voulez-vous que ce dialogue le concerne? Il n’a rien demandé. Il avait déjà dit son mot, en un monologue bien carré. Vous n’avez pas compris ? « Que ceux qui crient « dialogue! dialogue! » aillent faire leur dialogue quelque part si cela les amuse! Nous, au gouvernement, nous savons ce que nous voulons et nous savons comment l’obtenir. Ce n’est en tout cas pas par un quelconque dialogue.
D’ailleurs…En quoi les dialogues précédents ont-ils pu modifier notre position? Dans tous les cas, nous le tenons, le rapport de Monseigneur, notre trophée ! » Sereins, les défenseurs du régime qui interviennent où ils peuvent et où ils veulent, payés ou non pour leurs bons services, avec leurs arguments de sérénité pour insister que tout va bien, que tout ira bien, que tout sera éternellement bien et éternellement serein sur la terre des Gnassingbé. Sereins les marcheurs, ça marche ! Même s’ils pataugent dans la fange, même s’ils s’enfoncent de plus en plus dans un tunnel dont on ne voit pas la fin. Pourquoi et de quoi s’inquiéteraient-ils ? Nous sommes un peuple de gens sereins. Sereins dans nos partis, nos associations, nos collectifs, nos villages, nos clans, nos tribus. Et même serein tout seul, chacun dans son coin. Et nous ne changerons pas. Notre sérénité coule, douce, comme une sérénade bien réglée où chacun joue de son instrument en un concert sans fin, tous, Monseigneur et mes seigneurs les musiciens sereins. Vous dites que notre sérénade, qui nous sérine le même refrain depuis des décennies cache (mal?) nos disharmonies de toutes sortes, à tous les niveaux?Non, c’est faux. C’est simplement notre manière d’être.
Sénouvo Agbota ZINSOU