Un nouveau regroupement de partis d’opposition vient donc d’apparaître dans le paysage politique togolais. L’initiative mérite de retenir l’attention après le sort subi par le CST (Collectif Sauvons le Togo)(2012), la Coalition Arc-en-ciel(2012), le Front Tchoboé (2015), la Coalition des 7 (2005), le CFD (Coalition des forces démocratiques) (octobre 2002) et les différents FOD et COD qui les ont précédés.
La Coalition des 7 avait été créée à la veille des présidentielles de 2005 ; le CST et l’Arc-en-ciel, l’un après l’autre en 2012 en prévision des législatives de 2013 ; les prochaines élections législatives auront lieu en 2018, (sauf évidemment si le régime en décide autrement en fonction de ses stratégies politiques) et on sera alors à 2 ans des présidentielles de 2020.
Il importe qu’au sein de la masse des opposants, tous ceux qui sont préoccupés par la nécessité du changement démocratique, connaissent bien ceux qui parlent en leurs noms, sollicitent parfois leur confiance, agissent si souvent à leur place et les invitent à les soutenir pour leur réaliser « l’alternance » politique.
Le nouveau regroupement est constitué par six partis. Le Parti des Démocrates (Nicodème Habia), le Parti des Togolais (Alberto Olympio), le FDR (Dodji Apevon), l’ADDI (Aimé Gogué), le MCD (Mohamed Tchassona Traoré) et Togo Autrement (Fulbert Sassou Attisso). Probablement pour les raisons que l’on sait, Alberto Olympio est représenté par Nathaniel Olympio lors de la conférence de presse organisée par le groupe le 9 janvier 2017 pour s’annoncer à l’opinion publique.
Nicodème Habia fut un inconditionnel de l’UFC (Union des Forces du Changement), notamment de la personne de Gilchrist Olympio, chef de ce parti. Habia fut un député de l’UFC sous l’autorité de Gilchrist Olympio. Il va quitter son parti d’origine, non pas pour rentrer dans l’ANC créée autour de Jean-Pierre Fabre, mais pour fonder sa propre organisation politique. Pourquoi a-t-il quitté l’UFC ? Et pourquoi n’est-il pas membre de l’ANC ?
Que Habia aille créer son propre parti comme l’a fait Djimon Oré et Gabriel Sassouvi Dosseh Anyron ne pose aucun problème. La pluralité des partis d’opposition n’est pas un mal en soi. C’est l’expression d’une vitalité politique comprimée par ces longues années au cours desquelles le régime en place et son parti unique avaient maintenu le pays sous une lourde chape de plomb.
Alberto Olympio avait surgi en mars 2014 comme le nouveau rédempteur qui va faire un Togo nouveau. Il s’était porté tout de suite candidat pour les présidentielles de 2015. Il avait affiché la certitude de ceux qui ont réussi en affaires, et qui peuvent, croit-on, gagner partout par conséquent. Il était plus que convaincu qu’il allait remporter la victoire sans coup férir, là où les autres partis d’opposition peinent depuis des années à le faire ; et il a mis les moyens pour cela.
Alberto Olympio s’est battu de toutes ses forces pour qu’un audit du fichier électoral soit réalisé, afin que les élections soient transparentes. Il avait donné l’impression de croire en toute sincérité que le régime allait accéder à sa demande. Ayant jusque-là essentiellement vécu à l’étranger, il connaît mal le régime en place, l’essence du problème politique togolais et le microcosme de l’opposition togolaise.
Il sera le premier à officialiser sa candidature et à engager une bruyante campagne électorale, à l’américaine. Il va jeter l’éponge à la veille du scrutin, dépité. Dans les conditions où les élections allaient se tenir, il avait raison : en tant qu’opposant à un régime autocratique, on ne va pas aux urnes quand on sait que ce dernier a monté les élections pour qu’elles soient opaques, afin de rendre possible la manipulation des données au profit de son candidat.
On connaît Dodji Apévon, peut-être moins que le nouveau parti qu’il vient de créer il y a deux mois. Agboyibo ne voulait plus le voir dans le CAR, s’est-il justifié. Un fait est certain : en raison des conditions historiques de leur création, la plupart des partis d’opposition fondés à partir d’avril 1991 ont des problèmes congénitaux d’autant plus insolubles qu’ils étaient créés dans la précipitation.
Comme on va le voir dans la suite, les initiateurs du nouveau regroupement ont déclaré avoir réfléchi et travaillé pendant six mois sans tambours ni trompettes, afin de se connaître mieux entre eux et harmoniser leurs ambitions politiques respectives, tout cela dans le but de garantir la cohésion et la longévité du groupe. Mais le CAR était en pleine crise à l’époque, et Apévon va créer son nouveau parti (FDR) seulement le 26 novembre 2016. Depuis quand est-il devenu membre du nouveau regroupement avec son nouveau parti ?
Aimé Gogué est le premier responsable de l’ADDI (Alliance pour la Démocratie et le Développement Intégral). Il s’était ostensiblement mis du côté des dirigeants de l’UFC en 2009 pour apporter son soutien à la candidature de Gilchrist Olympio. Le chef de l’UFC était alors le premier à présenter sa candidature aux présidentielles de 2010, pour devancer tous ses concurrents.
Aimé Gogué sera l’un des plus proches partenaires de Jean-Pierre Fabre dans le CST dominé par l’ANC. Il a fait campagne dans le cadre de ce collectif lors des législatives de 2013 ; et il a obtenu deux sièges à l’Assemblée pour son parti. La répartition des sièges va provoquer la brouille entre les deux partis, puis un divorce retentissant. Gogué ne fera pas partie de CAP 2015 dirigé par son partenaire d’hier dans le CST, Jean-Pierre Fabre. Il va, au contraire, se rapprocher de la Coalition Arc-en-ciel, le regroupement concurrent créé autour d’Agboyibo au moment où ce même Gogué était encore dans le CST aux côtés de Jean-Pierre Fabre et ses amis.
Aimé Gogué posera sa candidature pour les présidentielles de 2015, alors que les responsables du CAR aux côtés desquels il se trouve désormais vont, dans les faits, boycotter les urnes (sans le déclarer) pour exprimer, à juste titre d’ailleurs, leur colère contre les nouvelles manœuvres dilatoires déployées une fois de plus par le régime pour ne pas faire les réformes constitutionnelles et institutionnelles inscrites dans l’APG depuis 2006.
Mohamed Traoré Tchassona va créer son parti (Mouvement Citoyen pour la Démocratie) en Novembre 2006, un peu sur les cendres du PDR (Zarifou Ayeva). Tchassona fut-il réellement membre du PDR, ou n’en était-il qu’un simple sympathisant ? La réponse importe peu.
En prenant pieds sur leurs partis respectifs, Zarifou Ayeva (PDR) et Edem Kodjo (CPP) finirent par tourner définitivement le dos à l’opposition pour rejoindre, armes et bagages, le régime en 2004 (les 22 engagements). Ils deviendront tous les deux ministres de Faure Gnassingbé en 2005, après toutes les illégalités qui avaient porté ce dernier au pouvoir à travers une parodie d’élection, et la répression sanglante grâce à laquelle il a pu s’y maintenir.
En 2012, Tchassona deviendra membre de la Coalition Arc-en-ciel, ce regroupement monté autour d’Agboyibo pour concurrencer le CST. Il croyait avoir vu dans la coalition concurrente du CST un cadre porteur de ses ambitions politiques. Mais les divergences apparurent bien vite sous le choc des ambitions contradictoires. Il sortira de la Coalition avec fracas, quand Agboyibo y sera désigné comme candidat aux présidentielles en vue (2015), à la suite d’un « vote » semble-t-il. Il se portera alors candidat lui-même à ces présidentielles, que le CAR finira par boycotter dans les faits, pour les raisons mentionnées plus haut.
Fulbert Attisso enfin. Attisso semblait proche du CAR ; a-t-il jamais été membre de ce parti sous l’obédience d’Agboyibo ? Il marquera par la suite de fortes sympathies pour l’UFC, comme le laisse penser ses relations avec Nicodème Habia, alors député de l’UFC.
Attisso avait créé le MCA (Mouvement Citoyen pour l’Alternance) en octobre 2010. L’idée fondatrice de ce mouvement était ceci : « les partis d’opposition avaient échoué à concrétiser les aspirations du peuple ». L’idée n’était pas neuve. Elle était et reste largement répandue dans des milieux de la société dite civile, qui alimentaient alors fortement un sentiment antiparti au sein de l’opposition. Avant son départ pour les Etats-Unis, Adoté Ghandi Akwei, alors président de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) disait déjà que les partis d’opposition doivent « demander pardon au peuple » (sic) et quitter le plancher (2004).
Attisso était dans le sillage de ce courant. « Les instruments de travail des partis politiques sont inefficaces ; le RPT … va se maintenir en 2010 si rien n’est fait, et il est évident que la jeunesse [dont il faisait partie alors]ne peut pas rester les bras croisés », écrit-il dans un document sous la signature www.mo5-togo. Une fraction de l’opposition nourrissait toujours à l’époque des illusions sur la lutte armée comme voie de résolution du problème politique togolais.
Les prises de position du MCA vont conduire Attisso et certains de ses amis en prison, une pratique répressive si largement utilisée avant le 5 octobre 1990 par le régime contre ceux qui, à l’époque, s’efforçaient clandestinement de faire émerger de la masse de la population une résistance organisée pour mettre le pays en mesure de réaliser le changement démocratique.
Fulbert Attisso créera ensuite le « Mouvement des patriotes » (octobre 2015), mouvement sur lequel il prendra pieds pour monter finalement son parti, « Togo Autrement ». Ce parti compte aujourd’hui parmi les six partis membres du groupe.
Le but de cette brève présentation des acteurs du nouveau regroupement n’est pas d’incriminer ceux qui ont pris l’initiative de le créer, ou de leur opposer des critiques malveillantes. Il s’agit de mettre sur la table des faits vérifiables, pour permettre à chacun des citoyens que nous sommes, de se faire sa propre opinion, afin de mieux jouer le rôle qui lui revient dans le processus politique en cours.
A la question de savoir de quels moyens dispose le groupe pour amener le régime à faire les « réformes », Dodji Apévon a répondu : « moi, toi, le peuple » (sic). Il a raison. L’implication massive, mais consciente, de la masse des opposants dans le processus politique est une condition sine qua non pour permettre à la lutte d’opposition d’atteindre son objectif.
Mais il ne suffit pas d’impliquer massivement la population dans le processus politique. Pour conférer plus d’efficacité à la lutte d’opposition en cours et lui garantir plus de chance de succès, il faut créer les conditions requises pour que chaque citoyen décide et agisse en toute conscience et en toute connaissance de cause.
Lomé, le 27 janvier 2017
Pour la CDPA-BT
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