Togo -Tableau pathétique : Bonne ou mauvaise mise en scène [ Par Sénouvo Agbota ZINSOU]

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Le tableau peut être lu à partir de son centre, occupé, bien évidemment, par les deux acteurs principaux : Le Dr. Gnassingbé (comme l’appelle l’auteur de la vidéo qui m’est parvenue) et son malade. Deux hommes en blouse blanche les encadrent. Loin de moi l’idée d’insinuer que ce ne sont pas de véritables membres du personnel médical, ou que même possédant ce statut, ils pourraient jouer d’autres rôles, que par exemple, ils pourraient être des gardes du corps de Gnassingbé, déguisés. Car, par le passé, des décès de patients ont fait suspecter l’existence d’agents en service commandé qui porteraient des blouses blanches pour aller opérer à l’hôpital, c’est-á-dire achever purement et simplement des patients dont le régime souhaiterait ouvertement l’élimination. Suspicion avérée ou pas ? Telle n’est pas l’objet de mon questionnement aujourd’hui. En tout cas, l’image de quelqu’un que la majorité des Togolais et beaucoup d’étrangers qui connaissent le Togo considèrent comme ayant été capable de massacrer des milliers de ses concitoyens, l’image d’un tel homme à côté d’un adolescent blessé, sur son lit d’hôpital, flanqué de deux hommes en blouse ne peut manquer de réveiller dans mon esprit, comme dans l’esprit de beaucoup de gens, ces assassinats (même simplement supposés) de citoyens togolais, commandités par le régime. Si l’on devait trouver une légende à cette image, à part celle si judicieusement inventée par l’auteur de la vidéo, certains, comme moi, ne seraient-ils pas tentés de dire « Il a plus de mille morts sur la conscience et il feint de compatir au sort d’un blessé ». Ou « Quand le brigand endurci se métamorphose en Bon Samaritain » ou encore « Le boucher au chevet d’une de ses victimes ». Gnassingbé est-il bon ou mauvais comédien ? ».
Cependant, mis à part le jeu de l’un des acteurs principaux de la saynète, Gnassingbé, c’est à la mise en scène que je voudrais que nous nous intéressions. Un élément est important : le drapeau ! Ah ! S’il savait que ce drapeau (intelligent ou magique) le trahirait !

En ce moment où des centaines de milliers de citoyens togolais, déployant fièrement les couleurs nationales togolaises, en même temps que des banderoles portant des slogans appelant Gnassingbé à la démission et au retour à l’application de la Constitution de 1992, manifestent donc contre le régime Gnassingbé, sur le territoire national comme à l’étranger, il est peut-être utile de faire savoir à ces derniers et au monde entier, si possible, qu’il y en a aussi qui manifestent en faveur de Gnassingbé, brandissant le même drapeau. Jusque sur leur lit d’hôpital !

Seulement, voilà il faudrait montrer combien de malades, de blessés qui gémissent, agonisent, meurent dans nos hôpitaux, à cause surtout du manque de matériel, de l’état délabré des équipements ou de leur absence totale, d’une mauvaise gestion du personnel, de ses difficiles conditions de travail, de la dilapidation des fonds alloués au fonctionnement de l’établissement par les premiers responsables du Ministère de la Santé, assurés de l’impunité etc., combien de ces malades et de ces blessés seraient heureux de manifester en faveur de Gnassingbé. Il faudrait montrer que cet hôpital, décrit comme presque tous les autres de notre pays comme un mouroir est prêt à célébrer la gloire du régime cinquantenaire des Gnassingbé. Combien de malades et de blessés, apprenant qu’ils allaient recevoir la visite du « chef de l’Etat » , enthousiastes, tout joyeux s’écrieraient spontanément avec un bel élan de civisme : « A la place des soins et des médicaments, procurez-nous vite des drapeaux pour lui manifester notre approbation du « beau geste », notre reconnaissance de la grande œuvre qu’il est en train d’accomplir notamment en matière de santé publique, notre attachement indéfectible comme on aurait dit dans les discours en vogue de l’époque d’animation politique, notre patriotisme sans faille défiant la souffrance, la maladie, la douleur etc.»

Le reste du décor de la chambre, a-t-il quelque importance, notamment les matelas déchirés à côté de celui du garçonnet (on avait dû pourtant, certainement, bien choisir la chambre la plus présentable pour l’image) ? Ce décor montrait bien, certainement, le caractère vétuste et dénudé de l’hôpital. Alors donc que le docteur Gnassingbé s’entretient, ou semble s’entretenir avec le garçonnet, un autre malade est presque entièrement rejeté hors du champ de la lumière. Il n’a pas de drapeau, lui. Moralité de ce coin du tableau transformée en slogan (comme nous les aimons, nos slogans !): si vous voulez venir à l’hôpital et avoir la chance d’être soigné par le docteur Gnassingbé, armez-vous de drapeau !

Laissons de côté les autres éléments de costume et de décor, par exemple la couleur rouge de la culotte du garçonnet malade couché à qui Gnassingbé est allé serrer la main, pour les besoins de la camera. Peut-être, cette couleur du parti qui fait se dresser les cheveux sur la tête des tenants du régime depuis six mois, n’a-t-elle pas été remarquée par le fameux visiteur. Couleur dont le port est devenu un crime de lèse-majesté, qui a valu à certains de nos concitoyens qui ont osé l’arborer, d’être identifiés comme des ennemis du régime et pour ce crime d’être passés rudement à tabac, arrêtés ou enlevés. Peut-être cet adolescent, sans le savoir et sans le vouloir, s’était-il moqué de son visiteur, dudit Dr. Gnassingbé donc. Ce dernier, lui, a, détail non dépourvu de signification, arboré une veste bleue sur une chemisette blanche, couleurs de son parti. Peut-être, quelque esprit malin (que je ne désapprouverais pas, je l’avoue) aurait-il suggéré au malade de se mettre en rouge, exprès, pour provoquer Gnassingbé. Toujours est-il que Gnassingbé s’est penché sur lui et lui a serré la main. Voilà l’essentiel. Pour les besoins de la comédie !

En tout cas, pour revenir à la question soulevée dans notre titre, nous dirons pour conclure, que c’est évident qu’il y a eu un effort de mise en scène dans le genre de celle qui a consisté pour Gnassingbé, « l’homme simple » (M. SIMPLET si vous voulez) à aller acheter son pain au marché de Niamtougou (cf. mon poème satirique Quand le petit saint va chercher son pain, publié le 27 novembre 2017).

Mais que cet effort s’est soldé plutôt par un échec, encore un, après tant d’autres que le système accumule depuis que la panique l’a saisi, à l’idée de perdre le pouvoir, son cher pouvoir, comme dirait Harpagon de sa chère cassette. La comédie est-elle terminée ou va-t-elle encore durer ? Et jusqu’à quand ?

Sénouvo Agbota ZINSOU

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