Togo… personne n’est dupe !

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Que s’imaginaient-ils donc, Monsieur Gogué, et surtout Messieurs Taama et Tchassona ? Espéraient-ils gagner cette élection ?

Le 12 Juin 2012, à l’appel du Collectif Sauvons le Togo (CST), la population togolaise se déversait dans les rues, exigeant des réformes constitutionnelles et institutionnelles impératives pour normaliser la vie politique togolaise. A la surprise paniquée d’un régime convaincu, à tort, que ses manœuvres et sa communication puériles trompaient quiconque, il fallut user et abuser de la force pour tarir Dekon, avant qu’il ne se transforme en une redoutable place Tahrir. C’était il y a 3 ans ; jour pour jour. De la même façon, un certain 05 octobre 1990, la population s’était déversée dans les rues, sonnant le départ de la longue marche des Togolais vers la Démocratie. C’était il y a 25 ans. Ceux qui l’ont connu, savent combien ce départ fut héroïque, ceux qui l’ont connue, savent combien cette marche fut semée de martyrs, ceux qui l’ont connue savent combien elle fut près d’aboutir, et ce qu’il fallut pour qu’elle n’aboutisse pas. Il faut en avoir été éloigné, pour dire les Togolais peureux, pour ne pas les comprendre aujourd’hui. Ce 12 Juin 2015, loin du souvenir même de ces efforts lointains ou proches, il pèse sur le Togo une chape d’abattement ; effet direct de l’absurde farce électorale perpétrée ce 25 avril 2015. Dans notre vie politique, qui pourtant n’en manqua pas, cette élection offre un bouquet d’absurdités aux effets proprement apocalyptiques : de véritables révélations. On peut duper certains de temps en temps, on ne peut duper tout le monde tout le temps ; on peut se duper soi-même plus qu’à son tour, on ne se dupera toujours. Depuis des décennies, à cela en effet se résumait l’histoire du Togo : duperies, faux-semblants, auto-illusionnements : jeux de dupes. Cette ultime élection révèle ce qu’on ne peut plus se cacher : l’Opposition togolaise est en ruine. Morte. Mais, les « pseudo-vainqueurs » ne sont pas moins battus que les « battus ». D’évidence, nous sommes à la fin d’un cycle… Il faut prendre ses responsabilités et offrir aux Togolais un nouvel espoir, un nouvel avenir. Mais il faut d’abord comprendre comment on en est arrivé là ; la logique pour l’opposition d’aller à ce scrutin. Concourir contre un Etat-UNIR monopolisant les moyens publics, identifié à l’Etat, y compris dans les institutions arbitres du processus électoral ; concourir alors qu’il est à ce point sûr de soi, qu’il vous refuse toute concession, aller à des élections en sachant le fichier électoral corrompu ! C’était s’y hasarder dans les pires conditions. C’était courir inconsidérément le risque d’offrir à ce régime ce qu’il cherche comme la pluie dans le désert : un vernis de légitimité. Que sont donc allés faire les quatre candidats de l’opposition dans cette galère. A voir leurs prestations, la désolation qu’ils laissent derrière eux, la chose parait d’autant plus absurde. Que s’imaginaient-ils donc, Monsieur Gogué, et surtout Messieurs Taama et Tchassona ? Espéraient-ils gagner cette élection ? croyaient-ils les Togolais à ce point frivoles ? Voulaient-ils seulement faire un score honorable, faire une expérience personnelle, faire un coup, se faire de la pub. ? Ou, se méprenaient-ils à ce point sur leurs réels poids politiques ? Dans ce cas les voilà édifiés : ce poids est insignifiant, voisin de zéro. Quelle conséquence en tireront-ils ? Chassons d’abord le renard du poulailler ; on verra après pour les poulets morts. Cette règl, prônant l’unité d’action contre le régime, les Togolais l’ont presque érigée en totem. Multiplier les candidatures sans d’autre raison que la lubie personnelle parait ou une profonde méconnaissance des souffrances, besoins, aspirations de ce peuple… ou du profond mépris pour lui. Ce qu’il semble du reste que l’électeur leur a bien rendu.

Stop au populisme

Et le candidat du CAP 2015, Monsieur Jean-Pierre Fabre. Le voilà encore ; fidèle à lui-même, ressortir sa vieille recette usée : essayer de jeter le Peuple dans la rue. De plus en plus vainement. Plus personne n’est dupe. On ne peut toujours parier ainsi le sang des Togolais : envers et contre tous, aller à des élections qu’on sait truquées, en espérant qu’à la proclamation des « résultats », des révoltes populaires vous feront échoir le pouvoir. Et à défaut…, il resterait toujours le statut de chef de fil de l’Opposition !
Il faut en finir avec cet aventurisme politicien. Il ne se soucie guère du bonheur des Togolaises et des Togolais. Il ne s’agit plus que d’avoir un pied sur la scène publique pour… engranger des subsides. Le sort de ce peuple est autrement sacré. On devrait y mettre plus d’oubli de soi, plus de souci de la population et peut-être un peu moins de cynisme.

Les exigences d’accountabilité, de bonne gouvernance, d’alternance, ne concernent pas que le Pouvoir, elles s’imposent aussi à l’Opposition.

Monsieur Fabre, et la plupart de ses lieutenants, ne sont pas nouveaux sur la scène publique. Dès les années 90 déjà, beaucoup étaient dans la roue de M. Gilchrist Olympio. A de nombreux titres, ils sont coresponsables des errements, voltes-faces, zigzags, égarements et échecs de ce dernier. La sympathie populaire transférée sur l’ANC à sa scission d’avec l’UFC, qu’elle semble usurpée aujourd’hui ! Comme jamais il apparait que UFC, ANC : même pipe, même tabac. Mêmes zigzags, mêmes égarements, mêmes voltes-faces, mêmes échecs, même surdité, mêmes absurdités. La flopée d’accords «facilités» par de fieffés potentats, accords violés à peine signés, puériles rodomontades de l’opposition jamais suivis d’effets, pièges électoraux grossièrement tendus, l’opposition trop heureuse d’y sauter, oubliant ses propres gesticulations… Se prêtant inlassablement à ce scénario de dupes, l’opposition n’est pas moins responsable des malheurs où se débattent nos pauvres populations abandonnées. A certains bilans il y a de la grandeur à ne pas à survivre politiquement. L’actualité grouille d’exemples d’hommes politiques démissionnant pour moins que ça. A moins que M. Fabre continue de se croire vraiment président du Togo.

Les leaders et partis boycottistes ; ils ne sont pas moins à blâmer. Appeler inflexiblement au boycott, en sachant que ces appels n’infléchiront pas l’ANC, c’était faire la politique du pire. C’était préférer laisser le pouvoir à l’UNIR, risquer même lui offrir une légitimité inespérée ; tout, mais ne rien céder à l’ANC. Se trompant ainsi d’adversaire, certains en vinrent à traiter l’ANC comme leur pire ennemi, le combattant jusqu’à la CENI, faisant campagne contre lui, au grand désarroi des électeurs. Comble d’aliénation, il s’en trouve pour se réjouir des déboires de l’ANC oubliant qu’en définitive, c’est le peuple togolais qui trinque. Et il trinque depuis quelques temps déjà. En effet, ce divisionnisme suicidaire n’est pas récent. Alimentés par les ambitions personnelles, les guerres d’egos, l’intérêt partisan primant celui des populations, c’est depuis 1993 qu’il n’a cessé de saper la lutte du peuple togolais, maintenant chaque fois leur principal adversaire au pouvoir.

Le coup d’Etat permanent

Et Monsieur Faure Gnassingbé, le voici debout sur les ruines fumantes de son Opposition partisane. Ce n’est pas loin d’être les ruines de son propre pays. Il peut exulter, jubiler : personne n’est dupe. Les résultats compilés, proclamés dans les conditions piteuses qu’on sait et entérinés par cette inénarrable Cour Constitutionnelle ; tout cela lui confère autant de légitimité que Blaise Compaoré avait, avant que déliées par sa fuite lamentable, les langues disent ce qu’il en était vraiment, de sa légitimité. Personne n’est dupe : sera légitime qui le sera jusqu’à la fin…

De fait, les Togolais n’ont toujours pas oublié. Ils n’ont pas oublié comment M. Faure Gnassingbé a fait effraction dans leurs vies et comment il s’y impose depuis. Ils n’ont pas oublié la violence, la terreur, le flot de sang, les centaines de morts, les centaines de blessés, qu’il lui aura fallu. Dix années d’un pouvoir mal acquis ne sauraient effacer ces crimes de masse. Dix années sans repentir, dix années de trompe-couillon, pseudo-justice, fausse-réconciliation, vraie-impunité ne dupent personne. Ce régime n’a pas changé. La violence était et reste son ADN, sa marque de fabrique, son fil-rouge, son pilier : le primat de la Force brutale sur le Droit, sur le Droit des populations désarmées. Hier comme aujourd’hui, sous le père comme sous le fils, ce régime reste fondé sur une omniprésente et sourde menace soutenant un jeu aux règles faites sur mesure pour sa perpétuation, « pile, je gagne ; face, tu perds » : un jeu sans alternance possible ; coup d’Etat permanent.

Bien sûr personne n’est dupe : chacun sait, ou devrait savoir, que sans un réel pouvoir de dire « Non », il n’y a pas de « Oui » qui vaille. Quand sous la menace d’une arme, quelqu’un est réduit à être violé, qui dit son impuissance être du consentement ; qui dit son violeur être un amant ? Un violeur n’est jamais que ce qu’il est : un violeur ; un viol que ce qu’il est : un viol. Il ne faut pas s’y laisser tromper. De bonne ou mauvaise foi, quelques relais d’opinion disent le contraire et tentent d’insinuer dans les têtes que… cette fois-ci, M. Gnassingbé aurait gagné… ou qu’il faudrait prouver le contraire. C’est être léger, et aller vite en besogne. Pour être un vainqueur légitime, il suffirait donc d’être déclaré avoir dans les urnes plus de bulletins que ses adversaires ! Qu’importe le processus par lequel ces bulletins auront atterri dans les urnes ! Qu’importent l’achat des consciences des corps paupérisés ! Qu’importent les disproportions de moyens entre les candidats ! Qu’importe l’imposition à toute force des personnels, techniques, procédures de compilation, validation, proclamation qui arrangent bien ! Qu’importe l’atypique Scrutin-en-un-tour, typique de nos seuls régimes fermés à l’alternance ! Qu’importent les tripatouillages constitutionnels qu’il fallut pour rendre tout cela possible ! Qu’importent les centaines de milliers de Togolais-de-l’étranger opportunément privés du droit de voter ! Peu importeraient donc précisément les manœuvres, les dispositifs expressément conçus et utilisés pour profondément biaiser, verrouiller les scrutins et exclure toute alternance ! Non. On n’est pas obligé de se laisser duper. Au contraire, précisément parce que ces manœuvres et ces dispositifs existent, et tant qu’ils existeront, il ne saurait être question de légitimité pour ce régime.

Le refus de M. Faure Gnassingbé de signer le protocole CEDEAO pour la limitation des mandats présidentiels éclaire son fonctionnement. Ceux qui, en toute bonne foi, se laissent prendre à sa propagande devraient y réfléchir. Il s’agit toujours de tromper son monde, de faire de vagues promesses faisant paraitre bonasse, moderne, bien intentionné. Mais dès qu’il faut prendre des engagements concrets, faire des réformes pouvant réduire tant soit peu l’emprise de sa camarilla sur le pouvoir, il se dérobe, s’y refuse et reste inflexible. Sous la botte d’acier de ce système presque cinquantenaire, notre pays n’a cessé s’enfoncer inexorablement.

L’économie togolaise, dans le rouge dès avant 2005, peine à se relever. L’embellie d’une croissance dite à 5% n’arrive à freiner ni la pauvreté, ni la paupérisation qui se propagent comme un feu de savane. 73% des Togolais vivent sous le seuil de la pauvreté. Dans les zones rurales ce taux atteint 96% : presque tout le monde ! Seuls 4% de la population bénéficie d’une protection sociale, presque personne ! Quant au chômage, il atteint des sommets inqualifiables. Au même moment, des pans entiers de l’économie nationale sont mis en coupes réglées par quelques nouveaux-riches créés de toutes pièces par le régime et formant avec lui une clepto-oligarchie institutionnalisée. Au même moment, entre 2005 et 2011, donc le premier mandat de M. Faure Gnassingbé, 8233 milliards Fcfa sont frauduleusement sorti du Togo ; dont 2235 milliards pour la seule année 2008. Il n’empêche : le 26 avril 2012, comme sortant d’un rêve éveillé, M. Faure Gnassingbé nous avouait qu’une minorité s’était accaparée les richesses du pays. Après 7 ans comme « président de fait », après de nombreuses années comme ministre, 45 ans de règne familial, il commence seulement à découvrir cette réalité, et, bien sûr, il n’y est pour rien ! Dans tous les cas, trois années après cette « révélation », on attend toujours la suite ; sans même parler des suites…

Restaurer l’espoir

Aussi pénible que ce puisse être, il nous faut avoir le courage de reconnaitre que 25 années de lutte ont pu l’être en pure perte. Aussi dur que cela puisse sonner, il faut avouer que ces 25 années ne furent qu’un tragique malentendu. Un malentendu entre des «élites» surtout imbues d’elles-mêmes et un peuple qui ne comptait pas beaucoup. Un malentendu entre des élites occupées à se disputer des positions de prestige, de pouvoir et d’enrichissement, pendant que courageux, confiant, dupe, le peuple était oublié, spolié, instrumentalisé ; perçu non comme une fin-en-soi, mais selon le jour, comme un moyen, un obstacle, une menace : un bétail électoral, des homme-sandwich affamés à affubler de T-shirts électoraux, des périls à contrôler, réprimer, terroriser. Opposition ou Pouvoir, il n’y eut pas l’un pour rattraper l’autre. Il ne s’agit pas de populisme. Il s’agit de ne plus être dupe : de reconnaitre la réalité. Ces 25 ans ne furent pas perdus pour tout le monde : ils ne le furent pas pour les élites, mais pour la population. Le problème n’est pas que ces élites politiques soient des élites, il est qu’elles ne soient imbues que d’elles-mêmes, occupées que de leurs seuls intérêts : qu’elles aient perdu le souci de notre population. Il ne s’agit pas de populisme, il s’agit de souligner que si nous ne sacralisions pas l’égale dignité de tous, et le souci d’égalitarisme social et économique, nous ne sacraliserions jamais l’évidence d’ontologique-égalité qui seule nous immuniserait contre le tribalisme, le racisme, l’idée que certains fils et filles de cette nation, vaudraient plus que d’autres. Si nous n’avons une sainte horreur des inégalités indues, nous continuerons à nous accommoder de l’insoutenable disparité de conditions entre certains de nos compatriotes vivant presqu’à la préhistoire, quand d’autres vivent à la pointe d’un monde à peine imaginable. Chers compatriotes, si nous voulions le nier, et les travaux préparatoires et toutes les éditions du Rapport Mondial de l’ONU sur le Bonheur le rétablirait : la population togolaise est la plus malheureuse de la Terre. Années après années, elle est de plus en plus malheureuse. Pas plus que le pouvoir, l’opposition n’a éprouvé le besoin de s’y intéresser, moins encore d’en faire une priorité. Nos actions ne peuvent plus s’inscrire dans d’abstraites et logiques d’appareils et de « microcosme » ; il faut que jours après jours, elles apportent de concrètes solutions aux maux et besoins de nos populations. De ma peinture du régime, vous savez que, je n’attends aucune solution d’eux. Vous avez compris que pour moi, tant qu’ils dirigeront ce pays il sera vain d’attendre quelque amélioration. Il faudra donc les combattre, les battre et chasser du pouvoir. Mais cela ne saurait signifier une indifférence au sort quotidien de nos populations. Et, parce que j’ai essayé de peindre honnêtement, lucidement la violence au cœur de ce régime, vous savez que ce ne sera ni facile, ni de tout repos. C’est pourquoi, je vous appelle chers compatriotes, non pas à courir au devant de ses balles, mais à continuer de lui résister de toute votre lucidité de leur esprit, de toute la force de votre âme, de tout votre amour pour le Togo. Et, parce que nous ne pouvons pas rester les bras-croisés à attendre qu’un homme providentiel vienne nous délivrer et faire notre bonheur, je nous appelle, à nous rapprocher, à nous associer, à chercher jours après jours ce que nous pouvons faire pour notre pays et les uns pour les autres, mutuellement, solidairement. Je nous appelle reconquérir ainsi notre pleine et égale souveraineté populaire. Parce que, même le voyage le plus long, commence par un premier pas.

Kwasi Néné Kombaté

Président de la Nouvelle Génération Engagée.

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