Togo. Nos étroitesses !

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Lorsque dans une foule on entend le cri d’alerte: attention, on a lancé une pierre! Chacun cherche tout naturellement à couvrir avant tout sa propre tête ». C’est un proverbe kotokoli, je crois, en tout cas togolais et sûrement africain. Évidemment, il est plus aisé pour chaque personne, physiquement limitée, de se protéger elle-même contre un danger que de chercher à protéger une foule. Et je ne serai pas assez fou ou naïf pour demander, sous prétexte d’une nécessité d’éthique sociale, aux hommes de s’occuper des foules avant de s’occuper d’eux-mêmes.

 

Donc charités bien ordonnées“, nos étroitesses commencent par nous-mêmes, oui, nous, tous, qui que nous soyons. La différence est que certains s’y sentent à un moment donné mal à l’aise et que certains s’y plaisent, y persévèrent, justement parce qu’ils s’y plaisent, parce que cela paye. Et comme nous aimons tous ce qui paye, alors, pourquoi ne pas s’y installer et y rester le plus longtemps possible. Et même, transmettre cet état à nos progénitures. À nos proches, si nous n’avons pas de descendants directs.

Il est évident qu’au Togo, comme dans d’autres pays d’ailleurs, l’exemple sur ce plan vient du plus haut. Non seulement qu’on partage les privilèges avec ses proches, mais encore qu’on lègue le pouvoir  à son fils. Il n’y a plus aucune gêne, aucune honte à cela. Le temps viendra même où ceux qui crient au scandale devant ce comportement que les hommes ont en commun avec les animaux, seront considérés comme des imbéciles irréalistes. Le scandale, ce sera eux. Nous trouvons cela légitime et donc nous l’admettons. Dans nos étroitesses nous introduisons, accumulons biens matériels, argent, sans craindre que, ne pouvant plus les contrôler, nous nous abandonnions, qu’ils  dégringolent de partout, nous encombrent, nous étouffent, occupant tout notre espace en sorte qu’il n’y ait plus de place pour des biens de l’esprit ou pour de vrais sentiments. Nous ne redoutons même pas qu’ils  étouffent l’homme en nous. J’ai entendu cette réplique une fois dans un sketch de notre théâtre populaire : « Tu t’enfles et tu crois toi-même que tu as bonne mine »( wo bu be ye le lolo e vɔa ɖe wo le tέ ). Comment nous rendre compte que nous nous enflons? On dit aussi : «Si on peut te louer pour ta croissance, ce n’est pas pour ta bosse». Là aussi, nous confondons croissance et excroissance.

Pour ceux qui se sentent à un moment ou à un autre mal dans leurs étroitesses,  ceux qui refusent de continuer à s’enfler tout en cherchant à se persuader et à persuader leur entourage qu’ils éclatent de santé et ont bonne mine, ceux qui comprennent que l’excroissance est une maladie, une malformation qui n’a rien à voir avec la vraie croissance, une  guérison est peut-être est encore envisageable.

À mon humble avis, il est absolument impossible de prétendre s’occuper des affaires d’une société sans cette sortie hors de ses propres étroitesses.

Étroitesses des ambitions, des calculs de tout genre, des intérêts particuliers,  de l’arrogance stupide, des haines meurtrières, des balafres sur nos tempes, comme on dirait, c’est-à-dire des villages, des ethnies, des   clans auxquels nous nous identifions, lorsque nous y sommes confortablement installés, il ne nous est pas possible de faire autre chose que de regarder  nos nombrils, de nous auto-admirer, de tourner en rond et de nous  mirer. Nos discours sonnent tous faux, surtout ceux sur l’union, la paix, la solidarité, etc. Combien de fois n’avons-nous pas entendu ce genre de discours ?

Toutes, étroitesses d’esprit, de vue, de vision qui font nos stupides certitudes. Que nous nous sentions menacés par quelque chose, une idée, une appréhension, un homme…,   dans ces étroitesses et nous voilà partis en guerre, prêts à verser le sang pour sauver… nos étroitesses. Cela ne me fait pas rire! Le pire, c’est que certains cherchent à appuyer ce discours de l’enflure, de l’excroissance, discours grandiloquent et rébarbatif, sur des livres sacrés. On dirait qu’ils n’ont jamais rencontré dans ces livres sacrés un des passages qui nous apprennent que celui qui veut être le plus grand doit devenir le serviteur de tous. Par exemple dans les évangiles: Mathieu 18: 1-5; Luc 9: 46-48, Marc 9: 32-33; Marc 10, 42-43. Faut-il rappeler ce que chacun sait? Chez nous, pour être le plus grand, il faut commencer par massacrer les plus faibles, par les spolier, les exploiter. Tuer les petits. Affamer encore plus ceux qui ont de la peine à trouver la nourriture de chaque  jour.

Pour servir les autres, il faut sortir de ses étroitesses.

Sinon, il vaut mieux que ces gens demeurent sur leur voie étroite. Et, plus étriqués de jour en jour, qu’ils développent leurs  bosses, augmentent le volume de leur enflure, multiplient leurs excroissances, s’empiffrent, s’engraissent, grossissent, jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, ils  éclatent.  Ou qu’on les fasse éclater.

Bien sûr, j’étais le premier à rire quand dans les années 70,   je mettais dans la bouche d’un de mes personnages, poète fou et militant anti-apartheid : « … Vous entrerez dans la ville et vous écraserez vos dominateurs au milieu de leur confort. Ils s’écrouleront comme leurs maisons très hautes et leur graisse se confondra avec leur fromage, et les éclats de leurs os se mélangeront aux tessons de leurs bouteilles de whisky et de champagne…  ». Je riais parce que je ne suis pas de nature à souhaiter et  à prédire une revanche sanglante de ceux qu’oppriment les esprits étroits et arrogants, ni de nature à prêcher une hécatombe  vengeresse. Je n’y prends pas plaisir. Pas plus que je ne suis prêt à croire aux discours des « messies politiques » sur la réconciliation, la paix, la fraternité, etc. Mais derrière le rire, il faut découvrir le tragique d’une colère qui ne peut qu’exploser, arrivée à la phase finale de sa fermentation. Tout comme derrière le sérieux et la sérénité affichés par les esprits étroits et arrogants qui s’ignorent, il faut découvrir le ridicule des étroitesses de  leurs complets-vestons et même de leurs amples boubous de dentelle, de  leurs châteaux, de leurs voitures de luxe…

Et, surtout, ne croyez pas, comme certains l’avaient cru, ou ont fait semblant de le croire, que c’est exclusivement des racistes de l’apartheid d’hier que je parlais. C’est des esprits étroits d’hier comme d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs qu’il s’agit.

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

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