On sait que les représentants de l’Eglise catholique, de l’Eglise évangélique presbytérienne et de l’Eglise méthodiste avaient pris publiquement position le premier octobre pour exiger que les réformes constitutionnelles et institutionnelles soient faites avant la tenue des élections présidentielles de 2015.
Le problème de l’opposition n’est pas de vouloir reformer des institutions antidémocratiques créées par le régime pour se maintenir. La vraie démarche, c’est d’abolir ces institutions et de les remplacer par des institutions démocratiques à penser et à créer. Mais des institutions démocratiques ne peuvent jamais être créées et fonctionner normalement et durablement, tant que le régime despotique répressif en place depuis plus de 40 ans ne sera pas lui-même préalablement aboli.
Cette conclusion pose le problème de la modification du rapport des forces, qui renvoie forcément au problème de l’organisation de la masse des opposants pour faire émerger d’elle une force politique cohérente capable de faire une pression efficace et durable sur le régime
On sait que les représentants de l’Eglise catholique, de l’Eglise évangélique presbytérienne et de l’Eglise méthodiste avaient pris publiquement position le premier octobre pour exiger que les réformes constitutionnelles et institutionnelles soient faites avant la tenue des élections présidentielles de 2015. Cette prise de position renvoie au projet de loi introduit à l’Assemblée par le gouvernement, et rejeté par le parti du pouvoir. L’initiative tardive des responsables des trois églises a au moins le mérite de faire revenir la question des réformes au premier plan de l’actualité, comme si elle vient seulement de se poser.
L’initiative continue donc de faire l’objet d’appréciations diverses. Tandis que certains l’applaudissent, d’autres accusent ces représentants d’églises de faire « le médecin après la mort ». Les partisans du régime les accusent bien entendu de se mêler de ce qui ne les regarde pas. Avec le flot habituel de mots, certains journalistes de cette catégorie estiment même la prise de position « dangereuse », et cultivent délibérément la psychose. Selon eux, ces responsables d’église jetteraient de l’huile sur le feu en revenant sur le problème des réformes que les hauts représentants du régime estiment clos.
Quant aux chefs des deux regroupements en vogue, ils s’efforcent de récupérer à qui mieux-mieux la démarche des responsables des trois églises ; et toujours avec le désastreux esprit de compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir, ou à défaut pour la première place, tout cela en vue des présidentielles de 2015. Et pourtant, ils ont déjà envoyé leurs représentants dans ces institutions que le régime refuse de reformer, et sont allés prêter serment en bonne et due forme devant Faure Gnassingbe comme si, pour eux aussi, la question des réformes n’avait plus d’importance. Ils semblent trouver tout à fait cohérente cette attitude qui consiste à applaudir à l’unisson une démarche qui exige les réformes avant les élections, et la présence de leurs représentants respectifs dans ces institutions que le régime refuse de reformer.
Ceux qui n’arrêtent pas d’occuper l’espace médiatique à longueur de journée posent souvent les problèmes politiques togolais comme si la lutte d’opposition n’avait pas une histoire, venait de commencer. Et ils n’ont pas l’humilité de reconnaître que des faits constitutifs de cette histoire peuvent leur échapper. En effet, ce n’est pas la première fois que les églises du Togo prennent position sur des problèmes de notre combat pour la démocratie. Je ne veux parler ni de Mgr Kpodzro, ni de Mgr Barrigah : Présider la conférence nationale n’est pas une prise de position politique, pas plus que présider la CVJR pour le compte du régime.
Qu’on se souvienne : En 2002, Eyadema avait brutalement dispersé la Commission paritaire de suivi (CPS) issue de l’Accord cadre de Lomé (ACL), substitué tout aussi arbitrairement Pétchélébia à la CENI pour l’organisation des législatives de décembre 2002 et fait procéder à la réécriture de la constitution en vue de pouvoir se présenter autant de fois qu’il le veut aux élections présidentielles à venir. Cette succession de faits inadmissibles avait poussé les églises hors de leurs gonds, et les avait conduits à prendre position clairement en faveur du changement démocratique.
La prise de position avait alors forcé les partis d’opposition à engager une démarche unitaire, qui va conduire à la formation de la Coalition des Forces Démocratiques (CFD). Il était question du choix d’un candidat unique de l’opposition pour les présidentielles de 2003, et d’un travail de sensibilisation à mener en commun par les partis concernés pour mobiliser ensemble la masse des opposants derrière ce candidat.
Malheureusement, sous l’emprise du désastreux principe de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir ou, à défaut, pour la première place parmi les partis d’opposition, les partis du courant majoritaire impliqués dans la démarche unitaire avaient délibérément torpillé celle-ci dès le départ. Leurs représentants respectifs étaient venus aux réunions de constitution du CFD avec derrière la tête l’idée de profiter chacun de l’occasion pour se faire reconnaître le candidat unique par les autres partis, ou pour promouvoir le candidat de leur propre parti.
Face à ces sourdes rivalités, la CDPA-BT s’est sentie obligée de se retirer de la CFD avant même l’annonce officielle de sa création, pour ne pas se mêler plus avant à ce projet ainsi transformé en une entreprise de tromperies à l’égard de la masse des opposants. Car, faire croire que l’on s’est engagé enfin dans une démarche unitaire pour opposer un candidat unique au régime, et au même moment continuer de mener de sourdes luttes entre soi pour être chacun ce candidat unique de l’opposition, c’est tromper. C’est inadmissible pour ceux qui pensent la lutte d’opposition autrement.
Ce n’est donc pas la première fois que des églises prennent position sur des problèmes relatifs à notre lutte pour la démocratie. Des journalistes bavards et suffisants, et tous ceux qui s’engraissent à l’ombre du régime oppresseur dénoncent la démarche des trois organisations religieuses et jettent feu et flamme sur eux. Cette attitude ne saurait surprendre. Elle est simplement réactionnaire. Elle n’a pas de sens au regard des aspirations du peuple pour la liberté, la justice et le droit à des conditions de vie correctes.
Les représentants des églises (y compris les Imams) sont d’abord des citoyens avant d’être des « hommes de Dieu ». Ils vivent (ou devraient vivre) non pas au-dessus du peuple, mais au sein du peuple. Ils ont par conséquent le droit et le devoir d’intervenir dans la vie politique du pays quand ils le veulent, aussi bien en tant qu’individus, qu’en tant que représentants de leur ordre religieux respectifs. Et ils ont d’autant plus ce droit et ce devoir que nombre d’entre eux et nombre de leurs fidèles subissent l’oppression, l’injustice sociale et les mauvaises conditions de vie qui sont le lot quotidien de la masse de la population.
Comme d’autres, la CDPA-BT aussi regrette que l’initiative des représentants des trois églises soit prise trop tard. Si ces représentants avaient décidé de sortir de leur mutisme ce 30 août où la majorité parlementaire avait rejeté le projet, et s’ils avaient pris leur position dans ce contexte d’indignation générale provoquée par le rejet du projet de loi, leur démarche aurait pu contribuer à créer une nouvelle dynamique susceptible de faire progresser la lutte d’opposition au profit de tous.
Par ailleurs, les dispositions de la Cour de justice de la CEDEAO interdisent en principe de modifier la constitution dans l’intervalle des six mois précédant la tenue des élections, sauf si c’est par consensus. Les représentants des trois églises ont fait leur déclaration à cinq mois de la date présumée des présidentielles de 2015, ce qui, si l’on prend ces dispositions en compte, enlève toute substance à leur démarche. Une large fraction de la masse des opposants estime ainsi que la prise de position de ces représentants d’église est de pure forme ; et ils pourraient avoir raison. Cette ambigüité de la prise de position met forcément en doute la sincérité de la démarche. Certains opposants sont même allés jusqu’à parler de « connivence avec le régime ».
Des gens ont trouvé à la démarche une circonstance atténuante en estimant que les représentants des trois églises ont agi par diplomatie. Mais laquelle ? Dans tous les cas, ce qui importe pour la lutte d’opposition dans cette détermination du régime à ne pas faire les réformes n’est pas la manière diplomatique de dire les choses, mais la conformité des prises de position à la vérité, à la justice et à l’efficacité des actions posées ou à poser.
Certains ont soutenu avec véhémence que l’Etat, au nom de son droit régalien, peut décider de faire les réformes à tout moment avant le scrutin, et qu’il pourrait même les faire faire « à la veille des élections ». Il se trouve que ceux qui ont confisqué le pouvoir d’Etat, sont ceux-là mêmes qui affichent avec arrogance leur détermination à ne pas faire les réformes. Et puis, dire que Faure Gnassingbé peut faire faire les réformes même à la veille des élections n’est pas sérieux. Cela tient du propos démagogique. Il décrédibilise notre lutte pour la démocratie.
La question des réformes est un problème d’une extrême gravité. Les forces anti-apartheid avaient mis quatre années en Afrique du Sud pour imposer les leurs à la minorité blanche. Et ils y sont parvenus parce qu’ils ont pris le temps de se donner une organisation leur ayant permis de mettre le rapport des forces de leur côté. Il faut éviter de donner des occasions à Faure Gnassingbé et ses amis de faire n’importe quoi en guise de réforme, juste pour permettre à ceux qui sont toujours prêts à aller aux élections dans n’importe quelles conditions de s’y précipiter en 2015, comme ils l’ont fait en 2013 pour les législatives et pour les présidentielles de 2010, poussés à chaque fois par le principe de la compétition entre partis d’opposition pour le pouvoir et, à défaut, pour la première place parmi les partis d’opposition.
Un pas de plus dans la réflexion sur les réformes : Le régime ne fera pas de réformes avant le scrutin de 2015, à moins que ce soit de pseudo réformes juste pour rouler l’opinion dans la farine, ou permettre à ceux qui entendent aller aux élections quelles qu’en soient les conditions de s’y précipiter à la dernière minute sans perdre la face. Ceci étant, il faut se rendre à l’évidence que le problème politique togolais n’est pas celui de réformes à faire. La constitution de 2002 et les institutions qui l’accompagnent sont créées par le régime. Elles ont pour fonction politique de le maintenir au pouvoir le plus longtemps possible. Ce sont des institutions antidémocratiques.
Que peut-on reformer dans ces institutions pour les transformer en institutions réellement démocratiques ? Que peut-on réformer par exemple dans la Cour constitutionnelle pour en faire une Cour constitutionnelle démocratique et républicaine ? Comment peut-on demander au régime d’accepter de reformer cette institution en lui enlevant par exemple sa fonction d’origine qui est de contribuer à maintenir le système en place ? Les mêmes questions sont valables pour la HAAC, pour la CENI, pour l’armée, pour la police, pour l’ANR, pour l’administration publique… Qui est fou pour accepter de scier la branche sur laquelle il est assis ?
Le problème de l’opposition n’est pas de vouloir reformer des institutions antidémocratiques créées par le régime pour se maintenir. La vraie démarche, c’est d’abolir ces institutions et de les remplacer par des institutions démocratiques à penser et à créer. Ce n’est pas utopique. Mais des institutions démocratiques ne peuvent jamais être créées aujourd’hui, et elles ne peuvent jamais fonctionner normalement et durablement tant que le régime despotique répressif en place depuis plus de 40 ans ne sera pas lui-même préalablement aboli.
Cette conclusion pose le problème de la modification du rapport des forces, qui renvoie forcément au problème de l’organisation de la masse des opposants dans le but de faire émerger d’elle une force politique cohérente, capable de faire une pression efficace et durable sur le régime.
Lomé, le 15 octobre 2014
Pour la CDPA-BT
Le Premier Secrétaire
E. GU-KONU