Cinquantenaire des indépendances africaines/Togo (1). Transmission héréditaire du pouvoir et « ethnicisation » de la vie politique empêchent l’alternance à Lomé
La campagne électorale est finie depuis longtemps, mais partout, sur les murs de Lomé, les affiches présentant un Faure Gnassingbé souriant continuent de fleurir. Le 4 mars dernier, il a été élu président du Togo avec 60% des voix, cinq ans après avoir été installé à la tête du pays par l’armée, ce qui avait provoqué un soulèvement généralisé réprimé dans un bain de sang. « Peut-être que les Togolais se sont résignés à lui donner une chance », commente Abdoulaye, un jeune chauffeur dont les parents, originaires du Niger, sont venus travailler dans les années 1980 au grand marché de Lomé.
« Il est, certes, le fils du général Eyadema, mais sa mère vient du sud. Aussi, on lui fait davantage confiance. » Faure Gnassingbé avait succédé en 2005 à ce père autoritaire, ancien légionnaire qui lui-même avait pris le pouvoir dans un coup d’Etat, avec l’appui de conseillers français, en 1967. « Les Togolais n’ont rien à lui reprocher, si ce n’est les conditions de son installation au pouvoir orchestrées par son père de son vivant. Du coup, il est prisonnier d’un clan et ne peut pas avoir les coudées franches pour effectuer les réformes dont le pays a cruellement besoin », confie un ancien militaire de carrière.
C’est le 27 avril que le Togo et ses 6 millions d’habitants célébreront le cinquantenaire de leur indépendance. L’opposition a déjà annoncé qu’elle boycotterait les festivités en signe de protestation contre la réélection du président Gnassingbé. Le pays des « Mama Benz », ces commerçantes industrieuses du port ayant prospéré dans le commerce des tissus, semble souffrir du même syndrome que nombre d’autres Etats d’Afrique francophone. Pour le chercheur et chroniqueur Victor Aladji, la principale faute du régime est d’avoir « ethnicisé » la vie politique pendant près de quarante ans en donnant la suprématie à une région, celle du nord, sur les autres. Une situation qui ne correspondait pas du tout, selon lui, à la réalité historique de la mosaïque de peuples qui composait le Togo avant l’arrivée des colons allemands et les traités de protectorat qui ont ensuite placé ce pays sous administration internationale.
L’opposition est aussi une affaire de famille
« Le Togo actuel, explique-t-il, est le résultat de la défaite de l’Allemagne en 1918 et du partage des territoires que ce pays occupait entre la France et l’Angleterre. Il a payé très cher ses velléités de battre sa propre monnaie après l’indépendance. » Selon cette thèse, le premier président togolais élu, Sylvanus Olympio, aurait eu l’intention de se détacher du franc français afin de booster les exportations, notamment celles de café et de cacao. Une émancipation jugée inadmissible par le général de Gaulle, qui craignait qu’elle fasse tache d’huile sur les autres Etats côtiers de la région. « La France a toujours tenu les pays francophones d’Afrique par le franc CFA, ce qui explique le soutien qu’elle a parfois apporté à des régimes corrompus ou totalitaires », commente Victor Aladji.
Héritier des principales forces nationalistes, l’Union des forces du changement (UFC) est présidée par Gilchrist Olympio, considéré comme l’opposant historique au Rassemblement du peuple togolais (RPT), au pouvoir depuis 1969. Là aussi, c’est une affaire de famille. Réfugié au Ghana depuis le début des années 1990 après un attentat qui a failli lui coûter la vie, Gilchrist Olympio a toujours milité pour que la mémoire de son père assassiné soit vengée. Empêché de se présenter à l’élection du 4 mars, il a été remplacé par Jean-Pierre Fabre, qui revendique aujourd’hui la victoire face à Faure Gnassingbé malgré les 34% officiellement récoltés dans les urnes. « Sans la saisie de nos procès-verbaux avant même que nous ayons fini de les compter, nous aurions eu la preuve que le RPT ne représente même pas 15% des suffrages », martèle Jean-Pierre Fabre.
Pour la plupart des observateurs, cependant, l’UFC doit accepter de se réformer. Car c’est à cause des positions intransigeantes de son leader historique, refusant notamment qu’il y ait d’autre candidat unique que lui pour représenter l’opposition, que le régime militaire des années noires d’Eyadema a pu se perpétuer. Première femme à se présenter à une présidentielle au Togo, la juriste Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, candidate de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA), espère un sursaut. « Nous sommes prêts à entrer dans un gouvernement d’union nationale, mais à condition que la question de la candidature unique ne soit plus le seul point de discussion », précise-t-elle.
Au siège de l’UFC, les militants continuent à espérer que le pouvoir va finir par passer la main. « Nous continuerons à marcher pacifiquement chaque samedi. Mais il faut qu’on arrête de nous voler notre victoire », lance une vielle femme matraquée par les forces de l’ordre lors d’une veillée le 23 mars.
JDD