Le Togo s’apprête à célébrer le 56éme anniversaire de son indépendance. Une indépendance acquise de haute lutte par des Togolais de tous horizons qui, durant presque 4 décennies, ont lutté jusqu’au sacrifice suprême pour que ce bout de territoire soit un espace de liberté, de justice et de paix pour l’ensemble de ses fils. Plus de 56 ans plus tard, c’est la désolation totale, l’image abimée et dégradée du pays aux mains d’une seule famille depuis 50 ans a de quoi retourner Sylvanus Olympio, Pa Augustino de Souza et bien d’autres dans leurs tombes. Que du gâchis !
La célébration de la fête de l’indépendance est généralement l’occasion rêvée pour certains dirigeants, à l’instar de Faure Gnassingbé, de prouver à ses concitoyens qu’il sert à quelque chose à la tête du pays. Depuis trois jours, dans un pays où les tas d’ordures sont visibles à tous les coins de rues, le rejeton d’Eyadema parcourt monts et vallées pour inaugurer une aérogare par-ci, poser une première pierre par-là. Une comédie bien organisée dont l’apothéose sera marquée par un défilé civil et militaire dans un exhibitionnisme d’arsenal de guerre et de répression au service exclusif du pouvoir clanique. Au-delà des défilés, du drapeau, de l’hymne national etc., sommes-nous vraiment indépendants ? Qu’avons-nous fait durant les 50 ans d’indépendance? Le Togo a-t-il été réellement gouverné pour le bien de ses populations ? A-t-on réussi à bâtir un Etat-Nation, véritable creuset de toutes les populations ou l’Etat est-il devenu le lieu privilège d’accaparement patrimonial où s’accroissent les inégalités sociales, les conflits fonciers, la misère, les replis communautaires, la corruption, le crime, le pillage systématique des ressources, l’enrichissement d’une minorité, la dégradation ou l’absence des services publics comme l’eau, l’électricité, les télécommunications, les soins de santé adéquats…
Comment peut-on expliquer que plus de 56 ans après, et malgré les innombrables ressources minières de ce petit pays, les Togolais vivent sous le seuil de la pauvreté, incapables de s’offrir même un repas par jour. Comment peut-on expliquer que les jeunes quittent en masse le pays pour l’aventure. Peut-on être fier de ce pays en lambeaux, au visage défiguré, à la classe politique médiocre, aux principes et valeurs dans les caniveaux, aux intellectuels corrompus à la solde d’un système liberticide, « humanicide » dont les les valeurs (sic) caractéristiques sont le viol, le crime, le vol, le pillage, la corruption, l’ostracisme, etc?
L’état calamiteux du Togo où le temps semble s’être arrêté depuis 56 ans nous conduit à partager cette réflexion de l’historien Achille MBembe lorsqu’il dressait l’état des lieux accablant des 50 ans d’indépendance des pays africains en ces termes : « Dans la plupart des cas, les Africains ne sont toujours pas à même de choisir librement leurs dirigeants. Trop de pays sont toujours à la merci de satrapes (despotes) dont l’objectif unique est de rester au pouvoir à vie. Du coup, la plupart des élections sont truquées. On sacrifie aux aspects procéduraux les plus élémentaires de la concurrence, mais l’on garde le contrôle sur les principaux leviers de la bureaucratie, de l’économie, et surtout de l’armée, de la police et des milices. La possibilité de renverser le gouvernement par la voie des urnes n’existant pratiquement pas, seul l’assassinat, la rébellion ou le soulèvement armé peuvent contredire le principe de la continuation indéfinie au pouvoir. Globalement, les choses sont donc plutôt bloquées, surtout en Afrique francophone où les manipulations électorales et les successions de père en fils aidant, l’on peut dire que l’on vit, de facto, sous des chefferies masquées (…) C’est un continent où le pouvoir de tuer reste plus ou moins illimité et où la pauvreté et la maladie rendent l’existence si précaire ».
L’état des lieux nous pousse à passer en revue les différents secteurs du Togo et à mettre en exergue l’accaparement de toutes les richesses de ce pays par une communauté étrangère multicolore, avec le soutien des gouvernants prédateurs (voir tableau ci-contre). La plus grande partie des richesses du Togo se trouve de nos jours dans les mains des étrangers, le gouvernement togolais ne se contente que des royalties. De la Présidence togolaise jusqu’à la gestion des ordures, tous les pans du pays sont aux mains des non Togolais. La situation au Togo à ce jour est pire qu’elle ne l’était au temps de la colonisation lorsqu’on dresse le tableau très révoltant de ceux qui ont mis la main sur les richesses de ce pays, contraignant les populations à la misère ou à l’exil. Même le Grand Marché de Lomé (Adawalato) des célèbres Nana Benz est aux mains exclusives des sahéliens, sans citer celui d’Hedzranwoé entièrement contrôlé par les Ibos du Nigeria. Y a-t-il matière à être fier, à se réjouir ou à prendre part à une quelconque célébration lorsque tous les secteurs vitaux du pays se retrouvent dans d’autres mains que celles des togolais ? Même l’Etat civil et les régies financières qui relèvent de la souveraineté nationale sont gérés par des étrangers. Peut-on se réjouir d’un Etat désargenté, un désastre économique, un pays déliquescent? surendetté, incapable de financer ses projets de développement, la construction des hôpitaux et des écoles sur fonds propres?
56 ans après les indépendances, visiblement sur papier, le Togo continue de patauger dans une sénilité d’un pouvoir anachronique, hystérique, dynastique, opposé à l’idée même du progrès. Au demeurant à chaque Togolais où qu’il se trouve, de se demander si réellement nous sommes indépendants dans cet espace territorial. Si oui qu’avons-nous réellement fait de notre indépendance ? Sommes-nous fiers de cette déliquescence avancée de ce bout de territoire doté d’innombrables richesses à n’en point finir ? Qu’il plaise à chacun d’interroger sa conscience si certains en ont encore.
Mensah K.
(L’ALTERNATIVE)
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