Tirer sur le pigeon voyageur qui vous transmet une déclaration de guerre peut vous soulager, mais ne change rien au message que vous venez de recevoir. Depuis la diffusion publique de la « putschtape Soro/Bassolé » qui hystérise Abidjan et Ouagadougou, l’actuel président du Parlement ivoirien et ses porte-flingues ont surtout proféré des injures et des menaces à la fois variées et fleuries contre les journalistes et les internautes qui ont partagé ces écoutes téléphoniques qui ont « fuité » alors qu’elles auraient dû rester à jamais confidentielles.
Ils ont aussi tenté, très maladroitement, de faire croire à la thèse de deux enregistrements, l’un « trafiqué » et accablant, l’autre non trafiqué et « disculpant ». Leur premier axe de communication leur a surtout permis de différer les interrogations les plus sérieuses au sujet de cette bande-son si compromettante. C’est-à-dire :
– Qui, dans les cercles des pouvoirs, à Abidjan et à Ouagadougou, avait intérêt à orchestrer cette fuite ?
– Pourquoi l’a-t-il (ou l’ont-ils) fait ?
Progressivement, l’on sent toutefois que les « Soro-boys » changent de fusil d’épaule. Dans une longue contribution navrante de griotisme indécent sur la forme et profondément confuse sur le fond, le « porte-plume » de Guillaume Soro, Franklin Nyamsi, passe quasiment aux aveux en tentant de créer une affaire dans l’affaire et de faire trembler un certain nombre de personnes travaillant pour les services secrets burkinabè.
« Si Monsieur Kouamouo détient ce document par le biais des Renseignements Généraux du Burkina Faso ou par les services d’un autre Etat que nous ne pouvons imaginer, ne convient-il pas de se demander si les services secrets de ces pays n’ont pas basculé entre temps dans des méthodes de voyou et dans la violation de toutes les normes en matière de diplomatie et de courtoisie politiques ? Dans les pires affaires d’écoutes audiotéléphoniques à travers l’Histoire, telles le Watergate américain ou l’affaire Clearstream, le drame est justement né de la légèreté de certains renseignements généraux convertis par corruption aux méthodes de voyous ! Diffuser médiatiquement des écoutes téléphoniques, c’est discréditer définitivement ce qui fait justement la fonction du service secret, à savoir le secret des informations détenues.
Qui peut ou veut donc, dans toute la sous-région ouest-africaine, s’accommoder aujourd’hui d’une situation des services de renseignement d’un pays livrent les privées des citoyens internes ou voisins à la vindicte publique, au lynchage médiatique et à la démolition psychologique qui n’est qu’un prélude à la destruction physique ? (…) Accepterait-on, à la suite de la méthode dont les citoyens Guillaume Soro et Djibril Bassolé ont été victimes, par le fait de ce journaliste sulfureux et de ses complices dans les renseignements généraux burkinabépuisqu’ils ont évoqué publiquement l’existence de tels enregistrements par la voix du Colonel Sita Sangaré- , que désormais les conversations téléphoniques privées de tous les burkinabé et de tous les ivoiriens, mais aussi des ministres, premiers ministres, hauts magistrats, officiers de haut rang, députés, hauts fonctionnaires, Chefs d’Etat, de toute la sous-région ouest-africaine fassent l’objet d’un tel espionnage et de telles divulgations explosives ? Et puisque le FPI, parti éminemment ami de Théophile Kouamouo, veut bien participer à la mêlée, plairait-il à messieurs Affi Nguessan, Aboudrahmane Sangaré, Firmin Krékré, et autres hommes politiques ivoiriens de retrouver leurs conversations téléphoniques privées et respectives dans la presse ? »
Le message de Guillaume Soro aux autorités de Ouagadougou et d’Abidjan est clair. Il s’agit bel et bien de chantage. Traduisons en langage non codé : « Arrêtez-moi ou je fais un malheur. Moi aussi, j’ai des « docs » sur vous. Sur la classe politique burkinabè, mais aussi sur mon propre camp en Côte d’Ivoire ainsi que sur celui des opposants hier au pouvoir. Si vous cont aussi… Je ne plongerai pas seul, et ça vaut aussi pour quiconque veut me livrer à la CPI ou me laisser humilier par la justice française. »
La « team Soro » joue sur trois ressorts en adoptant cette posture.
Premièrement, elle sait que si Alassane Ouattara et son « fils » Hamed Bakayoko travaillent à encercler et à isoler « Tiéni Gbanani », le numéro un ivoirien craint d’ouvrir, juste au début du deuxième mandat du premier cité, des hostilités qui sont lourdes de danger pour la stabilité de son système. Soro a toujours quelques appuis parmi les chefs de guerre. Surtout, il est dépositaire d’un certain nombre de secrets, dont il pourrait se servir pour montrer au monde entier (et à la justice) qu’Alassane Ouattara est le vrai « père » de la rébellion ivoirienne, comme le laissait penser il y a quelques années le général Georgelin, qui a été chef d’état-major particulier de Jacques Chirac, dans une note confidentielle qui a « fui » et que nous avons « recueilli ».
Une note élyséenne gênante pour Ouattara.
A ce stade de leur petit jeu de « coopétition » (collaboration-compétition), le « premier cercle Ouattara » et la « team Soro » ont tout intérêt à reporter leur inéluctable affrontement. Abidjan pourrait donc travailler à étouffer l’affaire qui éclabousse le « PAN » et qui pourrait bien arriver jusqu’au « PR ».
Deuxièmement, elle a bien conscience de « l’indécidabilité » de la période actuelle au Burkina Faso. La transition vit ses derniers jours, et de nouvelles hiérarchies politiques et administratives vont s’établir bientôt. Du coup, dans les services », au sein de la magistrature, dans la gendarmerie, on se tâte, on n’ose pas trop, on se donne le temps de voir venir. Autant les internautes burkinabés se passionnent pour la « putschtape Soro/Bassolé », autant les politiques (et même certains médias privés) sont gênés aux entournures. Si on veut schématiser, on peut dire que les personnalités qui incarnent fortement la transition et qui auraient pu être liquidés par les nostalgiques de l’ère Compaoré (Isaac Zida, Chérif Sy ou les activistes les plus en vue de la société civile) ont tout intérêt à ce que toute la vérité éclate et les protège. Mais les favoris de la présidentielle burkinabè (Roch Marc Kaboré et Zéphirin Diabré), hommes du sérail, veulent manifestement se donner la marge de manoeuvre nécessaire pour « dealer » diplomatiquement avec Abidjan, c’est-à-dire sauver, même temporairement, le « soldat Soro ». Or, si la bande audio qui fait le buzz est reconnue comme authentique et versée au dossier, on atteint le point de non-retour. On ne peut plus rétropédaler… après la présidentielle. Or les négociations de l’ombre battent leur plein. Dans un confidentiel, « Mondafrique » raconte comment le petit frère d’Alassane Ouattara, Birahima “Photocopie”, est allé à Ouaga pour négocier avec Zida et est sorti de l’entretien le visage fermé ; ZIDA ayant rejeté une plateforme de négociation avec SORO sous les auspices du président togolais Faure Gnassingbé.
C’est sans doute ce type de considérations qui expliquent que l’enregistrement Soro/Bassolé, pièce à conviction par excellence, ne se trouve bizarrement pas dans le dossier judiciaire ouvert par le tribunal militaire de Ouagadougou, si l’on en croit en tout cas l’avocat de Djibril Bassolé. Si certaines sources au sein de la gendarmerie burkinabé ont affirmé à l’agence Alerte Info qu’une authentification était en cours, les autorités judiciaires se réfugient dans un silence justifié par le secret de l’instruction.
Troisièmement, le clan Soro sait très bien que le processus d’authentification des enregistrements téléphoniques qui le « crucifient » passe forcément par l’étude de la genèse de ces enregistrements. Qui, et dans quels services, relevant de quel pays, a procédé aux interceptions ? Comment ont-elles « fuité » ? Il y a là d’autres secrets, moins venimeux que les siens, mais qui peuvent se révéler ravageurs pour un certain nombre d’exécutants au cas où les « grands types » décident de tirer un trait sur cette histoire et de sacrifier des lampistes.
Théophile Kouamou
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