Serge Bilé: « Le préjugé sexuel, c’est le frère jumeau du préjugé de couleur »

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Serge Bilé s’empare, dans son nouveau bouquin, d’un préjugé qui parait futile : le sexe des Noirs qu’on dit surdimensionné, et objet de bien de fantasmes… En fait, dans l’oeuvre, La légende du sexe surdimensionné des Noirs, le journaliste dresse le parcours de cette conception en démontrant que c’est un cliché… raciste. Eh oui, l’auteur ne s’est pas égaré. Il demeure sur son créneau de défense de la cause Noir. Le Robin des Noirs est bien de retour !

Après des essais sur les Noirs dans les camps de concentration, sur le racisme au Vatican, sur le blanchiment de la peau chez certains Africains, comment vous est venue l’idée d’un sujet si différent ?

Ce travail est dans la continuité des précédents. Ce qui m’intéresse, c’est la face cachée du monde noir. Tout ce qui s’y rapporte a été bâti sur des préjugés et le préjugé sexuel est bien sûr fondamental. Il fonde la relation des Noirs aux Blancs et celle des Blancs aux Noirs.

Et selon vous, il fonde aussi le racisme?

Tout à fait. Le préjugé sexuel, c’est le frère jumeau du préjugé de couleur. C’est l’idée, développée, à partir surtout de l’esclavage, que les Noirs ne sont pas des hommes et qu’ils ne sont guidés que par leurs bas instincts. Tout part, comme toujours, de la fameuse malédiction de Cham. La version officielle raconte que le fils de Noé a été maudit parce qu’il avait vu son père nu. Mais pour les premiers théologiens, Cham a en réalité fait pire que ça.

Il a, selon eux, carrément violé et châtré son père. Ses descendants, c’està- dire les Noirs, ont été, du coup, considérés comme des bêtes et des monstres sexuels, et ils ont été, condamnés, non seulement à être esclaves, mais aussi à porter un pénis «ignominieusement» long. C’était écrit ! A partir de là, on a affirmé, siècles après siècles, que les Noirs avaient un sexe à la place du cerveau. Un sexe naturellement démesuré ! Ça a pourri la vie de beaucoup d’entre eux, comme Alexandre Dumas et le Chevalier de Saint-Georges, ou encore Pouchkine, dont l’aïeul était africain.

Quand on entend donc dire aujourd’hui que les Noirs sont sexuellement plus avantagés que les Blancs, il n’y a donc pas, selon vous, de quoi se réjouir ?

Oh non ! C’est la continuité de tout ce que je viens de vous expliquer. Sauf qu’avec le temps, on a oublié la dimension pernicieuse de cette affirmation. Ce préjugé sexuel est d’ailleurs, aujourd’hui, multiforme. Quand on voit comment les Noirs sont, par exemple, perçus, même dans le milieu de la pornographie, où j’ai enquêté, c’est hallucinant. Quand on voit également comment les Noirs ont été stigmatisés à l’apparition du sida, et que certains ont insinué qu’ils couchaient avec des singes verts, on est dans la même logique de ce qui se colportait autrefois.

N’oubliez pas ce que Voltaire avait dit à propos des Noirs : «Il n’est pas improbable que dans les pays chauds des singes aient subjugué des filles». Tout ça fait partie du mythe. Un mythe que beaucoup d’entre nous ont  malheureusement, avec le temps, fini par adopter, sans même chercher à savoir d’où ça vient. C’est même devenu, pour certains d’entre eux, un argument de drague, si bien qu’ils enragent à l’idée qu’on puisse évoquer la question, voire remettre en cause ce qu’ils considèrent comme un avantage précieux.

Et pourtant, il faut en parler, même si ça touche un domaine qui peut sembler tabou. J’ai d’ailleurs dans ce livre, en plus du volet historique, développé toute une partie, disons, plus scientifique. J’ai questionné, pour que les choses soient claires, les études anthropologiques et médicales faites sur différents groupes raciaux. J’ai également commandé une enquête, ciblée, à l’institut Ipsos. Ça a été fait en Martinique. C’est une première. Des centaines de personnes ont été interrogées.

Et quels sont les résultats de ces études et de cette enquête ?

Ils sont surprenants. C’est tout ce que je peux vous dire. Vraiment surprenants comme on pourra le découvrir en lisant le livre.

Vous conseillez aux Noirs de ne pas alimenter le stéréotype, de refuser d’être associés à ce que vous appelez les arts mineurs, la musique, la danse, le sport. Ne croyez-vous pas qu’il serait intéressant, à contrario, de considérer l’amour et la sexualité comme des arts majeurs, essentiels ?

Je conseille d’abord aux Blancs d’arrêter de véhiculer ces préjugés et bien sûr aussi à certains Noirs de ne pas jouer leur jeu. L’amour, c’est vrai, fonde l’humanité et permet aux hommes de dépasser leur animalité. C’est quelque chose de pur, sauf que pour certains, on y a ajouté une interprétation dévoyée. Ces arts «mineurs», la danse, le sport, la sexualité appartiennent à tout le monde. Je crois qu’il ne faut surtout pas tomber dans le panneau et dire que les Noirs ont quoi que ce soit de plus que les Blancs, et inversement. Sans quoi, c’est la porte ouverte à la discrimination et au racisme.

Les Européens ont-ils été les seuls à entretenir ce préjugé sexuel à l’égard des Noirs ?

Bien sûr que non ! J’ai étudié le rapport que les Chinois avaient avec les Noirs au 12ème siècle, ce n’était guère mieux. Je ne parle même pas des Arabes qui avaient un profond mépris pour les Noirs et qui les accusaient constamment de bestialité sexuelle. Pour autant, les Noirs ont, eux aussi, dans ce domaine, nourri des préjugés à l’égard par exemple des Asiatiques. Comme quoi…

Recueillis par GCN avec F-HM

 

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