Maître, cela fait onze années longues comme un siècle que tu exerces le pouvoir suprême dans le Sénégal nôtre. Je me suis bien gardé de t’attaquer publiquement durant ces onze années, préférant laisser à d’autres éminents membres de ton opposition dont je suis membre le soin de le faire. Oh, je suis juste sorti de cette réserve quand, me sentant cruellement interpellé par ta singulièrement dangereuse « promenade » de Benghazi, j’ai récemment attiré ton attention sur les conséquences de cette folie sur la sécurité du pays nôtre (CF l’hebdomadaire Le Témoin N° 1047 du 15 Juin 2011).
Aujourd’hui, je prends encore sur moi la responsabilité de te dire à mon tour que je ne suis pas content de ta façon de diriger la barque Sénégal-notre-pirogue. Rassure-toi, je ne t’invectiverai pas -venant de moi ce ne serait pas bien – et je me contenterai seulement de te donner des conseils.
C’est, me semble t-il, le moins que je puisse faire pour toi en ces heures particulièrement graves. Onze longues années que tu es aux commandes d’une barque folle! Notre pays a touché le fond. Et tu continues de creuser!
Je ne peux plus me taire!
Tu as combattu dans le dos mon ami et frère Laurent Gbagbo qui ne t’a rien fait. Son régime en est tombé, sa famille déchirée, des milliers d’innocents sont morts, des villages rasés, des dizaines de milliers de citoyens en exil, sa vieille maman, ma mère Marguerite, n’a pas survécu à la douleur et à l’humiliation d’arrestations et de brimades qui ne l’ont même pas épargnée, elle la vieille de 92 ans, et a préféré s’en aller, le 15 courant, dans la paix du Seigneur, les propres enfants du président, mes nièces et leurs familles, sont en errance et en cachette…
Tu as plongé mes propres parents du Walo qui ne t’ont rien fait et qui menaient une vie des plus paisibles dans la désolation et la colère. Fidèle à ta devise de courtier foncier immobilier « Rien à branler : qui terre a guerre a ! », tu t’en es pris au village de mes ancêtres et semé dans toute une région les germes d’une situation dont tu n’auras même pas la possibilité de vivre les conséquences…
Ta soldatesque massacre partout, tous les jours, des jeunes Sénégalais qui n’ont rien fait si ce n’est que d’avoir voulu respirer démocratiquement leur ras-le-bol, leur soif et leur faim d’une vie moins misérable …
Tu as souverainement condamné nos compatriotes qui ne t’ont rien fait à « se chercher » dans des conditions de vie indicibles pendant que tu gères notre pays comme on le ferait d’une entreprise unipersonnelle, gaspillant sans pudeur nos rares ressources avec la passion d’un abonné de casino …
Jusque dans mon milieu professionnel, qui était aussi le tien quand tu étais dans la force de l’âge, tu as érigé en règle la clochardisation des acteurs qui ne t’ont rien fait, magistrats, greffiers et avocats n’hésitant plus à se comporter en syndicalistes. Pas plus tard que lundi, la session historique de la Cour d’Assises qui devait se tenir pour la première fois à Tambacounda, a dû être renvoyée faute de budget pour permettre aux avocats, incontournables acteurs de ce genre de juridiction criminelle, d’exercer leur mandat ! Depuis 1960, date de notre indépendance nominale, c’est la première fois que cela se produit, et sous ton magistère…
Que t’ont fait les Sénégalais, bon sang, pour mériter un tel mauvais traitement ? Ne serais-tu pas, au fond, de ces agents purificateurs de nations que la divinité envoie souvent auprès de certains peuples pour racheter leurs péchés ? Vu la magnifique façon dont tu es arrivé au pouvoir d’Etat et considérant le plaisir que tu prends à traumatiser ton bon peuple, cela ne me surprendrait qu’à moitié !
Je ne peux plus me taire, Maître !
Tu me connais suffisamment pour savoir que je méprise la peur. Ce qui m’a retenu, tout ce temps, c’était la crainte de décevoir certaines personnes qui me sont chères, au premier rang desquelles, notamment -tiens-toi bien- Laurent Gbagbo, cet homme si bon et qui te donne tant de complexes ! Il m’avait demandé, d’autres avec lui, de ne pas t’attaquer ! Sinon la peur ignore mon adresse ! Or tu penses que ceux qui se taisent ont peur de toi. D’ailleurs tu proclames urbi et orbi que tes opposants sont des froussards, que devant toi « c’est maïs » ! Je ne sais pas pour les autres, mais moi tu ne m’inspires pas aucune crainte. Tu as le pouvoir et tout ce qui va avec, certes. Mais moi, le faible, j’ai Allah ! Donc je ne puis te craindre. Tu es président, certes, mais moi je t’ai connu avant que tu ne le sois, j’ai tout donné et son contraire pour que tu le sois, et donc on se connaît ! « Souris, même saoûlée, connait carrefour des chats ! », comme disent mes amis ivoiriens !
J’avais décidé de mettre fin à notre aventure commune avant que tu ne sois président. Et, dans le cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne t’ai pas rejoint pour « manger » avec toi quand tu es venu « aux affaires » -ah, la belle expression ! On m’en a voulu de t’avoir quitté. On m’en a encore plus voulu de ne pas être revenu. On comprend aujourd’hui, enfin, pourquoi je ne répondais que par un sourire à tous ces reproches. J’ai su très tôt que le Temps est le deuxième nom de Dieu. Et qu’il se chargerait, ce Temps, de démontrer que le problème ne se situait pas chez la brebis égarée qu’il fallait ramener au troupeau, mais bien au niveau du berger…
Homme de principe dans l’acception la plus noble du terme, j’ai tenu à t’accompagner jusqu’au franchissement du gué, pour ne finalement te quitter qu’au moment où, opposant théoricien de l’entrisme et de l’ « à-plat ventrisme », tu es entré dans la proximité intime de Abdou Diouf, avec tout ce que cela suppose. Et je voudrais d’ailleurs te confirmer qu’à ce jour, et par la seule grâce de Allah, je suis resté le même, totalement détaché des choses qui font courir tous ces vaillants mercenaires de la vingt-cinquième agglutinés autour de toi pour sucer tes vieux os et qui t’ont perdu. Oui, je suis resté le même ! Serein et heureux, libre et indépendant ! Allah en soit remercié !
Mais je me mépriserais en éludant le fait que c’est à ton contact, et durant notre compagnonnage périlleux que j’ai appris à gérer ma vie dans un contexte de pénurie ! Rien que pour cela, je remercie la Providence d’avoir cheminé avec toi. Un autre bienfait dont je te suis reconnaissant, tu m’as permis de faire la connaissance du personnel politique africain, en ayant très souvent porté ton choix sur ma modeste personne pour représenter Le parti dans des rencontres internationales. D’une façon ou d’une autre, tu as concouru à me forger dans le continent un profil de « vagabond de la démocratie ». Ce qui me chagrine, paradoxalement, c’est que dans ces différents pays où l’on me voue un peu grâce à toi une grande affection allant grandissant, toi-même, au lieu d’y être une icône, tu es devenu à ce point détesté que, personnellement, c’est de l’extérieur de notre pays que j’ai pu percevoir l’ampleur du désastre !
Maître, tu as trop déçu, il faut que je te le dise ! Je suppose du reste que tu n’as pas besoin que je te le dise, tu le sais mieux que quiconque ! Tu sais toi-même que tu suscites un phénomène de rejet inouï, à l’extérieur du Sénégal comme dans le pays. Tu as tant et si bien abusé de la patience et de la confiance de notre bon petit peuple pacifique qu’il en a aujourd’hui assez de toi ! Tes errements, ceux de tes proches, vos exploits, lacunes et erreurs se comptent par milliers et il est possible d’en faire plein de fagots, ficelés par grappes de dix, pour paver toute la corniche, de ton palais à ton vilain fétiche de Ouakam ! Sciemment, tu as tout détruit, déconstruit, dérangé, déstabilisé, déstructuré, démantelé, découpé, jusqu’aux fondamentaux, jusqu’à la substance-même de la nation nôtre. Maintenant, tu t’en prends au substrat de l’Etat, tu vas jusqu’à déplanifier les institutions, seul dans ton laboratoire du vice politique ; et tu nous sors l’objet de tes élucubrations, comme ça, comme un os à ronger, comme si nous étions tes sujets.
Plus intolérable, tu persistes, tu signes deux fois et tu persistes trois fois en narguant tout un peuple : J’y suis, j’y reste, et celui qui n’est pas content n’a qu’à aller se faire cuire un œuf !… Au vrai, tu provoques un peuple pacifique à tes risques et périls. Tu le paieras cash, je puis te le certifier solennellement…Qui crois-tu donc être pour faire ça à des gens qui t’ont tout donné et que tu t’es empressé de berner ? Pourquoi accepter que Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf soient meilleurs que toi dans votre rapport commun à la sagesse, à la mesure, au sens de l’honneur ?
Tu sais tout cela, tu sais que les Sénégalais dans leur écrasante majorité sont en désamour irréversible avec toi. Tu te sais honni, vomi, à juste titre. La meilleure preuve en est la Nième forfaiture constitutionnelle à ton passif, sous la forme de cette ignoble suppression du minimum ou quart bloquant. Tu te sais tellement aimé de tes compatriotes que l’idée de génie t’est venue comme ça, naturellement ! Avant, s’il fallait 50% et une voix pour élire un candidat au premier tour, à présent 25% et une voix suffiront pour élire…deux candidats ! Chapeau, il maestro! Par cette alchimie, tu crois régler d’un coup tous tes problèmes existentiels ; tu n’as réussi au mieux qu’à ôter leurs dernières illusions aux rares compatriotes de foi et de bonne volonté qui continuaient, malgré tout, à t’accorder le bénéfice des circonstances atténuantes.
Avec un bilan de 17 tripatouillages, tu as laissé ton Adn partout sur le corps meurtri de notre Constitution. Très souvent, je l’avoue, j’ai personnellement pensé IN DUBIO REO, que le doute pouvait te profiter. Mais cette fois-ci, Maître, tu as dépassé les bornes !
Autant d’attouchements sur le jeune corps de cette nymphette sacrée m’ont poussé à te soumettre, à mon tour, un projet de loi ! Connaissant ta double qualité de juriste et d’économiste, je sais que tu l’aimeras, et que l’intellectuel émérite pourra l’enrichir avant que de la soumettre au vote de ses robots. Je te propose un intitulé, qu’il t’est loisible de changer, Maître : loi des actifs humanitaires décroissants. Elle explique, cette loi, que si dans un pays donné l’on observe une réduction tendancielle des acquis humains, elle est corrélée mathématiquement avec une hausse vertigineuse des violations du droit, et ce pays, tiraillé par deux mouvements antagoniques, évolue vers zéro puisque la démotivation et la déresponsabilisation des citoyens se tassent !
J’essaye de le démontrer sur un repère orthonormé O-I-J, avec une diagonale formée par les points de jonction des deux mouvements. En partant du postulat, simple hypothèse de travail, que c’est dans leur aptitude à se rapprocher du sommet de cette diagonale que l’on distingue les nations aux pratiques les plus irrespectueuses du droit, je donne en illustration le cas du Sénégal nôtre.
Inutile de te faire un dessin de l’état de ce Sénégal. Pour en être l’auteur inspiré, tu connais mieux que quiconque la masse critique des outrages, défis et offenses à la souveraineté et au droit perpétrés sous ton magistère depuis que le peuple souverain t’a donné l’imperium et la potestas. Passons, si tu veux bien, à notre loi.
Au Sénégal, donc, sans surprise, la vitesse de progression des violations des droits fondamentaux de la personne humaine inscrits dans la Constitution va devenir fulgurante : lancée sur une courbe exponentielle, cette progression est entrée dans le virage de ladite courbe, quittant son côtoiement de l’axe horizontal des abcisses (axe du temps) pour, une fois le virage franchi, côtoyer l’axe vertical des ordonnées (axe des actes liberticides) et s’en rapprocher de plus en plus, i.e. que, au fil du temps, un même accroissement de cette progression de la violation des droits fondamentaux s’obtiendra durant des périodes de temps de plus en plus brèves.
Passant à la réalité, cher Maître, cela donne : dans les onze dernières années dites « de l’alternance » nous avons connu plus d’actes liberticides au détriment de notre souveraineté que durant toutes les années de notre histoire en tant que jeune nation indépendante qui ont précédé ces onze dernières années. Et le virage de la courbe exponentielle du taux de progression des violations des droits fondamentaux du citoyen sénégalais inscrits dans la Constitution vient juste d’être amorcé, cela grâce ou à cause du culot, de l’audace et de la capacité de nuisance grandissant des concepteurs des actes attentatoires à la souveraineté, tes apprentis laborantins si grassement payés.
Sur cette lancée, dans les deux à trois années à venir, nous allons enregistrer plus de violations que l’ensemble de celles déjà connues durant les onze dernières années, ajoutées à celles des années , des décennies, du siècle et du millénaire passés (1960 à 2011).
Continuant à grimper de plus en plus près de l’axe vertical de cette fameuse courbe exponentielle, la progression des crimes contre la Constitution pourra encore diviser par deux le temps nécessaire au doublement de ses progrès : cette fois en trois mois plus de violations de la Constitution que dans le temps qui a précédé ces trois mois seront enregistrées, puis ce sera en un mois, plus tard en une semaine, une journée, une heure, puis il arrivera que cela soit en un seul instant, le temps d’y penser !
Te connaissant, je sais, Maître, comment tu vas réagir après avoir lu ces lignes : tu vas éclater de rire, de ce rire si contagieux agité de convulsions. Alors qu’une bonne compréhension de cette démonstration devrait t’inciter à plus de retenue : je t’ai démontré que du fait de tes provocations à répétition, en vérité, notre pays est arrivé au point d’inflexion et que si tu ne veux ou ne peux pas décrypter les frémissements de la rue, ce sera pour nous tous un gigantesquissime séisme d’amplitude 8 degrés sur l’échelle de l’horreur qui en compte 9 ! La rue pleure et vocifère, toi tu rigoles. Arrête de rire ! Tu vas rire jaune, à ce rythme…
Toutes ces contorsions ne te mèneront nulle part. Tu dois simplement partir ! Oui, partir ! T’en aller ! Te reposer pendant qu’il est encore temps et alors que tu jouis de toutes tes facultés pour remercier Allah de tous les bienfaits dont Il t’a gratifié. Tu as eu beaucoup de chance et, cerise sur le gâteau, Dieu t’a même amnistié parce qu’à ton âge on n’a plus de péchés…
Laisse tomber, Maître, cette fois-ci la ficelle est trop grosse. John Wayne soi-même n’attraperait personne avec ce lasso-là. Quand tu dis « Vice-président », les gens entendent « fils-président » ! Tu vois, le diable est dans le détail… C’est déjà gâté, laisse, quitte dans ça !
Si tu entends mon conseil, Maître, tu vas contribuer, ce faisant, à abréger l’effroi sans fin dans lequel ton peuple est plongé. Par ta faute. Et cela, l’Histoire te le concédera.
Entête-toi, par contre, comme à ton habitude, et rien ni personne ne pourra nous épargner la fin effroyable qui se profile. Par ta faute !
Dieu est quitte avec toi. Les Sénégalais de même, qui pour t’avoir élu et réélu, qui pour t’avoir stoïquement enduré pendant un siècle ! Tâche d’être quitte avec ton pays ! Ne fais pas comme Pharaon, que son cœur endurci a perdu. Quitte dans ça, je t’en conjure ! C’est un ami dont tu es resté sans nouvelle qui tenait à t’écrire…
Me Cheikh Koureyssi BA
lilafi19@yahoo.fr
*Expression du parler ivoirien, le nouchi, qui est utilisée pour dissuader quelqu’un de persister dans l’erreur, une mauvaise conduite ou une action susceptible de créer des problèmes.
Me Cheikh Koureyssi BA