Sauver l’honneur

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Le 5 avril 2011, au lendemain du début des frappes aériennes menées contre la Résidence des chefs d’État ivoiriens à Abidjan, le député communiste Jean-Paul Lecoq tentait de sauver l’honneur de la classe politique française et de l’assemblée nationale en dénonçant, dans une question courageuse à l’administration Sarkozy -question dont le triste sire Alain Juppé, abusant de son pouvoir discrétionnaire, n’eut alors pas l’élémentaire décence de le laisser achever la formulation- les dessous abjects de l’agression de la force Licorne en Côte d’Ivoire.

Son intervention ne rencontra, sur les bancs de la majorité -Front National excepté-, que haussements d’épaules, grimaces éloquentes, huées et sarcasmes, et sur ceux de l’opposition -groupe communiste mis à part- le silence indigne d’une indifférence complice. La caméra eut même le temps de saisir, sur les bancs du PS, un ricanement devenu le symbole de la disqualification d’une certaine gauche : celui de Jack Lang, le vertueux humaniste, filmé trois ans auparavant alors qu’il se pavanait dans la « rue Princesse » d’Abidjan en compagnie de
son « ami » le Président Laurent Gbagbo, mué en propagandiste de la thèse officielle assimilant ce dernier à un criminel endurci tout juste bon à abandonner sans états d’âme à la voracité mercantile des chiens au pouvoir.

En ce jour d’élections présidentielles en France, alors que des dizaines de millions de Français et d’Africains guettent l’aube d’une ère nouvelle, nous n’avons qu’une seule question à poser au successeur espéré de notre petit caporal ultralibéral, pourvoyeur et consolidateur exclusif des bénéfices exponentiels garantis à ses tout-puissants copains de la finance, de la pharmacie, de l’assurance, du bâtiment, de la presse, de l’industrie des armements, de l’agro-alimentaire et du nucléaire : que compte-t-il faire, non seulement pour nettoyer les écuries d’Augias du Quai d’Orsay et autres ministères, voués corps et âme au triomphe du profit sur fond de combines meurtrières et de mensonges éhontés, mais aussi pour laver l’honneur d’une gauche socialiste qui, en offrant le couvert de son silence aux crimes commis notamment en Côte d’Ivoire et en Libye, a délibérément placé son approche des dossiers françafricains sous le signe de la honte; une honte qui, si par malheur le nouvel élu venait à manquer d’audace pour affronter les risques de la grande lessive qui s’impose, ne tarderait pas à devenir ineffaçable.

Le futur président pourra-t-il faire l’économie d’une condamnation solennelle de la mascarade qui a suivi le
second tour des élections ivoiriennes du 2 décembre 2010, avec la proclamation illicite, depuis le Quartier
Général de la Rébellion, de résultats purement et simplement inversés; proclamation adossée au refus de prendre en compte l’existence avérée de fraudes massives -elles-mêmes supervisées par les autorités françaises- ?

Pourra-t-il éviter d’appeler par son nom l’intronisation aux forceps du chef rebelle Alassane Dramane Ouattara :
un coup d’État fomenté par la « France » de son prédécesseur à l’Élysée ?

Pourra-t-il continuer à tolérer la surréaliste conspiration du silence dont les médias ont enveloppé les circonstances aussi troubles que tragiques de l’assassinat de notre compatriote Philippe Rémond, à tous égards le plus digne d’éloges et le plus représentatif de ce que la France, au creuset des valeurs qui l’ont forgée, porte de plus grand, de plus noble et de plus beau : le vrai courage et l’exaltation de la Vérité ?

Pourra-t-il, tirant prétexte du devoir de réserve imposé par l’exercice de sa charge, se dérober aux exigences d’une enquête impartiale, n’éludant pas la délicate question d’une éventuelle complicité directe ou indirecte des autorités françaises dans la planification et l’exécution de ce crime perpétré par les tueurs de Ouattara ?

Aura-il le cœur de laisser se perpétuer le scandale de la discrimination négative dont est victime le franco-Ivoirien Michel Gbagbo, coupable du seul crime d’être le fils d’un père innocent, séquestré au péril d’une santé que l’on sait fragile par le preneur d’otage burkinabé fabriqué par la « France » ?

Le vainqueur alternatif du 5 Mai prochain pourra-t-il jouer la carte de la bienséance feutrée, quand il s’agira
d’affronter le déferlement de révélations dont l’écho assourdissant viendra bientôt répercuter le vacarme–étouffé jusque-là manu militari – de la cascade de forfaits économiques, diplomatiques et militaires ayant culminé dans le bombardement intensif, une semaine durant, de la Résidence présidentielle d’Abidjan; bombardement accompagné du massacre de centaines de jeunes ivoiriens aux mains nues venus soutenir la légalité démocratique incarnée par SEM Laurent Gbagbo – autant de corps dont on a perdu la trace…–, et suivi de la capture – par la Licorne associée au GIGN ! – d’un Président légitimement élu et officiellement investi par le conseil constitutionnel de son pays ?

Osera-t-il alors, par fidélité à la ligne d’un parti qui dans ce domaine, ne s’est illustré que par sa lâcheté, refuser de prendre position ? Aura-t-il le front de balayer d’un revers de mains les dizaines de milliers de témoignages accablant les autorités françaises et le rôle abominable qu’elles ont joué, en coulisses et sur la scène, dans la préparation, l’éclatement et le dénouement de cette crise d’une violence inouïe; pourra-t-il nier la manière dont la « France » de Sarkozy couve jalousement depuis un an l’éclosion progressive, sur tout le territoire ivoirien, d’une dictature de moins en moins rampante, synonyme d’insécurité endémique, de régression économique, sanitaire et éducative, de séquestrations arbitraires et de disparitions inexpliquées ? Tout cela sous l’œil complaisant d’une armée de fonctionnaires verrouillant minutieusement pour le compte de la « Métropole » – puisque nous voilà revenus, sous la pression des démons de la nostalgie impériale, aux fondamentaux de l’occupation coloniale la plus grossière – chacun des rouages de l’État, police et armée comprises ?

Pourra-t-il, en somme, se soustraire à son devoir historique de « lâcher » le criminel de guerre Alassane Ouattara,
et de le contraindre, aussi fermement que la macabre Licorne aux ordres des menteurs l’a fait quand il s’est agi
de bafouer le droit, la justice et la légitimité en chassant du pouvoir celui qui en était le garant, à céder sa place
de sanglant usurpateur au profit de ceux-là même qu’avec la complicité de la « communauté internationale », il a
envoyé croupir dans les geôles de son « régime de Vichy » franco-ivoirien, et de son extension européenne de la
Haye ?

Pourra-t-il, plus largement, faire abstraction de toutes les régressions liberticides qui ont accompagné chacune des interventions de la France en Afrique tout au long de ces dernières années de Sarkozysme frénétique, où l’on a vu le futur ancien maître des lieux enfoncer, avec une rage démente, les clous du cercueil françafricain, troquant pour ce faire le costume de modération ambiguë – ou de sauvagerie mesurée- de ses prédécesseurs dans leur politique à l’égard des anciennes colonies françaises, contre un tablier de bourreau; bourreau sujet à des accès de brutalité sans limite, ne disposant, pour dissimuler l’abîme sans fond de son cynisme absolu, que du masque d’un sourire carnassier, aussi peu crédible – et a contrario aussi négativement révélateur – que les propos pseudo-humanistes qui lui sont assortis.

Pourra-t-il enfin s’abstenir de dénoncer un à un tous les contrats et accords scélérats – aussi bien sur les plans politique et militaire qu’économique, la dernière manœuvre se dissimulant sous la signature d’un nouvel accord de coopération militaire avec le Sénégal – destinés à aggraver et pérenniser l’asservissement des pays d’Afrique ?

Le maître mot de ce que tous les Africains liés de près ou de loin à la France, et tous les Français soucieux de rester dignes du nom qu’ils portent, attendent du successeur de Nicolas Sarkozy dans la mise en œuvre d’une nouvelle politique africaine, c’est, on l’aura compris, celui de « courage » : le courage même dont fit preuve Philippe Rémond, et qui lui coûta la vie; courage de rompre sans arrière-pensée avec des méthodes séculaires héritées du lointain passé esclavagiste d’une nation arrogante et superbe; courage de préférer pour la France, à l’éphémère illusion des vestiges d’une prospérité usurpée, le renoncement à ce qui n’est pas elle : le pillage et l’exploitation mortifères de pays auxquels ne devra plus désormais la lier que des accords de partenariat scrupuleusement égalitaire; courage aussi de préférer le défi de l’appauvrissement transitoire d’une nation française appelée en contrepartie à renouer avec les valeurs qui la fondent – ces valeurs oh combien fécondes d’accueil, de solidarité et de généreuse créativité –, au funeste entêtement de ceux qui, pour le compte de la Cupidité Multinationale, ne flattent l’ego de notre « chétive pécore »(1) hexagonale que pour mieux l’entraîner par étapes, au rythme des marches forcées d’une paupérisation scientifiquement programmée, et sous le signe de la peur engendrée par le grondement d’aventures militaires et policières de plus en plus tonitruantes, vers l’enfer de sa destruction.

Peut-être la réponse espérée à toutes les questions énumérées plus haut relève-t-elle de l’utopie. Il n’en aurait
pas moins été impardonnable de ne pas les poser, ne fût-ce qu’en rêve, d’autant que, nous le croyons, quiconque les éludera désormais sera bien vite balayé par le vent de l’histoire – comme fauteur de malheur par omission –, jusqu’à ce que paraisse enfin, en Afrique aussi bien qu’en Europe et dans le monde entier, ce Règne de Justice auxquels aspirent tous ceux qui savent encore ce que c’est qu’une Promesse …

Eliahou Abel

(1) Jean de la Fontaine : »La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf »

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