Sarkozy s’annonce dans le faux en Belgique. «Kazakhgate», la note qui l »accuse !

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Dévoilée par le Canard enchaîné puis le Monde, l’affaire s’est accélérée en mars 2013 avec l’ouverture d’une information judiciaire pour «blanchiment en bande organisée» et «corruption d’agents publics étrangers», confiée aux juges parisiens Roger Le Loire et René Grouman

 

Ce document, révélé par l’hebdomadaire belge le Vif, et que Libération s’est également procuré (lire ci-dessous), confirme que l’Elysée s’est activé avec succès pour obtenir une modification de la législation belge, afin de permettre à un milliardaire belgo-kazakh, Patokh Chodiev, d’échapper à un procès pour corruption en Belgique. Et de faciliter, en échange de cette intervention, environ 2 milliards d’euros de contrats avec le Kazakhstan, dont la vente de locomotives par Alstom et d’hélicoptères par Eurocopter (devenu Airbus Helicopters).

Dévoilée par le Canard enchaîné puis le Monde, l’affaire s’est accélérée en mars 2013 avec l’ouverture d’une information judiciaire pour «blanchiment en bande organisée» et «corruption d’agents publics étrangers», confiée aux juges parisiens Roger Le Loire et René Grouman. Ils ont mis en examen en septembre l’avocate niçoise de Chodiev, Catherine Degoul.

Selon le Monde, Tracfin, l’office antiblanchiment de Bercy, a repéré que l’oligarque a versé plusieurs millions d’euros à Me Degoul, et qu’elle a reversé 300 000 euros à Jean-François Etienne des Rosaies, qui gérait le dossier Chodiev à l’Elysée. Les enquêteurs ont d’ailleurs perquisitionné le 8 septembre au domicile et au cabinet de Me Degoul, chez Etienne des Rosaies, l’une de ses ex-employées, ainsi que chez une ancienne collaboratrice de Guéant à l’Elysée.

La demande à Sarkozy

La note du 28 juin 2011 envoyée par Etienne des Rosaies à Guéant est un compte rendu victorieux de l’affaire Chodiev, juste après qu’elle a abouti. Tout a commencé le 6 octobre 2009 par la visite du président Sarkozy au dictateur du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, au cours de laquelle il signe pour 1 milliard d’euros de contrats, et engage des négocations pour 2,5 milliards supplémentaires.

Mais un autre dossier s’est joué en coulisses à Astana. Etienne des Rosaies écrit que, au cours de l’«entretien» entre «le PR [président de la République, ndlr] et le président Nazarbaïev», le dictateur kazakh «sollicitait « l’aide de la France » pour tenter de sauvegarder en Belgique les intérêts judiciaires (et économiques) de « son » principal homme d’affaires : Patokh Chodiev».

Classé 236e fortune mondiale, ce milliardaire dirige le groupe minier kazakh ENRC. Or, il est poursuivi en Belgique, avec deux de ses associés, dans une vilaine affaire de corruption. Le trio veut à la fois éviter la prison et une déstabilisation d’ENRC, coté à la bourse de Londres. Vu les enjeux économiques, l’Elysée décide donc de tirer du pétrin l’ami de Nazarbaïev.

 Au même moment, plusieurs autres contrats sont en effet en cours de négociation avec le Kazakhstan, dont la vente de 45 hélicoptères civils EC 145 d’Eurocopter. Selon Mediapart, plusieurs rencontres se sont déroulées à ce sujet en 2009 entre Chodiev, deux dirigeants de la maison mère d’Eurocopter EADS (dont le numéro 2 du groupe, Marwan Lahoud), et le conseiller Asie centrale de l’Elysée, Damien Loras. Selon Etienne des Rosaies, Eurocopter tentait aussi de «développer un premier marché d’environ 50 hélicoptères de combat en Russie». Chodiev étant «très proche à la fois de Medvedev et Poutine», il «est donc incontournable pour soutenir notamment ce projet», écrivait-il dans sa note.

L’Elysée s’active

Dès la fin 2009, une «équipe» spéciale est montée au Château pour tenter de sauver Chodiev en Belgique. Le «coordonnateur» est l’ancien préfet Etienne des Rosaies, officiellement conseiller chargé de la filière équestre. Le «pilote» et «officier traitant de Chodiev» est Damien Loras. Comme l’a révélé le Vif, Chodiev lui a d’ailleurs offert en septembre 2009 une montre en or et crocodile d’une valeur de 44 000 euros (l’intéressé jure l’avoir laissée dans un coffre à l’Elysée).

L’oligarque explique aussi à Loras qu’il cherche «un avocat d’affaires international». «J’ai immédiatement suggéré Catherine Degoul (que vous connaissez… déjeuner à l’Elysée), avec qui nous avons monté une équipe technique […] et politique en France et en Belgique», écrit Etienne des Rosaies à Guéant.

Catherine Degoul, l’avocate niçoise choisie par l’Elysée, se met au travail avec des confrères belges. L’objectif est d’abord de convaincre les juges d’outre-Quiévrain de mettre fin aux poursuites. En parallèle, la lune de miel se poursuit entre Paris et Astana : le 26 octobre 2010, Sarkozy et Nazarbaïev signent à l’Elysée de nouveaux accords pour 2 milliards d’euros, dont les locomotives d’Alstom et les EC 145 d’Eurocopter, qui seront assemblés dans des usines kazakhes.

Changer la loi belge

Mais, en Belgique, les juges se montrent inflexibles envers Chodiev et ses deux associés. L’«équipe» de l’Elysée décide alors de faire changer la législation belge, afin d’y introduire une disposition permettant d’annuler les poursuites en échange d’une transaction financière. Selon la note d’Etienne des Rosaies, l’homme clé de cette opération côté belge est l’homme politique libéral Armand de Decker, qui est à la fois l’un des avocats de Chodiev et le vice-président du Sénat : «J’ai obtenu le soutien déterminant [d’] Armand de Decker, qui nous a apporté l’ « adhésion » des ministres de la Justice, de la Défense et des Affaires étrangères.

Et qui a « engagé » le vote (à l’unanimité) de son parti libéral pour modifier la [loi]», écrit-il. Plus fort encore, c’est même «Catherine Degoul qui a été le principal rédacteur de ce nouveau texte, à la demande expresse du ministre de la Justice et du procureur général du roi» !

De Decker a formellement démenti dans la presse belge avoir téléguidé la disposition législative. Mais elle a bien été votée le 31 mars 2011, dans des conditions troubles, qui avaient ému des parlementaires à l’époque. «Nous avions des soupçons, mais on pensait que ça venait des diamantaires», raconte le député écolologiste Georges Gilkinet. La loi a d’ailleurs été modifiée dès le 11 juillet.

Victoire et contrats

Mais, entretemps, Chodiev et ses deux associés ont eu le temps d’en profiter. Le 17 juin, «Catherine Degoul a signé ce fameux protocole d’accord avec la justice belge annulant tous les chefs d’inculpation du trio» en échange d’une amende de 23 millions d’euros, se félicite Etienne des Rosaies dans sa note. Les Kazakhs récupèrent aussi «leurs bien immobiliers (5 propriétés) et leurs avoirs financiers».

Chodiev «m’a assuré de sa gratitude pour notre succès concernant sa situation judiciaire en Belgique et il soutiendra Eurocopter [en Russie]», écrit Etienne des Rosaies à Guéant. Il ajoute qu’il a «informé […] de cette affaire» le général Benoît Puga, chef d’état-major particulier de Sarkozy (qui l’est resté sous Hollande) en vue d’une «action vers Eurocopter».

Coïncidence, le 27 juin, soit dix jours après la signature du protocole belge, le Premier ministre François Fillon et son homologue kazakh Karim Massimov signent à Paris une série de contrats, dont celui finalisant l’accord de 2010 sur les 45 hélicoptères EC 145, dont les tronçons livrés aux Kazakhs sont fabriqués… en Allemagne.

Eurocopter, dont le site de La Couneuve a été perquisitionné le 8 septembre, a indiqué mardi que le contrat kazakh «a été et reste conduit de façon parfaitement légale et appropriée». «Il n’y a aucune vente d’appareils de guerre à la Russie qui dispose de sa propre industrie. Sur le plan légal, nous n’avons pas eu de campagne militaire», précise-t-on chez Eurocopter.

Les juges d’instruction vont désormais vérifier la version des faits donnée par Jean-François Etienne des Rosaies dans sa lettre à Claude Guéant. Ils vont surtout tenter d’établir ce que sont devenus les millions d’euros versés par Chodiev sur le compte de l’avocate Catherine Degoul. En plus des 300 000 euros reçus par Etienne des Rosaies, les enquêteurs cherchent à savoir si cet argent aurait été utilisé pour corrompre des politiques belges. Et si une partie du magot serait revenue en France sous forme de retrocommissions.

YANN PHILIPPIN
 

 

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