«Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important» François Mitterrand à propos de l’extermination en cent jours d’un million de Tutsis par le gouvernement Hutu rwandais soutenu par l’Etat français. La France peut se prévaloir d’un curriculum interminable de contrée génératrice de massacres et de génocides. De Napoléon Bonaparte à Jacques Chirac, en passant par Charles de Gaulle et François Mitterrand, beaucoup de chefs d’Etat français ont contribué au naufrage d’une nation que l’on disait autrefois hautement civilisée. Comment un pays, qui a tant de sang sur les mains et tant de cadavres dans ses placards, peut-il se permettre de s’ériger en parangon de vertu donneur de leçons ? D’où vient-il qu’un pays comme la France, qui s’autoproclame patrie des Droits de l’Homme, développe une telle admiration morbide pour les tueries et les génocides Témoignages essentiels Les souffrances endurées à regarder les indispensables «Tuez-les tous» de Raphaël Glucksmann, «La victoire aux mains nues» de Sidiki Bakaba, «L’assassinat de Félix Moumié. L’Afrique sous contrôle» de Frank Garbely, «1802, l’épopée guadeloupéenne» de Christian Lara ou «Seigneur de guerre» d’Andrew Nicoll, à défaut de fournir une explication formelle, confrontent le spectateur à une irrespirable réalité. Impossible d’en ressortir indemne, parce que les heures passées à ingurgiter des abominations historiquement justes et vérifiées, en tanguant entre fascination et répulsion jusqu’à tomber dans le gouffre d’une impuissance nauséeuse, finissent par provoquer un sursaut de révolte, tout au moins chez les victimes des exactions perpétrées et leur descendance. Ces films et documentaires, véritables coups de poing dans l’abdomen, interpellent, en posant un regard froid sur un cynisme d’Etat sans limites. Et ils soulèvent également la problématique de la responsabilité individuelle et collective. En 2006, la culpabilité du peuple français dépasse de loin celle de l’Allemagne nazie Plus de soixante ans après la mort d’Hitler et la fin de la IIème guerre mondiale, les Allemands portent encore sur leurs épaules l’opprobre de la Shoah. Mais le peuple français, voyeur des crimes repoussants dont ses dirigeants sont les artisans et qui se perpétuent jusqu’à ce jour, demeure impavide. Il est intéressant d’observer la réaction des citoyens français ordinaires, qui consiste à rejeter sur leurs hommes politiques et sur eux seuls, la responsabilité de cette inhumanité récurrente, des horreurs commises et du déshonneur, quand ceux-ci sont trop criards pour être occultés. La lâcheté, l’aveuglement, l’indifférence dont l’opinion publique française fait preuve quotidiennement démontrent, plus qu’un renoncement, une ambition irrépressible à se donner l’image d’un peuple supérieur aux autres. L’Etat français, fort de l’assentiment silencieux de ses populations, a revu et corrigé le principe nietzschéen du surhomme: s’appliquant aux Africains, il a créé le concept du «non-homme». Et l’effrayant parallélisme entre la France d’aujourd’hui et l’Allemagne national-socialiste d’Adolf Hitler ne s’arrête pas là. Malgré cinq siècles d’implication de la France dans la déportation esclavagiste (Guadeloupe, Haïti), les expéditions coloniales en Afrique, les hécatombes (Algérie, Cameroun, Côte d’Ivoire, Madagascar, Nigeria, Rwanda) et les meurtres (Ben Barka, Félix Moumié, Dulcie September), l’opinion gauloise se refuse encore et toujours à briser ses propres tabous et persiste à se confiner dans une posture faite d’infantilisme, d’irresponsabilité et de complicité devant des crimes atroces exécutés en son nom, entraînant inévitablement sa damnation dans la psyché des Africains. Alors que les Allemands d’hier et d’aujourd’hui reconnaissent leur culpabilité collective dans la mise en oeuvre du judéocide initié par Hitler, le monstrueux peuple frère français, lui, dans l’amnésie, la cécité et l’impunité, reconduit ad vitam aeternam son inhumanité et le nihilisme exterminateur de ses gouvernants envers l’Afrique. A l’hideuse réalité, les Français privilégient de succomber à la propagande d’Etat, qui leur fait croire en la bonté de la France envers ces «pauvres nègres», qui n’ont rien à manger, rien dans la tête et ne savent que entre-tuer. Charles de Gaulle, machine à tuer du nègre et du maghrébin Depuis des siècles, la politique française en Afrique laisse derrière elle un malodorant et sanglant sillon. Elle fait usage de toutes les formes de guerres – la diplomatique, la militaire, la logistique, la médiatique, la financière – contre des Etats et des peuples qui, bien qu’ils soient considérés comme quantités négligeables dans l’imaginaire populaire hexagonal, sont d’une importance capitale pour les intérêts géostratégiques et la stabilité économique de la France. Le 8 mai 1945, à Sétif, Guelma, Kherata et Djidjelli en Algérie, le gouvernement français issu de la Résistance et dirigé par Charles de Gaulle va exercer une dantesque répression en faisant tuer 45 000 Algériens dont le crime est d’avoir osé manifester pour réclamer leur indépendance. Plus tard, le 17 octobre 1961, ce sont plus de 325 ressortissants Algériens qui sont massacrés à Paris par la police française sur ordre du préfet Maurice Papon, pour avoir protesté contre l’instauration d’un couvre-feu sélectif ne concernant que «les Français musulmans d’Algérie». Alors que de Gaulle préside encore aux destinées de l’Hexagone, le feu tombe du ciel sur le quartier Congo à Douala le 24 avril 1960. Soupçonnant la présence de plusieurs combattants du mouvement indépendantiste de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), les forces françaises bombardent le quartier au napalm, condamnant à mort tous les habitants. Ceux qui tentent de fuir l’incendie sont aussitôt abattus par les troupes qui encerclent le quartier. Plusieurs milliers d’enfants, de femmes et d’hommes périssent en quelques heures, et leurs corps sont rapidement jetés dans des puits. Le lendemain matin, le quartier Congo est un no man’s land. Par la suite, pour casser la résistance qui s’est repliée dans les massifs de l’Ouest du pays, un officier français, le colonel Lamberton, s’attache à déclencher une névrose collective en mettant en doute la légitimité de l’appartenance des Bamiléké au paysage ethnique camerounais. «Le Cameroun s’engage sur les chemins de l’indépendance avec dans sa chaussure un caillou bien gênant. Ce caillou, c’est la présence d’une minorité ethnique, les Bamiléké, en proie à des convulsions dont ni l’origine ni les causes ne sont claires pour personne. Sans doute, le Cameroun est-il désormais libre de suivre une politique à sa guise et les problèmes Bamiléké sont du ressort de son gouvernement. Mais la France ne saurait s’en désintéresser. Ne s’est-elle pas engagée à guider les premiers pas du jeune État et les problèmes, ne les lui a-t-elle pas légués non résolus?» Sous la houlette de Jacques Foccart, éminence grise de de Gaulle en matière de gestion des affaires africaines, qui commandita l’assassinat à Genève du leader de l’UPC Félix Moumié, une campagne militaire est menée dans l’Ouest du Cameroun, qui conduit à la quasi éradication de toute une tribu. Selon l’un des acteurs de ce carnage, le pilote d’hélicoptère français Max Bardet «En deux ans, de 1962 à 1964, […] ils ont massacré de 300 000 à 400 000 personnes. Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. Sagaies contre armes automatiques, les Bamiléké n’avaient aucune chance». Pierre Guillauma, ministre français des Armées de l’époque, qualifiera plus tard de «convenable» l’écrasement de la révolte Bamiléké par le corps expéditionnaire français appuyant l’armée d’Ahmadou Ahidjo, désigné par Paris comme président du Cameroun. Quant à Pierre Messmer, alors Haut-Commissaire, c’est avec une jubilation non dissimulée qu’il admet l’existence de «camps de regroupement» en pays Bassa (Sanaga Maritime au Cameroun), suivant le modèle des camps de concentration allemands: «C’était des camps avec des barbelés. Vous savez, j’avais été prisonnier quelques temps dans un camp en Allemagne, alors je savais comment ça se passait», déclare-t-il au réalisateur suisse Frank Garbely en éclatant de rire. En 1966, de Gaulle décide d’encourager les sécessionnistes biafrais. En effet, pour l’Elysée, un morcellement du Nigeria offre non seulement une opportunité de freiner l’ingérence soviétique aux portes de sa «zone d’influence», mais surtout une nouvelle source d’approvisionnement en pétrole, la France étant devenue particulièrement dépendante depuis la «perte» de l’Algérie. Sous couvert d’une action «humanitaire», et avec l’aide de ses serfs Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire et Albert (Omar) Bongo du Gabon, Foccart fait livrer des armes aux Biafrais huit mois avant leur déclaration d’indépendance (un DC4 en transportant s’écrasera d’ailleurs le 11 octobre 1966 au Cameroun). Malgré le fait qu’elle la sache vouée à la défaite, la France soutient jusqu’au bout la guerre du colonel Ojukwu contre l’armée nigériane, qui se soldera par plus d’un million de morts. François Mitterrand, incarnation du Mal absolu En s’affranchissant de toute possibilité d’être condamnés, le peuple et les gouvernements successifs français s’attribuent de facto le droit de récidiver à l’infini l’exercice et la banalisation du Mal. Mieux que tous les chefs d’Etat français qui l’ont précédé, Mitterrand fait preuve d’une terrifiante lucidité à décider et à appliquer l’horreur, dès lors qu’il s’agit de l’Afrique. En 1986, alors que le régime d’apartheid est frappé d’un boycott international consécutif au massacre des écoliers de Soweto, la France livre, avec l’aide des autorités ivoiriennes de l’époque, armes, pétrole, charbon et technologie nucléaire à P.W. Botha, président raciste d’Afrique du Sud. La représentante de l’African National Congress (ANC) en France, Dulcie September, en possession d’informations explosives sur ce trafic, devient un danger pour le gouvernement français. Elle est tuée à bout portant de cinq balles le 29 mars 1988, après que le ministre de l’Intérieur français de l’époque, Charles Pasqua, lui ait refusé une protection policière malgré les menaces dont elle avait fait l’objet. D’après l’enquête de la journaliste hollandaise Evelyne Groeninck, l’assassinat a été commis par Jean-Paul Guerrier, adjoint de Bob Denard, le mercenaire agréé de l’Etat français, cheville ouvrière de la plupart de ses coups fourrés et manigances inavouables en Afrique. Il aurait été commandité par un service sud-africain en liaison avec la DGSE. Grâce à la disparition opportune de Dulcie September, la France mitterrandienne a pu éviter des révélations compromettantes sur son contournement du boycott du régime de l’apartheid décidé par l’ONU et sur le fait qu’elle était devenue le premier fournisseur d’armes de Pretoria. Mitterrand a été très proche d’un des principaux collabos français pendant l’occupation allemande: René Bousquet, secrétaire général à la police de Vichy. Serait-ce ces expériences vichyssoises qui lui ont donné l’envie de mettre en œuvre son génocide à lui, et d’accomplir l’impensable ? Toujours est-il que son action sur le continent Noir fut aussi ravageuse pour les Africains que celle d’Hitler le fut pour les Juifs. Un petit pays d’Afrique australe allait devenir son terrain de jeu. Dès l’indépendance du Rwanda, les Tutsis, ethnie minoritaire représentant 10% de la population, sont victimes d’un véritable apartheid et obligés de fuir dans les pays voisins. Après avoir à plusieurs reprises tenté un retour dans leur pays, les Tutsis se dotent, à la fin des années 80, d’une organisation politico militaire, le Front Patriotique Rwandais (FPR), auquel se joignent des opposants Hutus modérés, qui lance, depuis l’Ouganda, ses troupes à l’assaut du régime ethno raciste de Juvénal Habyarimana, le 1er octobre 1990. «Il y a avait plusieurs options: premièrement, rester des réfugiés et des apatrides perpétuels; deuxièmement, continuer à espérer qu’un jour, la communauté internationale résoudrait le problème ou enfin, faire face à la triste réalité et comprendre que, l’oppression étant exercée par la force, il fallait s’y opposer par la force», explique Paul Kagame, chef du FPR et actuel président de la République rwandaise. Pendant les quatre années qui suivent, Habyarimana et les siens mettent tout en œuvre pour transformer une guerre politique en une guerre raciale, qui opposerait Hutus et Tutsis. Et pour cela, ils ont des alliés de choix: le président français François Mitterrand, qui co-produira sans état d’âme le dernier génocide du 20ème siècle; le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies Boutros Boutros-Ghali, qui inondera la communauté internationale de contrevérités et d’euphémismes scandaleux; et le sous-secrétaire général responsable des opérations du maintien de la paix à l’ONU, Kofi Atta Annan, qui , en avril 1994, opposera une fin de non-recevoir sans appel à la demande de renforts qu’avait émise le commandant de la Mission des Nations Unies au Rwanda (MINUAR), le général canadien Roméo Dallaire, pour pouvoir démanteler des caches d’armes suffisamment importantes pour tuer 1000 Tutsis en vingt minutes: «Il doit être bien compris que si la MINUAR est en mesure d’offrir de l’aide ou de l’assistance dans de telles opérations, elle ne peut pas, je le répète, elle ne peut pas jouer un rôle actif dans leur exécution. Le rôle de la MINUAR est strictement un rôle de surveillance.» Prenant pour prétexte la défense de l’influence française en Afrique, François Mitterrand fournit une aide totale au régime fasciste d’Habyarimana. Depuis son arrivée au pouvoir en 1981, il entretient des rapports très étroits avec les dirigeants du Rwanda, qui se situe à la limite de la sphère anglophone et qui commande l’entrée au Zaïre et à toutes ses richesses. Son fils, Jean-Christophe, qui dirige la cellule africaine de l’Elysée, se rend d’ailleurs très souvent à Kigali. «On constatera une complicité incroyable, un compagnonnage auquel on ne comprendra rien entre Jean-Christophe Mitterrand, fils du Président français, et Jean-Pierre Habyarimana, fils du Président rwandais», témoigne Thérèse Pujolle, chef de la mission française de coopération civile à Kigali de 1981 à 1984. Ainsi, faisant suite à la demande du dictateur putschiste, la France s’engage directement aux côtés de l’armée rwandaise à travers l’opération Noroît et freine momentanément l’offensive militaire du FPR d’octobre 90. Parallèlement, les forces françaises forment et encadrent l’armée hutu, qui elle-même entraîne la jeunesse du parti au pouvoir, organisée en milices de la mort, les Interahamwe et les cellules «d’autodéfense» créées dans les villages. Concomitamment, le Crédit Lyonnais prête les fonds nécessaires à l’achat des armes (machettes et fusils) pour procéder à l’anéantissement des Tutsis. L’entourage d’Habyarimana se radicalise de plus en plus. A travers la Radio Télévision des Mille Collines, porte-voix des terroristes radicaux du Hutu Power, dirigée par Ferdinand Nahimana et co-financée par l’épouse du président, la haine est propagée, les appels aux meurtres et aux massacres lancés. Même le président Habyarimana est menacé ouvertement, parce que subitement trouvé trop modéré. La radio annonce, à mots couverts, son assassinat pour Pâques 1994 et demande aux Hutus d’être prêts pour une action de grande envergure. Et en effet, l’avion de Juvénal Habyarimana est abattu alors qu’il atterrit sur Kigali le 6 avril 1994. C’est le signal de départ, le prétexte opportun pour «un génocide sans importance», dixit François Mitterrand, mais minutieusement préparé de longue date et qui coûtera la vie à un million de personnes en cent jours. Pour Mitterrand, le jeu du pouvoir devient la toile de fond d’un projet politique qui lui-même n’est plus la finalité, mais la justification de comportements et de jeux d’alliances horribles. Dès le départ, il adhère au principe du génocide. En janvier 1992 à Paris, Paul Dijoud, directeur des affaires africaines et malgaches au Quai d’Orsay, dont l’adjoint est l’actuel Premier Ministre français Dominique de Villepin, s’adresse en ces termes à Paul Kagame: «Vous devez arrêter de combattre et laisser Habyarimana vous absorber et régler vos problèmes. Tout d’abord, vous ne pouvez pas vaincre les forces gouvernementales et prendre le pouvoir; vous perdez votre temps. Mais de toute façon, si jamais vous arriviez à Kigali et preniez le pouvoir, vous ne trouveriez plus aucun des vôtres en vie.» La France ne se contente pas seulement d’être l’unique pays occidental à reconnaître la légitimité du Gouvernement Intérimaire exterminationniste antitutsi; elle va le co-constituer lors de réunions qui ont lieu dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali. Elle déclenche l’opération Amaryllis (dirigée par le général Poncet, que l’on retrouvera plus tard à la tête de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire), officiellement pour évacuer quelques 1500 Européens, et plus discrètement, les piliers du Hutu Power, (parmi lesquels la veuve Agathe Habyarimana, dure parmi les durs du régime) mais dont l’objectif réel est la livraison d’armes aux génocidaires Hutus. Des officiers français prennent une part active à l’ethnocide sur le terrain. Mobilisées par l’extermination des Tutsis, les forces gouvernementales, assistées par les troupes françaises, sont incapables de freiner l’avancée de l’armée de Kagame. Le choix politique de l’axe Kigali-Paris est clair: le génocide doit primer sur le conflit militaire avec le FPR. L’avancée victorieuse des troupes Tutsis fait cesser les massacres, mais est un cauchemar pour l’Elysée. Mitterrand envisage alors d’entrer frontalement en guerre contre la seule force qui met fin au génocide, et met sur pied l’opération Turquoise, une mission «humanitaire» des plus douteuses. Déploiement d’avions Jaguar et Mirage, d’hélicoptères d’attaque, de centaines de véhicules blindés, de gros mortiers, mais très peu de matériel nécessaire à la conduite d’une mission humanitaire. Renonçant finalement à attaquer le FPR à Kigali, les militaires de l’opération Turquoise, qui sont acclamés et fêtés par les génocidaires, protègent le repli de l’armée défaite Hutu et permettent un exil salvateur vers le pays du très francophile Mobutu, le Zaïre. Comme dernière mesure de rétorsion contre ceux qui ont contrecarré son gigantesque plan d’épuration ethnique, la France bloquera toute aide financière de la Banque Mondiale et de l’Union Européenne au nouveau gouvernement Tutsi de Kigali jusqu’au 25 novembre 1994. Sous la direction de François Mitterrand, la France, pendant quatre ans, s’est rendue coupable de génocide, d’entente en vue de commettre un génocide, de complicité de génocide et de crime contre l’humanité. Le génocide est un crime qui interpelle l’humanité dans son ensemble; reconnaître son existence est un devoir qui s’impose à tous, car la nier revient à en banaliser l’horreur. Reconnaître sa responsabilité dans la perpétration d’un génocide ou d’un massacre à grande échelle et en accepter la sanction est non seulement le premier pas vers la rédemption, mais évite également d’insulter la mémoire des victimes et permet à ceux qui ont survécu aux actes de barbarie de commencer à faire leur deuil et à se reconstruire. Interrogé sur l’absence de résipiscence de l’Etat français quant à sa grave implication dans le dernier génocide du XXème siècle, Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée au moment des faits et personnage aussi nuisible que Jacques Foccart, se gausse de cette «espèce de mode un peu religieuse, cette manie de la confession». Il y aurait eu tellement d’horreurs commises depuis la nuit des temps que l’on pourrait passer des journées entières à se repentir; il y a mieux à faire. Alain Juppé, ministre des Affaires Etrangères du gouvernement de cohabitation français pendant le génocide – celui que Jacques Chirac appelle affectueusement «le meilleur d’entre nous» – va plus loin: «Je conçois un sentiment de légitime fierté dans la manière dont la France a montré l’exemple. Il m’était arrivé dans ma vie politique de faire des erreurs. Dans ce cas précis, si c’était à refaire, je le referai exactement de la même manière, avec la même conviction, avec le même enthousiasme». Un jour, les Erinyes s’abattront sur les citoyens français Etablir une comparaison entre l’acte meurtrier d’Oradour-sur-Glane par les Allemands en 1944, le rayage de la carte du quartier Congo au Cameroun par les hommes de de Gaulle en 1960 et le massacre d’Ivoiriens devant l’Hôtel Ivoire par la force française Licorne en 2004 peut paraître intolérable à la sensibilité hexagonale, mais il est évident que pour les victimes, il n’y a aucune différence. La France abhorre que l’on remue son passé qui laisse trop souvent remonter à la surface les actes nauséabonds qui jalonnent son histoire. Pourtant, comme à Faust, une main lui a été tendue à plusieurs reprises pour qu’elle puisse se racheter. Mais épouvantable et entêtée, elle l’a toujours refusée. Aucune nation, aussi démocratique soit-elle, n’est à l’abri de telles abominations, qui sont certes pensées et planifiées par des intellectuels, des énarques, de politiques, des économistes, mais bel et bien admises et avalisées par des hommes ordinaires. Les contribuables français sont descendus par centaines de milliers dans les rues pour manifester contre la guerre annoncée des Etats-Unis en Irak. Mais aucun ne s’est levé pour s’ériger une seule fois contre les afrocides itératifs exécutés en son nom, avec son argent, par ses dirigeants sur les terres d’Afrique, dont les richesses sont pillées pour lui permettre de bien vivre, pendant que les propriétaires légitimes, spoliés, arrivent difficilement à survivre, quand ils ne sont pas tout simplement éliminés. Alors que l’Etat français a brutalement et sciemment ôté la vie à plusieurs millions d’Africain(e)s – et continue de le faire –, l’opinion publique hexagonale, endoctrinée, feint d’être frappée d’aphonie, d’amnésie, d’agnosie et de cataracte sélectives, pour mieux faire perdurer une tradition d’Etat de révisionnisme et de négationnisme. Les Français seront-ils un jour capables de détruire l’essence même de la cruauté qui les caractérise ? «Hitler, Himmler, Heydrich deviendront des noms comparables à Napoléon, Robespierre ou Saint Just» avait prophétisé Jean Amery, philosophe juif autrichien rescapé d’Auschwitz (1912-1978). Aujourd’hui, on peut ajouter de Gaulle, Mitterrand et Chirac à cette liste démoniaque, eux qui, grisés par leur pouvoir, ont accompli l’insoutenable en transgressant naturellement leurs devoirs d’humanité envers l’Afrique et le reste du monde. Mahalia Nteby