Restitue !

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L’argent ? Mais je ne suis pas seul à le leur avoir pris. Nous sommes tous partie prenante. Nous, je veux dire, même les dirigeants de la soi-disant opposition. 

« Et c’est un peuple pillé et dépouillé!
On les a tous pris au piège dans des fosses,
Dissimulés dans des cachots
Ils ont été mis au pillage,
Et personne qui les délivre!
Dépouillé et personne qui dise:
Restitue! »
Esaïe 42, 22

Le grand problème pour beaucoup de nos concitoyens, c’est celui de la hantise d’une restitution inévitable. Tous ou presque, nous avons quelque chose à restituer au peuple togolais. Usurpateurs, voleurs, brigands, ou simples débiteurs, drapés dans de brillants manteaux de mensonge, de dissimulation, effectuant toutes les acrobaties imaginables pour y échapper, mais toujours à l’affût de la prochaine occasion de rapine, de rapt, insatiables, dents longues et aiguisées, ils tremblent à l’idée de cette restitution. Et cela commence par celui qui, contre toute loi humaine ou divine, a accaparé le pouvoir qui n’appartient qu’au peuple. On a écrit, « en prose ou en rimaillant », pour paraphraser un poète français du XVIe siècle nommé Clément Marot (lui, Marot, étant au moins conscient de rimailler dans ce morceau-là, plutôt que de prétendre écrire un quelconque poème): « Que le meilleur gagne! ». Meilleur en quoi? En fraude! Le recordman des actes de violence, détenteur de la coupe d’excellence dans la violation de la Constitution, médaille d’or d’une discipline politique appelée tricherie, meilleur danseur de mascarades électorales, champion dans la course aux mandats illégaux et illégitimes! Vainqueur du grand chelem de la répression des populations avides de liberté! « Que le meilleur gagne !». Ceux qui écrivent cela et qui connaissent les règles du jeu, ou plutôt l’absence de règles justes du jeu, savent très bien ce qu’ils disent, connaissent parfaitement le meilleur en matière de malhonnêteté politique. Pas étonnant : il est l’héritier d’un homme qui avait toujours été le meilleur. Que le meilleur gagne et nous pille davantage! Que le meilleur gagne et dépouille davantage le peuple togolais de ses droits! Que le meilleur gagne jusqu’à l’horizon 2030! Que le meilleur gagne et nous massacre davantage. Que le meilleur gagne et nous affame davantage. Ils savent qu’il est le meilleur dans ces domaines et lui disent qu’il va gagner, bien que chancelant. Et il veut les rassurer : je vais gagner parce que je suis un fils d’éléphant. Je vais les écraser encore ».

Et quand des voix qui refusent de tenir le même discours, des voix « étrangères »au discours rassurant, discours du système, lui disent : restitue! Tremblants de peur, ceux de son entourage lui disent : « Ne t’en fais pas. Nous étoufferons ces voix-là », nous les réduiront au silence. Ces gens sont des faux militants, faux citoyens, étrangers à notre p…p…p… ». Vous bégayez? Vous ne trouvez pas les mots? « Je ne bégaye pas! ». Vous répétez le discours du vieux RPT? Vous n’avez donc pas du tout évolué. « Je ne rép…je ne rép…Je n’ai pas évolué? Moi, Unir ? Mon discours n’est pas vieux. Voilà, j’ai trouvé le mot : il faut éloigner ces gens étranges de notre paysage, que nous avons patiemment peint pendant cinquante ans, dans des couleurs… ».

Vous voulez dire sous un vernis…? « Couleurs, pas vernis. Couleurs de paix, de bonheur, de prospérité, de solidarité… ». Je comprends : ça vous fait mal qu’on gratte ce vernis… « Oui, ça fait mal, un coup pareil! Nous n’avons pas besoin qu’on nous gratte quoi que ce soit pour découvrir de prétendues vérités. ». Si par hasard, vous voulez savoir ce qu’il faut restituer… « Il n’y a rien à restituer! Nous n’avons rien pris à personne. Les vies? Le sang? Aux hommes, aux femmes, aux enfants? Où vais-je les retrouver pour les leur restituer? Ils veulent que je reconnaisse au moins les avoir arrachés à ceux qui en étaient propriétaires, que je leur demande pardon pour ces crimes. Jamais! Mon père n’avait jamais demandé pardon à qui que ce soit et pourtant il avait vécu sa vie tranquillement. L’argent ? Mais je ne suis pas seul à le leur avoir pris. Nous sommes tous partie prenante. Nous, je veux dire, même les dirigeants de la soi-disant opposition. Nous l’avons tous dépensé en grande partie. Ils l’ont dépensé eux aussi en grande partie. Regardez nos belles villas, nos voitures luxueuses, nos beaux costumes…Restituer signifierait rendre tout cela, mais à qui?

Les miens, ceux qui parlent le langage du réalisme disent: « Accroche-toi bien. Tu n’es pas seulement un éléphant qui écrase, tu es aussi un vautour, c’est-à-dire un voleur, vole, qui peut t’attraper? Un vautour ne lâche jamais sa proie ! Serre bien tes proies dans tes puissantes griffes, pour que nous puissions aussi bien serrer les nôtres. Restituer quoi, pour parler comme ton père. La constitution? Il faudra aller ressusciter mon père pour lui en parler, car c’est lui qui me l’a donnée, cette constitution, désormais ma constitution. Pas question d’aller recoudre celle que mon père avait déchirée en mille morceaux. Ce serait un travail de fou. Je laisse les fous crier. Restituer quoi? La loi? Qu’est-ce qui rime avec loi? Je suis poète, moi aussi. Chacun sa poésie. Ce qui rime avec loi, c’est moi. Et avec moi, c’est roi. Et avec roi, c’est droit. J’ai le droit de faire ce que je veux. En tout cas, pas toi. La République? Qui vous dit qu’on n’a pas la République comme tout le monde? Mon père et moi, nous avons décidé que cela, cette chose, publique ou privée, que vous dites privée va s’appeler République. C’est un ordre! Nous sommes, mon père et moi, maîtres des mots, même si nous ne les avons pas inventés, même s’ils signifient autre chose ailleurs. Il en est de même pour la démocratie, l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle…Et la science, surtout la science politique. Mon père était fort et moi, je suis…devinez?

Naturellement, je suis fort. C’est pourquoi il m’a donné comme prénom le nom d’un colon, pardon général, afin que je sois fort comme un général de la coloniale. Tant pis si vous dites que notre authenticité familiale, notre idéologie nationale, nous sommes allés la chercher bien loin. Mon père et moi nous sommes un. Nous sommes dieux chez nous. Ne prêtez pas attention quand je dis que lui c’est lui, moi, c’est moi. C’est du bluff, je le reconnais. Quoi? Ils crient encore : « Restitue! Restitue! Restitue! »? Je n’ai rien pris à personne. Je ne dois rien à personne! J’ai tout hérité de mon père. Et mon père n’avait jamais rien restitué. Donc je ne restitue rien! » Vous devez, prince, l’avoir bien étroit, ton père et toi… « Quoi? Notre chemin? Le chemin royal ? Mais, c’est le chemin des élus, des prédestinés, des hommes supérieurs… ». Ce n’est pas ce que je voulais dire, mais on peut l’admettre ainsi. Des hommes supérieurs à l’esprit étroit! « Étroit? Tu veux nous insulter, mon père et moi? » Ce n’est pas cela mais, prince, faisons vite: la rumeur se rapproche: Restitue!Restitue!Restitue! Elle s’amplifie, grandit, alimentée par de nombreux torrents, devient un fleuve… « Un fleuve susceptible d’emporter un solide éléphant? » Oui, un fleuve impétueux, fougueux, irrésistible! « Je…j’érigerai des digues, avec des cadavres, s’il le faut, comme toujours pour les stopper ». Mais le mouvement devient un tsunami, tu n’y puis rien, prince, éléphanteau. J’entends comme la voix, grossie dix mille fois, un million, deux millions de fois d’un chantre populaire des années 50 du nom d’Atchoglo, un poète à sa manière, une sorte d’Esaïe, retentir partout :

« Ma gbloe ma kuee
Ma gbloe ma gãe
Nya ya a zu kãlĩnya

Ce qu’on peut traduire par :
A ma mort, à ma vie! Je le dirai. C’est une parole de brave. Ça veut dire que le tsunami de voix ne recule devant rien, n’a plus peur de rien. « Comment ? Même pas d’être submergé, englouti par un fleuve dont j’ai le secret, un fleuve de sang ? » Rien ne peut l’arrêter : Restitue! Restitue! Restitue!

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

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