Faure Gnassingbé (à droite) a pu succéder à son père à la suite d’un double coup d’État militaire et constitutionnel, en 2005.
J’ai lu avec intérêt l’éditorial de Guy Taillefer (« Apprendre à partir », Le Devoir, 21 décembre 2015) au sujet des présidents des États africains qui modifient la constitution pour s’éterniser au pouvoir. Le Togo est le premier et le plus vieil exemple de présidents (de père en fils) qui ne veulent pas quitter le pouvoir. Mais, à tort ou à raison, c’est le cas dont les médias internationaux ne parlent pratiquement pas. Il représente un cas type qui mérite d’être connu.
Parvenu au pouvoir en 1967 après un coup d’État militaire, le général Eyadema Gnassingbé (père) a dirigé le Togo d’une main de fer pendant 38 ans (1967-2005). À la faveur du vent de la démocratie qui a soufflé sur l’Afrique dans les années 1990, une nouvelle constitution, limitant la présidence à deux mandats de cinq ans, a été adoptée par référendum en 1992. Eyadema Gnassingbé a remporté les élections pluralistes (mascarades) de 1993 et de 1998. Mais en 2002, il modifie la constitution et brigue un troisième mandat en 2003.
À sa mort, le 5 février 2005, l’armée fomente un double coup d’État militaire et constitutionnel qui permet à Faure Gnassingbé (fils) de succéder à son père après des élections frauduleuses et violentes (avril 2005) qui ont fait plus de 500 morts. Les manifestations du collectif des partis d’opposition et de la société civile pour restaurer la constitution de 1992 sont constamment réprimées par les forces de l’ordre. Et Faure a été réélu en 2010 (2e mandat) et tout récemment en avril 2015 (3e mandat). Au terme de celui-ci, il aurait été au pouvoir pendant 15 ans (2005 à 2020). Gnassingbé père a gouverné le Togo pendant 38 ans. Au total, une famille aura dirigé le pays pendant plus d’un demi-siècle (53 ans). C’est ce qu’on peut appeler une « dynastie présidentielle » à l’africaine. Le Togo est aussi le premier pays d’Afrique subsaharienne où le premier président, Sylvanus Olympio, démocratiquement élu en 1960, a été assassiné lors d’un coup d’État militaire en 1963 dans lequel était impliqué Eyadema Gnassingbé.
Des facteurs favorisants
Quatre facteurs au moins favorisent ce refus persistant de quitter le fauteuil présidentiel. Le premier est le mythe fondateur du « chef africain » qui doit mourir sur le « trône ». Dans les temps modernes, c’est le toilettage de la constitution qui incarne ce mythe. Le deuxième élément est l’armée sur laquelle s’appuient les présidents africains. Dans le cas particulier du Togo, elle est largement fondée sur une base familiale, clanique et ethnique. Elle est pléthorique (plus de 25 000) par rapport à la population totale du pays, estimée à 5 millions. Elle joue le rôle de garde prétorienne. Mais use aussi de la violence militaire comme mécanisme de régulation de la vie sociale et politique. L’armée est formée et assistée par les grandes et moyennes puissances (France, États-Unis, Israël, Afrique du Sud).
Le troisième facteur est l’immense richesse amassée par les présidents et qui leur permet d’entretenir la famille, le clan, les courtisans, un réseau international de conseillers, etc. Cette gouvernance autoritaire favorise aussi l’enrichissement d’une minorité qui tire ses revenus de l’aide internationale au développement et d’une économie illicite dont les marchandises sont la drogue, la fausse monnaie, les pierres et les métaux précieux, les déchets toxiques, les fraudes douanières, etc. En quatrième lieu, les liens néocolonialistes maintiennent le Togo, en particulier, dans le pré carré de la France, qui soutient la dictature togolaise depuis 1967.
Si au moins le fait de s’accrocher au pouvoir se traduisait par le développement du pays… Mais non. La paupérisation des populations togolaises va en grandissant avec le temps. Les hôpitaux, les établissements scolaires, les universités, etc., sont en déliquescence. Les jeunes diplômés chôment et se « débrouillent » pour vivre. S’éterniser au pouvoir en brisant constamment le pacte social est le reflet des dictatures en Afrique. Le plus vieux cas en Afrique est le Togo. Sa perpétuation peut s’expliquer par les quatre facteurs présentés ci-dessus. Mais ceux-ci ne sauraient résister plus longtemps aux forces sociales porteuses de la démocrat.
Yao Assogba
– Néo-Québécois d’origine togolaise. Professeur émérite de l’Université du Québec en Outaouais (UQO)
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