Qu’est-ce qui déclenche l’orgasme ?

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Imprévisible et fragile, la jouissance féminine est plus mystérieuse que celle de l’homme. Moins « mécanique », elle est soumise à de nombreux paramètres émotionnels qui peuvent la bloquer. Estime de soi, lâcher-prise, confiance en l’autre… Voici des clés pour mieux s’abandonner.

 Rapide ou lent, intense ou fortuit, aisé ou laborieux… L’orgasme féminin est une jouissance fragile, imprévisible, qui surgit alors qu’on ne l’attend pas ou s’éclipse en dépit de prémices prometteuses. Pourquoi est-il plus difficile pour les femmes que pour les hommes ? Parce que les inquiétudes des hommes reposent davantage sur le désir que sur le plaisir : non pas « vais-je jouir ? », mais « vais-je bander ? ». Les femmes savent, elles, que leur plaisir est indépendant de leur désir. Pour autant, loin des recettes faciles, on peut tenter d’en comprendre et d’en lever les blocages.

L’estime de soi

Cette confiance en soi qui aide à mieux vivre au quotidien est essentielle dans l’accès à l’orgasme féminin. En matière de sexualité, elle passe par la confiance en son corps, en l’image qu’il renvoie. Rien à voir avec un corps parfait : au contraire, l’obsession de la perfection peut créer un conflit intérieur, comme la peur de se montrer nue, le refus d’être caressée à certains endroits ou le contrôle de son image pendant l’amour… Les mensurations, la forme des seins ou la grosseur des cuisses n’ont rien à voir avec la certitude intime que le corps possède la capacité de donner et de recevoir du plaisir.

Posséder ce sentiment intime de sécurité, c’est cesser de penser l’orgasme en termes de challenge, apprendre à jouir à son rythme, ne pas se focaliser sur le plaisir du partenaire, ne pas attendre que le nôtre soit exclusivement dépendant du sien; c’est, enfin, accepter que l’orgasme soit l’expression naturelle d’une jouissance sexuelle qui n’appartient qu’à soi. Avoir confiance en soi, c’est encore échapper au regard culpabilisant des siècles passés – « Les femmes honnêtes n’ont pas de plaisir » – et aux injonctions implicites du nôtre – « Jouissance obligatoire et dans toutes les positions ». Personne ne sait mieux que chaque femme avec qui, quand et comment elle a envie de faire l’amour. « Jouir plus que le voisin, fantasmer plus que son collègue ou avoir plus d’amants que sa copine ne peut nous mener qu’à une impasse », résume le sexothérapeute Alain Héril.

Le lâcher-prise

Pour beaucoup de femmes, le plaisir est inquiétant – psychiquement, la pénétration n’est jamais anodine. Elles ne cessent d’alterner entre envie du pénis et peur de l’intrusion. Selon les jours, selon les moments, ces deux sentiments se succèdent. « Si le plaisir est attendu et même revendiqué, avance la psychanalyste Catherine Blanc (auteure de La sexualité des femmes n’est pas celle des magazines (La Martinière, 2004)), il continue à inquiéter l’inconscient des femmes, car elles peuvent avoir peur de l’envahissement et douter de leur capacité à accueillir le sexe de l’homme. »

À cette inquiétude s’ajoute celle d’être submergée, emportée par l’orgasme, que l’on ne dénomme pas pour rien « petite mort ». Ce plaisir ne risque-t-il pas de les engloutir ? Pourquoi ne parviennent-elles pas à se laisser aller à écouter cette petite voix qui les guide vers l’orgasme ? Parce qu’elles craignent que cette voix ne dévoile des choses pas très agréables sur elles-mêmes, un peu dégoûtantes, même ? Ou qu’elle leur fasse prononcer des obscénités qui sortiraient de leur bouche tels les crapauds s’échappant des lèvres des méchantes filles dans les contes ? Les femmes ont peur de découvrir que leur plaisir est infidèle à ce qu’elles croient et voudraient être. Lâcher ces peurs inconscientes est possible quand le cerveau peut déconnecter en vue de se concentrer sur les sensations ressenties.

La confiance en l’autre

Partenaire de vie ou rencontre d’un soir, la condition nécessaire à l’orgasme est la confiance. Car l’autre, homme ou femme, a le pouvoir extraordinaire d’inhiber ou de libérer. Pour le sexologue Jean-Michel Fitremann, auteur d’ABC de la sexualité (Grancher, 2002), « le bon partenaire est celui qui ne nous met pas en danger. Il est connecté à son désir et à celui de son partenaire, il n’a ni plan ni arrière-pensée, il laisse un espace suffisant pour une création commune ». Avec lui, rien ne semble ridicule, déplacé, répétitif ou dégradant.

Faire confiance à l’autre, c’est, une fois encore, sortir des normes imposées pour s’accompagner l’un l’autre et nourrir un dialogue émotionnel qui passe par les corps. C’est aussi cesser de porter un regard sur son plaisir : « Se laisser envahir par des pseudo-savoirs du type “les hommes aiment les fellations” enlève toute chance de se rencontrer et de rencontrer l’autre, assure la psychanalyste Sophie Cadalen, auteure de Rêves de femmes : faut-il oser les fantasmes ? (Leduc.s Éditions, 2005). Mieux vaut oublier tout ça, le plaisir n’est jamais là où les lieux communs l’attendent. » Qu’est-ce que j’aime, moi ? De quoi ai-je envie, moi ? sont les seules questions à se poser.

Des fantasmes

Faire l’amour à plusieurs, dans une église, sur une plage ensoleillée… Pour parvenir à l’acmé du plaisir, nous avons tous besoin de ces petits films intérieurs excitants qui alimentent le désir. Les scénarios les plus fréquents et, selon les psychanalystes freudiens, les plus efficaces mettent en scène des situations de domination ou d’humiliation. Pour l’homme, être manipulé par une femme experte (ou, à l’inverse, dominer une pure jeune fille). Pour la femme, être prise de force.

C’est également le constat de Claude Crépault, professeur de sexologie à l’université du Québec, au Canada. Il ne s’agit pas de masochisme, plutôt de mises en scène permettant de dire : « Je ne suis en rien responsable du plaisir que je prends, je subis le désir de l’autre. » D’après l’expert canadien, ces fantasmes sont les « plus archaïques qui soient ». Ils seraient des restes transformés de la sexualité infantile, où le désir de l’enfant se dirige vers son père ou sa mère, personnages dont il dépend et à qui il doit obéir.

Nos fantasmes les plus intimes ne donnent jamais une bonne image de nous. Ils constituent notre côté pervers, selon les freudiens. Pourtant, contrairement aux vrais pervers qui ont besoin de les mettre en acte pour jouir, les gens dits « normaux » se satisfont presque toujours de leurs rêveries érotiques, solitaires ou partagées avec le partenaire. « Rien ne risque autant de s’effondrer qu’un désir réalisé. Le réel banalise le désir. Il le vide de sa magie », écrit Claude Crépault. Vivre dans le présent, le concret, est peut-être une clé pour mieux vivre le quotidien, mais ce n’est pas la voie royale vers l’orgasme.

L’acceptation

L’orgasme est imprévisible, voire inattendu. Et il faut accepter que le plaisir soit au rendez-vous. Ou pas… « On trouve dans l’acte sexuel des sensations uniques qui n’attendent pas l’orgasme pour exister », rassure Catherine Blanc. Du ventre maternel, nous conservons le souvenir des mouvements de notre corps contre la paroi utérine. Le toucher des gestes amoureux nous renvoie à ce temps de douceur dans le contact des peaux. L’acte sexuel est un moment sublime d’incarnation des émotions. À cet instant, nous semblons n’être que sensations : des frissons, de la tension, de la détente, voire des pleurs ou des rires. « L’orgasme, poursuit Catherine Blanc, ces quelques secondes de plaisir intense, n’est que l’aboutissement de tout ça. Nous devenons émotion, et là réside la jouissance. »

L’orgasme est une danse intérieure qui, pour beaucoup de femmes, n’est donnée qu’avec le temps, celui dont elles ont besoin pour se laisser aller, entrer dans l’intimité de leurs sensations, de leurs envies, de leur désir. Découvrir une dimension nouvelle de soi, laisser son corps prendre les commandes, exprimer librement sa part animale, mais aussi cultiver le jardin de ses sens et de ses fantasmes…

Accéder à la jouissance exige que l’on dépasse la connaissance superficielle et confortable que l’on a de sa sexualité pour prendre le risque de la découverte. « Nous recevons à l’adolescence un capital sexuel, mais pour en jouir de manière enrichissante, élaborée, c’est-à-dire de manière non répétitive, il va falloir l’affiner, le développer, explique le psychanalyste Gérard Bonnet, auteur de L’Irrésistible Pouvoir du sexe (Payot, 2001). C’est le travail de toute une vie. Un travail qui demande de la curiosité et de la créativité, et que l’on fait à deux. »

Se connaître pour mieux se surprendre, telle pourrait être la devise de ceux qui ne se contentent pas d’une jouissance mécanique. « La dimension ludique de la sexualité est essentielle », affirme Mireille Bonierbale, auteure, avec Nadine Grafeille et Marie Chevret-Measson, des Cinq Sens et l’Amour (Robert Laffont, 1983), médecin et sexologue. Et jouer, c’est accepter les hauts et les bas de la rencontre sexuelle. Parfois merveilleuse, parfois moins. Dans la sexualité, se fixer un but c’est partir sur une mauvaise route. Il faut accepter que s’exprime cette part de nous-même qui nous échappe.

Clitoridien ou vaginal ?

L’un n’est pas plus « adulte », supérieur à l’autre, bien que la lecture de certains essais de psychanalyse laisse croire le contraire. S’ils sont bien distincts, c’est qu’ils renvoient à des situations fantasmatiques différentes. L’orgasme clitoridien renvoie à une vision de soi phallique, active – symboliquement, le clitoris est un équivalent pénien. Il rappelle la bisexualité psychique innée de l’être humain repérée par Freud chez les enfants des deux sexes. Il peut d’ailleurs se produire dès la petite enfance, alors que la fillette, sauf en cas d’abus sexuel, ignore l’existence de son vagin. Il est « rapide, libérateur et s’inscrit dans un registre pulsionnel ».

L’orgasme vaginal, nous dit le père de la psychanalyse, exige le consentement au don de soi et la découverte de cette « passivité active » caractéristique de la sexualité féminine. Il a pu écrire, maladroitement, en 1922, qu’il signe la maturité sexuelle de la femme. Grâce à la libération progressive de la parole féminine sur la sexualité, les sexologues modernes constatent que presque toutes les femmes parviennent à obtenir un orgasme clitoridien, ne serait-ce qu’en se masturbant. En revanche, un tiers seulement accéderait à l’orgasme vaginal.

Isabelle Taubes

 

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