Quelle Afrique qui se lève ?

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Le renouveau économique de l’Afrique ne doit pas occulter les points durs qui restent à résoudre : corruption, sous-utilisation des ressources et manque d’impact de la création de richesse sur la population.

On nous rappelle constamment ces temps-ci que l’Afrique se lève et qu’elle abrite six des dix économies les plus dynamiques au monde. En mars, The Economist écrivait que « l’Afrique est le continent le plus dynamique au monde en ce moment », et « la frontière la plus chaude » pour les investissements.

Selon la couverture du Times Magazine intitulée « Africa Rising » (L’Afrique se lève), le continent est « la prochaine puissance économique du monde », l’hebdomadaire ajoutant les défis à relever. Le Wall Street Journal y voit « une nouvelle ruée vers l’or ». Pour le Financial Times le phénomène est celui de « l’appel de l’Afrique ». Un rapport de McKinsey Global a pu appeler les pays africains en croissance « les lions en mouvement ». D’autres, comme le magazine Forbes, ne se satisfont pas simplement de l’éveil africain : c’est un éveil très rapide. Il y a même un nouveau livre intitulé The Fastest Billion (le milliard le plus rapide – en écho à l’ouvrage de Paul Collier The Bottom Billion, le milliard du bas).

 Bien sûr il se passe de très bonnes choses en Afrique, mais l’histoire ne s’arrête pas là. Elle a plusieurs facettes. L’Afrique est en croissance, mais cette dernière semble laisser les populations sur le bord de la route. La célébration semble donc prématurée, un peu comme si nous posions le toit de la maison avant d’en avoir jeté les fondations. Voilà qui est très risqué : même un petit vent pourrait faire s’écrouler notre maison et conduire ce nouveau « slogan » sur l’Afrique à disparaître comme d’autres avant lui.  Africains, soyons prudents : il faut du temps pour construire une maison !

Une nouvelle étude de la Banque africaine de développement (BAD) et le Global Financial Integrity révèle que de 1980 à 2009 l’Afrique a perdu 1,2 milliard à 1,4 milliards de dollars en sorties illicites de capitaux financiers, c’est-à-dire de l’argent sale, comme la corruption, l’évasion fiscale etc. C’est une quantité incroyable d’argent, plus de trois fois le montant total de l’aide étrangère reçue sur la même période. Cela remet en question l’hypothèse courante que l’Afrique reçoit de l’argent sous forme d’aide à l’étranger et d’investissements étrangers de ses donateurs et partenaires. En effet, l’Afrique donne plus au reste du monde qu’elle n’en reçoit ! Le rapport montre que le continent est un créancier net ; mais à travers des moyens illicites.

« La fuite des ressources de l’Afrique au cours des 30 dernières années, presque équivalente au PIB actuel de l’Afrique, bloque l’envol de l’Afrique », selon le professeur Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement. Il ajoute que « le continent africain est riche en ressources naturelles. Grâce à une bonne exploitation des ressources, l’Afrique pourrait être en mesure de financer une grande partie de son propre développement ».

La « puissance économique » de l’Afrique a tendance à faire pire que le reste du monde. Le rapport indique que l’Afrique du Sud, la première économie de l’Afrique, a perdu 170 milliards de dollars en ressources nettes sur une période de 30 ans en sorties illicites. Pour le Nigeria, la deuxième économie africaine, les choses sont encore plus graves : plus de 250 milliards de dollars ont quitté le pays. Un autre rapport en 2012 montrait que le Nigeria a perdu plus de 400 milliards de dollars seulement en corruption pétrolière depuis l’indépendance en 1960, ce qui est beaucoup plus que son PIB courant de 268 milliards.

Juste avant le dernier rapport, l’Afrique faisait les gros titres encore pour de mauvaises raisons. Un nouveau rapport de l’Africa Progress Panel présidé par l’ancien secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, révèle que l’Afrique est en proie à des contrats miniers et transferts financiers secrets, et que des entreprises exploitent les vastes ressources naturelles de l’Afrique à cause de la mauvaise gestion, de la corruption et de la faiblesse du leadership dans de nombreux pays riches en ressources.

La République démocratique du Congo permet d’illustrer ce problème. Emblème de la richesse en minéraux (on estime qu’elle abrite plus de 2.400 milliards de dollars dans son sous-sol), le pays est également le plus pauvre de la planète selon l’indice de développement humain de l’ONU. Le rapport détaille l’ampleur des tractations secrètes au Congo, qui partent de la plus haute sphère du pouvoir, avec cinq contrats au prix sous-évalué, coûtant au pays 1,4 milliard de dollars. Le rapport a noté que « le chiffre était équivalent au double des budgets combinés de l’éducation et de la santé de la RD Congo». Dans un seul contrat avec l’Eurasian Natural Resources Corp, le pays a perdu 725 millions de dollars. Et pourtant, la croissance économique du Congo en 2012 a été très forte, à 7,2%, et devrait être encore plus élevée en 2013.

Pas étonnant que la croissance économique soit impressionnante dans une grande partie de l’Afrique, mais qu’elle ne profite pas encore aux populations. L’Afrique a son problème des « 1% ». Avec plus de 5% de croissance annuelle du PIB, et des projections à la hausse, la croissance s’est accompagnée de peu de croissance de l’emploi et la pauvreté ne diminue pas aussi rapidement qu’elle le devrait. Dans certains pays, comme l’Afrique du Sud, la richesse est si concentrée entre les mains de l’élite que regarder le PIB par habitant n’a plus aucun sens. Si l’on observe globalement, l’impression est bonne, mais après examen, les choses ne sont pas exceptionnelles. Ou, du moins, pas encore. Pas d’afro-pessimisme ici, simplement les faits.

Voilà le paradoxe économique : à quoi servent des chiffres  impressionnants de croissance du PIB sans création d’emploi et sans impact réel sur la vie des gens ? L’indice de développement humain des Nations unies, une mesure du bien-être général des populations, fournit une meilleure illustration. Son dernier rapport montre qu’une grande partie de l’Afrique occupe encore le rang le plus bas par rapport à d’autres régions. Et les dix pays les moins avancés appartient à l’Afrique.

Il semble que faire croître une économie soit beaucoup plus facile que d’en tirer un véritable développement. Le point de départ devrait être une guerre contre la corruption et le transfert illicite de ces énormes sommes d’argent hors de l’Afrique. Avec une bonne gestion de ce que nous possédons, nous n’avons pas besoin d’aide extérieure.

Le changement de récit médiatique à propos de l’Afrique, auparavant considéré comme trop négatif, est bienvenu. Mais cela ne doit pas signifier être aveuglément positif, car cela nous amènerait à devenir complaisants et à oublier comment aborder nos plus grands défis. Les défis qui nous attendent, comme la lutte contre la corruption et le déficit de gouvernance dans certains pays, sont énormes. Les optimistes et les pessimistes sur l’Afrique ont raison, avec des données et des faits pour étayer les arguments.

Oui, l’Afrique s’éveille dans le nouveau siècle après des décennies de stagnation. Mais elle est encore le continent le plus pauvre, et de loin, et sa croissance a tendance à être davantage tirée par ses matières premières que par la création de valeur ajoutée sur la base de ses ressources ; d’où une position beaucoup plus fragile au sein de la compétition économique internationale.

L’Afrique de demain sera le résultat de ce que ses dirigeants actuels décident aujourd’hui. Les dirigeants doivent assurer une meilleure gestion et un investissement des recettes provenant des ressources naturelles, ainsi qu’une Afrique plus intégrée pour parvenir à une sorte de pouvoir de négociation dans les enceintes internationales et une Afrique mieux gouvernée, pour continuer à avancer. Sinon, le nouveau récit médiatique ne tiendra pas et la maison pourrait bien tomber avant d’être construite. Ce serait une tragédie.

Obadias Ndaba

Libre Afrique

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Obadias Ndaba est président du World Youth Alliance, une organisation internationale ayant un statut consultatif auprès de l’ONU et de l’Union européenne.

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