Le très instructif rapport ITIE de mars 2012 passé inaperçu et décortiqué pour le lecteur
Il importe de savoir d’entrée de jeu que l’idée de la création de l’Initiative de transparence des industries extractives (ITIE) a été lancée lors du Sommet mondial pour le développement durable à Johannesburg en 2002 par le gouvernement britannique et concrétisée un an plus tard à Londres. Elle a pour « but principal de combler le manque de transparence et le non-respect de l’obligation de rendre des comptes sur les paiements que les entreprises du secteur extractif versent aux gouvernements et sur les recettes que ces derniers reçoivent de ces entreprises ». Selon son rapport en date de mars 2012 sur le Togo (à lire à l’adresse URL http://eiti.org/files/Rapport_Final_ITIE_Togo_2010.pdf), elle vise à « une meilleure gestion de ces ressources dans les pays riches en pétrole, en gaz et en ressources minérales et (…) à réduire le risque de détournement des fonds générés par l’exploitation des ressources de l’industrie extractive des pays ». L’ITIE se destine donc à accroître la traçabilité et la transparence des pratiques budgétaires de l’État amorçant un processus qui permet aux citoyens de demander des comptes à leurs gouvernants en ce qui concerne l’utilisation de ces recettes. En d’autre termes, il s’agit clairement de rendre effective l’accountability de l’État dans le domaine minier de sorte que celle-ci ne soit pas un vœu pieux.
On sait que dès son indépendance en 1960, le Togo part favori dans le concert des nations parce qu’il est déjà doté de structures macroéconomiques de grand producteur de phosphate recherché pour sa qualité industrielle. Mais sa production diminuera d’année en année à cause de la vétusté des équipements et les autres moyens archaïques liés à l’encadrement du personnel et aux ouvriers de la production. Le pays possède également des réserves plus ou moins importantes de minerai de fer, de gisements de marbre et de roche calcaire, ainsi que de pierres et de métaux précieux.
Adhésion du Togo à l’ITIE : pour quoi faire ?
Le Togo a adhéré en 2009 à l’ITIE parce qu’elle est un instrument universel « qui établit la norme internationale permettant aux entreprises de publier la somme qu’elles payent et aux gouvernements de divulguer leurs revenus ». Elle est reconnue internationalement pour la transparence dans la gestion des ressources naturelles et dans la lutte contre la corruption. C’est aussi une institution qui représente près de 62 sociétés les plus importantes du secteur pétrolier, minier et gazier dans le monde, qui adhèrent et soutiennent le processus de l’ITIE. Selon le rapport susmentionné, « elle est par ailleurs soutenue par plus de 80 institutions mondiales d’investissement qui gèrent collectivement plus de 16 milliards de dollars américains ». Elle est en quelque sorte le CAC-40 des industries du secteur minier qui détermine le Cours Actuel des Cotations ou la Cotation Assistée en Continu des sociétés extractives. C’est pour cette raison qu’elle est un indicateur fiable de bonne gouvernance et de croissance dans les pays où elle est implantée, car « dans les pays où la gouvernance est faible, la pauvreté et la corruption restent élevées et conduisent fatalement à des conflits ». Ainsi, la bonne gouvernance recherchée peut améliorer la transparence et la responsabilité de l’État et des agents économiques. C’est également un indicateur de sécurité de la production des richesses nationales exprimées en PIB et la répartition des ressources générées au profit du développement des populations. Pour le pouvoir togolais, son adhésion à l’ITIE est gage de conduite vertueuse en matière de gestion des ressources minière qui annihile de le discours de l’opposition selon lequel les populations, spoliées de leurs richesses nationales, devraient s’indigner et se révolter contre leur gouvernement corrompu en exigeant leurs droits.
Mais plutôt par soucis de gain politique que par toute autre considération de transparence ou de bonne gouvernance, les autorités togolaises ont toujours considéré que le fait d’adhérer à une pléthore d’institutions, de conventions, de chartes et de traités internationaux est un important indicateur et un indices fiable de reconnaissance internationale, de développement institutionnel et de bonne gouvernance démocratique. Dans la réalité, cette stratégie de poly-adhésion est destinée à instrumentaliser lesdites institutions et à manipuler leurs mécanismes de référence à des fins personnelles de pérennisation aux affaires. Comme le système corrompu du RPT, qui vient de se draper de la toge immaculée de l’UNIR, sait bien le faire en matière électorale avec l’appui des puissances étrangères qui détiennent des intérêts dans l’exploitation des mines et des minerais stratégiques et vitaux à leurs propres industries qui assurent le bien-être dans les pays du Nord contre la pauvreté dans les pays du Sud.
La bonne gouvernance sauce Gnassingbé à l’aune du rapport ITIE
C’est dans cette veine que par décret du 30 mars 2010 l’ITIE-Togo fut créée. Elle compte 3 organes : le Conseil national de supervision présidé par le Premier ministre, un Comité de pilotage présidé par le ministre de l’Énergie et des Mines et un Secrétariat technique placé sous l’autorité d’un coordonnateur national nommé par décret. Les champs d’activité de l’ITIE-Togo couvrent les secteurs des hydrocarbures, des minerais stratégiques et précieux, c’est-à-dire l’exploitation des métaux de base tels que le fer, le cuivre, le plomb, le zinc, l’aluminium, l’uranium et des métaux et pierres précieux tels que l’or, l’argent, le platine, le diamant, l’émeraude, le rubis, le saphir, le zircon, le jade, etc. Le secteur de la production de l’eau fait également partie du secteur des industries extractives dans le cas du Togo.
Du 31 janvier au 1er mars 2012, ont eu lieu au Togo les premiers travaux de la réconciliation des paiements et des recettes du secteur des industries extractives couvrant la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2010. Ces travaux ont été dirigés par les experts du cabinet d’audit, de comptabilité et de conseil juridique et fiscal indépendant Moore Stephens au siège de l’ITIE-Togo.
L’objectif de cette mission consiste à réconcilier les flux de paiement effectués par les sociétés extractives d’une part et les recettes encaissées par l’État togolais d’autre part. En d’autres termes, il s’agit de faire le constat chiffré à savoir si les comptes publics relatifs au secteur industriel extractif sont solidaires ou non-solidaires, traçables ou non-traçables selon les certifications d’experts ou commissaires aux comptes, à partir de la déclaration des industriels qui exploitent ces minerais. Bref, l’État et les industriels contractent-ils en toute transparence et sincérité dans l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles, et ceci dans l’intérêt des Togolais, les véritables propriétaires ? La question nous ramène à la lutte contre la pauvreté qui devrait être la cible prioritaire des recettes des industries extractives. Rappelons que le Togo est admis au rang des pays pauvres et très endettés (PPTE) et devrait bénéficier des allègements de la dette extérieure de la part de la Banque mondiale et du FMI afin d’honorer ses créances internationales.
Le rapport montre que sur 22 sociétés retenues par les experts selon le référentiel ITIE 2010, 4 sociétés du secteur minier n’ont pu être contactées. Il s’agit de Silverhill Entreprise Ltd opérant dans la recherche de phosphate à Sotouboua ; de Global Merchants dans la prospection d’or, d’ilménite et de monazite et dans l’exploitation du marbre et du granite à Blitta, Assoli, Avé, Ogou ; de Future Investment dans la recherche de l’or à Tchembéri et à Soudou ; et enfin de Togo Minerals dans la recherche de diamant dont le permis de recherche est délivré mais le lieu d’exploitation est inconnu. Une société n’a pu communiquer les informations demandées : Ebomaf qui exploite du gneiss sans permis ni titre d’exploitation.
À titre d’exemple de société impossible à réconcilier, il faut savoir que la société Silverhill Entreprise Ltd est une société non immatriculée à la Direction générale des impôts et à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), mais elle détient deux titres miniers depuis le 18 octobre 2008. La Global Merchants est également non immatriculée à la Direction générale des impôts et à la CNSS, cependant elle détient 8 titres miniers dont 5 délivrés en 2007 et 5 en 2009. Bien évidement que ces sociétés n’ont déclaré aucun payement à l’État qui n’a déclaré aucune perception de recette à son tour. Au regard de ces absences, disparitions ou volatilisation étranges, on peut qualifier ces sociétés de SDF des industries extractives. Dès lors, on peut se poser la question à savoir si nous n’avons pas affaire à des sociétés fictives à l’instar de nombreux bureaux de vote dont le pouvoir est le seul à savoir leur lieu d’implantation. En outre, il ressort que sur 17, 10 sociétés n’ont pu produire des formulaires de déclaration certifiées par un auditeur externe. Il s’agit de Scantogo Mines pour l’exploitation de calcaire, de Togo Rail, Colas et Encotra pour le gneiss, de Togo Carrière et Cemat Industries pour la migmatite, des Aigles pour le sable silteux, de BB/Eau Vitale, Horizon Oxygène Clever et Société togolaise des eaux pour l’eau minérale. Il convient de savoir que les sociétés Future Investment exploite depuis 5 ans de l’or à petite échelle (0,106 km²) à Tchemberi et Soudou dans l’Assoli et Togo Minerals recherche du diamant sans aucune forme de précision dans le rapport. Mais les barons du régime, civils et surtout militaires, ont privatisé l’exploitation et la commercialisation de ces pierre et métal précieux qui leur procurent de revenus millionnaires occultes.
Quand les chiffres ITIE suggèrent malversations et détournements de fonds
Sur les 22 sociétés initialement visées par les experts, seulement 6 sociétés répondent aux critères de référence de l’ITIE-Togo pour lesquelles l’industrie extractive est une activité secondaire pour certaines d’entre elles. Il s’agit en l’occurrence de :
1- SNPT (Société nouvelle des phosphates à Hahotoé) qui a déclaré avoir versé la somme de 3 327 789 449 de FCFA à l’État, qui s’est transformée en 2 604 484874 de FCFA dans les caisses de ce dernier. L’écart qui est de 723 302 575 devient 694 342 098 de FCFA après réconciliation. La SNPT qui est une société nationale, appartenant à 100 % à l’État, déclare un payement non équivalent aux recettes perçues par ce même État. L’écart d’un peu plus d’un milliard de FCFA est-il passé par le syndicat vertical lors du décaissement à la SNPT vers les guichets de recette de l’État ?
2- Wacem (calcaire et clinker dans le Yoto) déclare un versement de 6 896 849 484 francs CFA à l’État qui déclare de son côté n’avoir encaissé que 6 020 138 073 de FCFA. Ce qui créé un écart de 876 711 413 de FCFA.
3- MM Mining (fer de Bassar) déclare 5 309 303 de FCFA à l’État dont le chiffre est 4 630 304 de FCA. L’écart est de 378 999 FCFA.
4- RRCC (zinc, nickel, uranium dans le Haho, à Blitta, à Niamtougou, à Pagala et dans la Kozah), déclare un payement de 12 748 203 de FCFA à l’État dont la somme encaissée est de 9 976 866 de FCFA avec pour écart 2 771 337 de FCFA.
5- G&B African Ressources (uranium à Kovié, Ahépé, Davié, Sika Condji, Agodomé, dans le Zio, le Yoto et à Bassar), déclare 5 063796 francs CFA. L’État déclare avoir perçu exactement le même montant, d’où un écart nul.
6- ENI Togo (exploitation pétrolière offshore) dont la déclaration de payement est identique à la recette perçue par l’État, c’est-à-dire 6 496 300 800 de FCFA, l’écart est donc nul.
Les écarts nuls, qui ne sont pas dans l’habitus de la maison RPT/UNIR, laissent songeur le lecteur du rapport. Toutefois, il est à noter que le cumul des écarts de ces 6 sociétés avant réconciliation s’élève à 1 603 164 325 de FCFA. Soit un peu plus d’un milliard et demi devenu 694 367 106 de FCFA déclarés par l’État. Notons aussi que 2 sociétés seulement sur 22 sont des sociétés nationales avec la participation de l’État à 100 %, et exercent dans la production du phosphate et de l’eau : la SNPT et la Société togolaise des eaux. Les 20 autres sont toutes des sociétés étrangères.
Parmi les administrations publiques, c’est-à-dire le Trésor public, la Direction générale des impôts, la Direction générale des douanes, la Cour des comptes, les ministères des Finances, des Mines et des Ressources hydrauliques susceptibles d’être retenues dans le référentiel ITIE 2010 par les experts, seule la CNSS a pu produire des formulaires de déclaration audités et certifiés. Que fait-on alors au Trésor public et surtout à la Cour des comptes dont la vocation est, nous dit-on, « l’instauration dans l’administration publique et parapublique de la rigueur et de la bonne gouvernance au niveau de la gestion des ressources de l’État » et qui par conséquent « doit être (…) meublée ou conduite par des personnes d’une très bonne moralité, intègres, dignes, loyales, aimant la justice, le droit impartial, donc sages pour l’assainissement des finances publiques» comme l’assurait le 16 septembre 2009 Justine Ahadji-Azanledji, première avocate générale, près la Cour Suprême ? Au RPT-UNIR où les mots sont aussi corrompus et dénaturés que les personnes, il est permis attendre ces oiseaux rares comme les chrétiens l’hypothétique résurrection du Christ mort depuis plus de deux mille ans.
Au vu de ces nombreux dysfonctionnements exclusivement localisés au niveau des services de la perception de l’État, qui ne permettent pas de vérifier les versements déclarés par les industries extractives opérant dans le pays, on peut conclure que les données collectées par les experts sont peu fiables. Cependant, ces grandeurs disproportionnées pointent du doigt une gestion macroéconomique peu soucieuse de critères de transparence ITIE souscrits et à même de générer des profits en vue d’améliorer la vie des populations.
Tandis que le cumul en 2010 des payements déclarés par l’ensemble des sociétés extractives qui opèrent au Togo, avec permis ou sans permis, se chiffrait à 33 676 702 207 de FCFA, l’État percepteur encaissait en termes de recette la somme de 31 941 028 233. L’écart entre payement et recette s’élève pour l’exercice 2010 l’écart définitif est ramené à 1 705 251288 de FCFA, soit 5,7 %. Cet écart de presque 2 milliards de francs CFA est-il la preuve de l’existence d’un système de corruption entre les parties contractantes au Togo, c’est-à-dire entre l’État et les différents opérateurs économiques du secteur de l’industrie extractive ? Dans tous les cas, ces deux milliards sont un manque à gagner de recette dans les caisses de l’État. Où se sont-ils volatilisés ? Dans des banques privées, dans les holdings, dans les paradis fiscaux ? Seule une enquête internationale de type « Biens mal acquis » pourra nous indiquer les directions prises par ces fonds. Dans un État de droit et de bonne gouvernance sincère et convaincu, le rapport ITIE aurait été rendu public afin d’éclairer l’opinion qui alors susciterait débats et prises de position autour. Il est regrettable que le pouvoir se soit assis dessus, ce qu’on comprend, mais que de son côté l’opposition ne s’en soit pas emparée comme argument de combat, c’est ce qu’on comprend le moins.
Tido Brassier & Comi Toulabor
Paris-Bordeaux, le 29 mai 2012