« … L’Afrique n’a pas d’histoire, une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe… Cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie, déserte, c’est la sauvagerie… Au dix-neuvième siècle, le Blanc a fait du Noir un homme, au vingtième siècle, l’Europe fera de l’Afrique un monde… Allez, peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes. Dieu donne l’Afrique à l’Europe. Prenez-la… »
Ces « phrases terribles, ahurissantes » – je reprends les mots de l’éminent historien congolais Elikia M’Bokolo dans la préface de l’ouvrage collectif Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy -, ont été prononcées à Paris par le grand écrivain français Victor Hugo, réputé pour être un « ami des peuples noirs », le 18 mai 1879 lors d’une cérémonie de commémoration de l’abolition de l’esclavage en France.
Le 26 juillet 2007, un autre ami de l’Afrique, qui a sans doute lu cet appel lancé il y avait plus de cent ans, par son grand-père ami des peuples noirs, était venu à Dakar, à l’université Cheik Anta Diop, affirmer que « La réalité de l’Afrique, c’est un continent qui a tout pour réussir mais qui ne réussit pas… »
Ce message délivré le 26 juillet 2007 par cet ami de l’Afrique, Nicolas Sarkozy, le président de la république française, présente le même fond que celui de l’ancêtre des amis d’Afrique, Victor Hugo. L’Afrique est un continent sans histoire, sans morale, sans propriétaire, mais qui bizarrement a tout pour réussir. Il faut donc l’aider à réussir.
Ce qui est frappant dans le rapprochement des déclarations de ces deux amis des Noirs, des Africains, c’est le nombre d’années qui les sépare. Plus de cent vingt-cinq ans ! L’Afrique est donc restée, durant plus de cent vingt-cinq ans, le même handicapé, la même forme immonde, incapable du moindre geste, que ses amis sont toujours obligés de plaindre !
Le même appel pour sauver l’Afrique a été lancé, il y a quelques jours seulement, par des amis des Africains, dirigés par le plus sincère et intime à l’Afrique, Nicolas Sarkozy, aux Nations unis, pour voler au secours, une fois de plus, à cette Afrique à qui la barbarie colle, toujours, à la peau. « Allez, prenez le peuple libyen, prenez la Libye. A qui ? A personne. »
Interviewée tout récemment dans le cadre de la crise libyenne sur les ondes de la Radio France internationale, l’historienne malienne Adame Ba Konaré, épouse de l’ancien chef d’Etat malien Alpha Oumar Konaré, affirmait qu’étant historienne, elle pouvait affirmer que l’intervention de la coalition internationale en Libye était purement et simplement une occupation, du néocolonialisme, dans la mesure où les mêmes arguments avancés aujourd’hui par les Occidentaux étaient ceux qu’ils avaient avancés il y a plus de cent ans, quand ils débarquaient en Afrique avec leurs idées coloniales. Et elle n’a pas tort, l’historienne. Mais ce qu’elle a oublié de faire – son émotion était peut-être trop grande devant ce énième coup porté à son Afrique -, c’est de se demander pourquoi après plus de cent ans, son continent est toujours celui-là qui doit être à la portée des impérialistes qui peuvent s’y aventurer, pour leurs intérêts, quand et comme ils veulent ? Pourquoi l’Afrique est-elle demeurée, malgré toutes ces années qui se sont écoulées depuis l’appel de Victor Hugo à la prendre, le même continent, la même masse de terre, la même tourbe, la même plèbe qu’on peut si facilement prendre ? Pourquoi des peuples, comme ceux de l’Asie, qui auraient pu faire prononcer à Victor Hugo les mêmes phrases en 1879, ne peuvent plus être envahis, aujourd’hui, de manière anarchique, par les impérialistes ?
Suite au fameux discours du 26 Juillet 2007, beaucoup de théoriciens africains, ayant trouvé un bon moyen pour sortir de leur désœuvrement, avaient sorti des livres et des livres, pour montrer à Nicolas Sarkozy que leur Afrique était entrée dans l’histoire, qu’elle n’était pas un paillasson sur lequel n’importe quel énergumène pourra s’essuyer sa crasseuse bouche remplie d’injures… Mais, curieusement, c’est le même Nicolas Sarkozy, narguant tous ses tomes dont certains lui avaient même été dédiés, qui, quatre ans seulement après son discours si contesté, ordonne que cette Afrique qui ne réussit toujours pas soit aidée… par ses amis dont lui.
Il est temps que ces intellectuels hypocrites, presque tous ayant fui l’Afrique et s’étant naturalisés Français, qui n’ont trouvé aucun moyen de jouer à la star que tromper des masses par leurs viles théories anti-impérialistes, leurs litanies antifrançaises blasphématoires, leurs logiques antioccidentales qui ne tiennent pas… comprennent, enfin, ou plutôt aient l’honnêteté d’affirmer – comme ils le savent très bien -, que personne ne sauvera personne dans ce continent par des discours émouvants. Car il est très facile, trop facile aujourd’hui d’émouvoir les masses africaines aveuglées par trop de frustrations. Voici des années et des années que nous sommes là, inertes, répétant la même chanson, transformant des mots en des maux pour justifier notre incapacité : néocolonialisme, françafrique… et bientôt, chinafrique, indafrique, brésilafrique… La soif de domination n’est pas spécifique à l’Occident. Tout peuple, toute ethnie, tout groupe puissant cherche toujours à dominer. Les multiples guerres tribales et conquêtes qui jalonnent l’histoire des tribus africaines le prouvent très bien. Toujours là, à la même place, à chercher les causes de notre échec dans les autres, oubliant que nous-mêmes, entre os et cuir, nous portons trop de paresse, trop d’hypocrisie, trop de méchanceté, trop de haine, trop de mesquinerie, trop d’irresponsabilité, trop de lâcheté, trop de traitrise…
Victor Hugo n’aurait jamais demandé à ses compatriotes d’aller prendre l’Afrique à personne, s’il n’y avait pas senti un vide. Nicolas Sarkozy n’aurait pas prononcé le discours de Dakar s’il n’était pas convaincu qu’il s’adressait à des incapables qui ne savent que s’émouvoir. Il n’aurait pas donné l’ordre d’aller bombarder la Libye, si ces polichinelles qui forment ce que nous appelons Union africaine avaient eu la force de conseiller leur mécène, leur tuteur, leur bon Samaritain Mouammar Kadhafi de quitter, de manière pacifique, un pouvoir qu’il a obtenu par un coup d’Etat.
Il y a deux ans, aux Nations unis, Mouammar Kadhafi, dans ses jours de gloire, pour émouvoir la plèbe africaine, demandait aux Occidentaux de payer une dette coloniale à l’Afrique ou les Africains iront eux-mêmes la chercher. S’ils savent, bigre, où elle se trouve, cette dette coloniale, pourquoi ne sont-ils pas encore partis la chercher ? De retour chez lui, heurté à la contestation de son peuple fatigué de sa dictature, il crée une nouvelle raison pour faire coloniser son pays, s’autoproclame antioccidental, joue à la victime, lui qui juste hier sillonnait la France et toute l’Europe, encensé. En on s’indigne dans nos petits coins invisibles, pauvres miséreux ! Indignez-vous, mes chers, Stéphane Hessel1 vous en donne le plein droit, indignons-nous, nous sommes nés pour nous indigner en Afrique… quand nos amis occidentaux viennent nous… sauver.
Prenez la Libye, chers amis occidentaux ! Prenez cette Libye orpheline de l’Union africaine ! Pillez-la, volez-la ! Finissez-la ! Notre émotion passera bientôt. Elle passe très vite, l’émotion nègre. Prenez la Libye, impérialistes, colonisateurs, néocolonisateurs, françafricains… A qui ? A personne ! Euh… à Dieu.
David Kpelly
Blog : http://davidkpelly.mondoblog.org
Le Français Stéphane Hessel a publié en 2010 un petit livre à succès, Indignez-vous