« C’était mieux du temps des Blancs. Dans nos dispensaires il n’y a pas un flacon de mercurochrome, les blancs nous en donnaient. On était vacciné, on ne l’est plus. Les écoles fonctionnaient, il n’y en a plus. Il y avait des pistes qui étaient entretenues, il n’y en a plus. Quand on regarde ça, on a envie d’en pleurer ». Cette phrase n’est pas d’un alcoolique dans un maquis du quartier Yopougon à Abidjan en Côte d’Ivoire; ce ne sont pas les propos d’un pensionnaire du Centre de Santé Mentale « Tulizo Letu » à Goma en République Démocratique du Congo, encore moins ceux d’un patient à peine admis à l’Hôpital psychiatrique de Zébé à Aného (localité située à une quarantaine de kilomètres à l’Est de Lomé) au Togo. Ce sont les déclarations sur la chaîne parlementaire française LCP de Janvier 2010 d’un intellectuel africain, Monsieur Kofi Yamgnane, Secrétaire d’état (vice-ministre) sous Mitterrand, ancien maire du village breton de St Coulits (en France), conseiller pour l’Afrique de François Hollande durant la campagne présidentielle de 2012. Sa candidature a été recalée par la cour constitutionnelle pour les élections présidentielles togolaises de 2010. Le Malheureux politicien fait partie d’une espèce très prolifique en Afrique, de politiciens ayant connu l’ère de l’occupation coloniale, qui pour la plupart, pour avoir sa part du gâteau, n’a pour seul programme politique que l’allégeance et la procession vers ce qu’ils appellent eux-mêmes « les chancelleries occidentales » transformant certaines ambassades européennes dans les pays africains en véritables sanctuaires d’où recevoir la bénédiction pour le chemin vers le pouvoir.
Et c’est pour rentrer dans la peau du « sauvage » à peine « civilisé » qui doit remercier le sauveur, que tout l’argumentaire est construit pour convaincre l’ancien bourreau qu’on est toujours son esclave et fier de le rester. Ces personnes sont pour la plupart des fils des fonctionnaires de la première heure qui ont étudié en France et en Grande Bretagne avec souvent l’argent de la corruption des parents, où bien y résident. Qu’ils soient membres des partis de l’opposition ou des ministres au pouvoir, c’est la même chose. L’action qui les occupe le plus consiste à la compilation du catalogue de tous les malheurs du monde présentés comme propres à l’Afrique avec un seul et même coupable : l’homme (leur président), et on explique à l’Ambassadeur qu’en le remplaçant on serait plus pantin que lui.
Lorsqu’ils sont à l’opposition, dans leur programme, il n’y a presque jamais l’ombre de ce qui marche et comment on pourrait l’améliorer. Et pire, Il n’y a jamais de solution à la liste des malheurs énoncés plus tôt. Et lorsqu’ils tentent d’ébaucher un semblant de solution, c’est toujours pour jouer au père Noël hors saison, sans jamais expliquer comment ils pensent trouver les ressources pour y parvenir.
Là où le bas blesse c’est qu’on retrouve aussi cette attitude de démission chez ceux qui sont au pouvoir. Les révélations de Wiki-Leaks en 2010 nous ont montré à quel point en Afrique, des Ministres, mais aussi des Présidents de la République ne savent pas pourquoi ils sont là. On a par exemple découvert une relation de subalternité démesurée entre la présidence du plus grand pays d’Afrique, le Nigéria, et l’Ambassadeur Américain, allant jusqu’au limogeage du Chef d’Etat Major de l’armée nigériane, le Général Victor Malu, dont le seul crime commis a été celui de mettre en garde les politiciens de son pays de la forte influence des Etats-Unis d’Amérique sur le système de défense du pays. Dans une note confidentielle, révélée par le journal nigérian Vanguard News, le Général expliquait tout simplement aux politiciens qui avaient à peine assumé la transition démocratique des militaires aux civils que les USA, qui faisaient pression pour former les militaires nigérians dans les missions de Peacekeeping (maintien de la paix) ne vantaient aucun succès en la matière, mettant le doigt sur les successifs échecs américains sur tous les théâtres de guerre depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, du Vietnam, à la Corée (toujours divisée en deux) à l’Iraq en passant par la Somalie et l’Afghanistan. Il concluait ainsi que l’armée nigériane victorieuse de la guerre du Biafra avait plus à enseigner aux américains et non l’inverse. Conséquence de son patriotisme : il a été tout simplement été viré, pour avoir osé mettre en doute l’efficacité de la superpuissance du maître.
C’ETAIT MIEUX AVANT ?
Dans la leçon 25, nous avons déjà abordé la question de la fausse comparaison entre les 4 dragons asiatiques et les pays africains, où nous avons établi un bilan sommaire et catastrophique de la colonisation avec l’absence de routes, d’écoles, d’hôpitaux. Aujourd’hui nous allons nous pencher sur un autre élément. Les RUP, Régions Ultra Périphériques de l’Union Européenne peuvent nous servir de comparaison. Il y en a 8 dont 5 à la France (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion et Mayotte), 2 au Portugal (Açores et Madère) et 1 à l’Espagne (Canaries). A la période des indépendances africaines des années 60, les pays Européens ont décidé de ne pas concéder l’indépendance à ces territoires, et les ont administrés jusqu’aujourd’hui, 2012. Comme nous n’étions pas là avant pour savoir si c’était bien ou mal, nous pouvons comparer la gestion des 53 états africains à ces 8 états encore colonies de l’Europe. Nous allons utiliser pour cela le système appliqué aux entreprises pour mesurer la vertu de sa fonctionnalité. En d’autres termes, il s’agit dans une entreprise de savoir combien a été investi en une année et comment cet investissement a été rendu productif, rentable ou pour le moins équilibré par rapport aux choix de positionnement stratégique de l’entreprise.
Pour comparer ces pays, nous prendrons en examen le budget d’une année donnée. Alors qu’en Afrique, le budget de chaque année est annoncé publiquement il est presque impossible de le savoir pour les pays encore colonisés, les RUP. Mais nous nous sommes procuré une information capitale publiée dans le journal français Le Figaro du 11/02/2009 communiquant le budget des RUP français à 12,7 milliards d’Euros au titre de l’année budgétaire 2009. C’est à-dire que la France, pour maintenir des colonies au 21ème siècle doit débourser chaque année la somme de 12,7 milliards d’Euros, soit 1.115 milliards de Fcfa pour une population totale de 2,6 millions d’habitants sur un total de 119.975 km2. Nous devons donc comparer ce que la gestion coloniale française obtient avec ce chiffre en termes de résultat que nous allons ensuite comparer avec des pays africains, pour savoir si c’était mieux avant ou maintenant.
Dans le cas actuel de la richesse par nation, on divise les 12,7 milliards sur les 2,6 millions de personnes pour qui ce montant est affecté et l’on obtient un revenu par tête d’habitant de 4.884 Euros. Et dans les détails, le budget de la Réunion en 2009 était de 4,05 milliards d’Euros, pour une population d’à peine 800.000 habitants. On obtient le chiffre de 5000 € par habitant qui est un montant très élevé au niveau international. Mais que cache ce chiffre?
Il s’agit au fond d’un piège comportemental hérité du passé colonial Européen. Disposer des terres qu’on commanderait hors d’Europe donne l’illusion de commander le monde. Mais si en 1946, lorsque les états coloniaux français se sont constitués sous l’appellation de DOM (Département d’Outre Mer), le prix du pétrole avoisinait les 2 Dollars par baril, le problème de la continuité territoriale ne se posait nullement. On pouvait s’offrir le luxe d’isoler des terres qui ne communiquent pas, n’échangent rien avec les voisins, faisant tout venir, même l’eau à boire de plus de 10.000 km, 66 ans après, en 2012, le prix du Baril de pétrole a été multiplié par 48, en passant de 2 dollars à 96 dollars. Ceci a transformé ces territoires, qui auraient dû donner à l’Europe l’illusion de l’universalité de son pouvoir, en véritable cauchemar financier.
Le pire de tout ça est que ce flux d’argent ne sert nullement à créer de la richesse, mais presqu’entièrement à soutenir une économie spéculative de rente entretenue par des descendants d’esclavagistes dit « Béké », qui n’ont rien perdu des vieilles habitudes d’esclavagisation de la population d’origine africaine réduite à la misère ou à la mendicité des aides sociales. Ainsi, le prix de toute denrée alimentaire ou non est artificiellement tenu élevé afin de réserver au peu qui peut se le permettre. Exactement comme cela se passait en Afrique avant les années 60, des indépendances, lorsque c’était les mêmes esclavagistes qui contrôlaient les activités économiques de tout le continent Africain.
L’état français pris au dépourvu d’une situation qu’il avait lui même appliquée en Afrique pendant plus de 100 ans, ne sait plus aujourd’hui quoi faire, pour libérer sa propre population prise en otage par une poignée d’ex esclavagistes qui n’ont rien perdu de la ferveur d’antan. Alors il a préféré une solution de fuite en avant : payer ses propres fonctionnaires, les policiers, les magistrats, les infirmiers, les gendarmes etc. 40% plus cher qu’en France même. Ce qui a contribué plutôt a jeter de l’huile sur le feu de la crise sociale que vivent toutes ces colonies depuis des dizaines d’années, parce que si le salaire des fonctionnaires a augmenté de 40%,, l’état a oublié d’augmenter de la même proportion, les allocations familiales et les aides sociales versées au plus démunis, qui sont toujours plus nombreux.
LA SICILE, SYMBOLE D’UNE EUROPE MAL GEREE
Pour savoir si l’Afrique qui a très mal été gérée par les Européens durant la période sombre de l’occupation coloniale de 77 ans, pouvait l’être mieux par ces derniers, aujourd’hui, il suffit d’aller voir comment est gérée l’Europe elle-même, comment sont gérées les régions d’Europe. Il me plait pour cette analyse, de choisir la région de Sicile en Italie. Pourquoi ce choix ? Parce que c’est en absolu, la région européenne la plus proche d’Afrique. Par comparaison, l’ile italienne de Lampedusa est plus au sud que la ville africaine de Tunis, capitale de la Tunisie. C’est-à-dire que les migrants qui partent des côtes tunisiennes de Tunis, Sousse, Nabeul, Hammamet ou Kelibia pour rejoindre les cotes italiennes de Lampedusa, font un retour sur l’Afrique, puisque leur bateau mettent le cap vers le sud pour atteindre les côtes italiennes. Donc au moment où on a parlé du printemps arabe pour mentionner un pays mal géré et qui a porté aux manifestations populaires de 2010 et 2011, comment était gérée la région européenne voisine de la Sicile ?
D’après le très célèbre quotidien économique italien : Il Sole 24 Ore du 24 Mars 2012, communiquant les chiffres des syndicats italiens, en Sicile, 28,5% de personnes sont au chômage. 1 jeune sur 2 est au chômage, 1 diplômé d’université sur 3 ne fait plus de demande de travail, parce qu’il sait d’emblée qu’il n’obtiendra même pas de réponse, même négative, les entreprises n’ayant plus d’argent pour financer un service ad-hoc pour répondre le fameux « nous sommes au regret » à toute l’armée des chômeurs de l’île. Ce qui fait dire à Mr. Ivan Lo Bello, président des industriels de l’île qu’à cause de 50 ans de mauvaise gouvernance, les politiciens n’ont pas vu que les dépenses augmentaient toujours plus alors que les recettes subissaient une dégradation vertigineuse. Et que si la route n’était pas modifiée, on allait tout droit vers la mort économique et politique de l’ile.
Mais quelle est cette mauvaise gouvernance dont parle le président des industriels ?
Selon la cour des comptes italienne, l’institution de la région de Sicile coûte 516 € par habitant et par an. C’est l’un des taux les plus élevés au monde. Par comparaison avec le Togo, selon le budget officiel 2011, l’administration togolaise coute 152 € par habitant, 42€ au Mali qui avant la crise politico-militaire, était considéré comme l’un des pays les mieux gérés au monde où le coût des fonctionnaires ne représentait que 13,77% de la richesse nationale contre 60% en Sicile qui vante un triste record de 5 milliards d’Euros de dettes que la région n’arrive plus à rembourser, dues à l’incompétence des politiciens empirée par du clientélisme à outrance et la corruption de type mafieuse que ne connait fort heureusement aucun pays africain. Plusieurs exemples peuvent nous permettre de comprendre le phénomène :
1- Selon les informations publiées le 23/07/2012 par Domenico Ferrara dans Il Giornale, quotidien italien de la famille Berlusconi, ancien président du Conseil, pour un discours d’une heure de Mr. Lombardo, président de la Région Sicile, 18 sténographes se sont succédés. L’assesseur régional aux infrastructures, Andrea Vecchio auteur des propos, a même chronométré cette indécence qui relève de la psychiatrie politique et a certifié le record mondial de 3 minutes pour chaque sténographe pour recopier ce discours historique de Lombardo.
2- Salaire : restons avec nos gentilles secrétaires siciliennes en jupes courtes, très courtes. Combien gagnent-elles pour 3 minutes de travail par jour ? C’est encore Vecchio qui nous donne la réponse : à peine recrutée sans expérience, elles touchent la modique somme de 2518 € net par mois. Et après 24 mois de dur labeur et forte transpiration à recopier 3 minutes du discours du président Lombardo, elles touchent 6300 € net par mois, c’est-à-dire presque 4 millions de Francs CFA chaque mois.
3- L’addiction au Recrutement : dans la région Sicile, il faut recruter tous les matins peu importe le travail que les nouveaux recrus feront. Le journal Il Giornale dans cette même édition, nous révèle qu’il y a des Camminatori, c’est-à-dire des « Marcheurs », des employés qui passent leurs précieuses journées de travail à marcher, marcher, marcher encore d’un bureau à l’autre pour savoir s’il n’y a pas un bout de papier à donner au bureau de l’étage en dessous, pour savoir si quelqu’un n’a pas besoin d’un verre d’eau. Ils ont été tous recrutés en Avril 2012, alors que la région qui croule sous le poids de 5 milliards d’Euros de dettes, risquait déjà la faillite. Avec eux, 157 nouveaux chauffeurs ont été recrutés, parce que comme pour les secrétaires, il ne faut pas que les chauffeurs se fatiguent à conduire plus de 15 minutes. Le même jour, la région a recruté 55 nouveaux surveillants pour les 3 musées de la ville. Qui sait ? En temps de crise, peut-être que les Grecs voisins eux aussi en difficulté financière peuvent avoir l’idée de venir voler tous les tableaux religieux des musées siciliens. Ces vaillants soldats sont venus s’ajouter aux 30.000 gardiens de forêts siciliennes. Sauf qu’après avoir sillonné plusieurs fois la zone, je n’ai pas trouvé l’ombre d’une forêt. L’île, qui souffre de sècheresses chroniques chaque année, n’a pas de véritable forêt. Qu’importe, sûrement en recrutant 30.000 personnes pour garder la forêt imaginaire, cette dernière va finalement se décider à sortir de terre. A ce chiffre, il faut bien entendu ajouter les 18.000 fonctionnaires que comptent les organismes de la Région Sicile, tout ce beau monde ne comprend pas, bien entendu, les fonctionnaires qui relèvent de la compétence nationale comme la police, la gendarmerie, la poste, le fisc, la préfecture etc.