Système D comme Démagogie, Déficit, Dette, Désespoir, Désastre, Discrimination, Détournements
N’est-ce pas que les hommes et les femmes qui font la politique chez nous nous émerveillent continuellement ? Mais de quoi viendrait cet émerveillement politique ? Emerveillons-nous devant ce que Jean-Gilles Malliarakis appelait, il y a dix ans déjà, le système D en parlant, à l’époque, dans un autre contexte et d’un autre pays. Pour cet auteur, le système D qu’il évoquait n’a rien à voir avec la débrouillardise et est «l’aboutissement de l’expression d’une démarche perverse à nos yeux mais parfaitement cohérente dans la réaffirmation de vieux dogmes que certains croyaient abandonnés». Hélas, les gouvernements se suivent et se ressemblent et il y a des raisons de s’émerveiller devant le statu quo dynamique qui permet à quelques politiciens de mener la danse, de nous entrainer dans des tangos infinis, de nous donner le vertige, de nous tourner la tête, de nous tourner en rond, toujours. Emerveillez-vous devant ce système D qui permet à ceux qui gouvernent l’Etat de Côte d’Ivoire de régner. Le système D en question se décline en plusieurs aspects tous liés et auto entretenus. D comme Démagogie, D comme Déficit, D comme Dette, D comme Désespoir, D comme Désastre, D comme Discrimination, D comme Détournement de fonds publics. Emerveillez-vous donc chaque jour de la semaine avec un D.
Lorsqu’il était candidat à la Présidence de la République, le programme du Dr Ouattara était celui du «vivre ensemble». Le semestre qui a suivi son arrivée au pouvoir, il a avoué qu’il ne s’attendait pas à trouver une situation plus catastrophique que celle qu’il avait anticipée. Ses calculs se sont donc révélés faux. Le dépérissement de l’Etat était, dit-il, plus profond. La défaillance de l’Etat était au-delà de ce qu’il avait cru, lui qui a été pourtant représenté au gouvernement par plusieurs ministres – et non des moindres –, qui a partagé le pouvoir depuis le 5 août 2002, date d’entrée de son parti au gouvernement ; lui qui a eu depuis janvier 2003 le statut de président d’Institution ; lui qui a participé à la cogestion du pouvoir et dont les hommes ont contrôlé un Etat parallèle à l’Etat de Côte d’Ivoire appelé à l’époque zone Cno ; lui enfin avoue n’avoir rien compris à ce qui se passait alors. N’y a-t-il pas de quoi s’émerveiller : constater qu’après dix ans de règne, Ouattara avoue ne rien comprendre au pouvoir en Côte d’Ivoire ? Dès le premier semestre, il a abandonné le programme du «vivre ensemble» pour la chasse aux sorcières de ses présumés adversaires et ennemis. Chasse qu’il a conduit jusqu’à ce qu’il se rende compte que la vengeance ne paye pas toujours en termes de stabilité, d’emploi et de croissance.
Il passe, pendant le second semestre, au programme du «rattrapage ethnique», pour constater, en fin de première année, que le chômage ne baisse pas, bien au contraire, il augmente avec le chômage ethnique et le coût de la vie de plus en plus élevée.
A 30 mois de la fin de son mandat, Ouattara a un nouveau programme de gouvernement : être candidat en 2015
Il abandonne ces premières logiques impuissantes pour passer au programme de «l’émergence de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020», grâce à de vieux programmes de dépenses publiques d’infrastructures de la fin des années 70 qu’il dénomme Pnd (plan national pour le développement). Il fait des campagnes de communication sur la croissance économique qui serait de retour avec des taux de 10%, mais constate que la pauvreté et le coût de la vie augmentent aussi dans des proportions incalculables. Comme les chiffres qui sont utilisés pour évaluer la croissance sont faux, il lui est difficile de dire que ceux utilisés pour évaluer la pauvreté, le chômage et le coût de la vie sont eux aussi faux. A faussaire, faussaire et demi. Une fois de plus, il change, le Pnd est oublié et on s’engage, trente mois avant les élections, avant même qu’il nous dise combien d’habitants il y a en Côte d’Ivoire, avant qu’il ne mette en place une commission électorale sérieuse, avant qu’il ne nous permette de reconstituer la liste électorale, dans son nouveau programme de gouvernement : il sera candidat en 2015, car il ne peut réaliser ses promesses électorales faites entre 1994 et 2010, en seulement 5 ans. Il lui faut un autre mandat et dans les trente mois à venir, tel sera son programme : convaincre les populations qu’il fera en sept ans ce qu’il n’a pas fait en trois ans. Il ira en campagne ici à l’intérieur du pays et aussi à l’extérieur car, à défaut de travailler pour avoir de l’argent, il ira s’endetter pour y arriver.
Devant notre émerveillement le président passe à la vitesse supérieure. Il faut trouver un thème de campagne qui paye, et qui, par le passé a bien payé. «Je vais régler maintenant les questions de nationalité et de foncier».
Juste pour détourner l’attention des populations sur la mauvaise gouvernance et les grandes déceptions, pour remobiliser un électorat qui, par le passé, a été très sensible à son discours identitaire, la candidature annoncée et appuyée par un projet de règlement présenté comme conjoint entre la nationalité et le foncier rural. Quel émerveillement, quand des gens qui nous disaient il y a quelques temps, lors du conclave de Bassam, être définitivement sortis du cadre de Marcoussis, se retrouvent à invoquer les accords de Marcoussis ! Ces accords, conçus pour un gouvernement de réconciliation nationale, avaient pour but de chasser le détenteur du pouvoir de l’époque. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le cadre d’un gouvernement de transition ou de réconciliation, du moins c’est ce que nous nous autorisons à penser. Marcoussis a été appliqué selon les désidératas de Ouattara et le dossier semblait clos, lorsqu’il est ressorti de nouveau d’une part pour la nationalité et le foncier et d’autre part pour l’âge limite autorisée par l’article 35 de la constitution pour briguer un mandat de la présidence de la république. Emerveillez-vous !
Une lecture sélective de Marcoussis qui aboutit à la transformation d’une armée nationale en garde prétorienne privée de Ouattara
Marcoussis demandait le désarmement des rebelles dès la mise en place du gouvernement de réconciliation nationale. Ouattara ne l’a jamais accepté et aujourd’hui, pendant sa tournée dans les Savanes, non seulement il a justifié cette rébellion, mais il a proclamé en plus qu’il en est fier dans une région où plus de deux cents (200) personnes ont été assassinées dans un conteneur par le chef de guerre local, promu par Ouattara alors qu’il est sous sanctions onusiennes. Rien n’a été fait pour le désarmement et les élections se sont déroulées contre l’esprit et la lettre de Marcoussis. Les rebelles, après avoir pillé le nord, mettent maintenant à sac toute la Côte d’Ivoire. Le nord aurait donc oublié les crimes de la rébellion ? Quelle merveille !
Marcoussis voulait le désarmement des forces belligérantes, mais Ouattara, après sa victoire militaire, n’a désarmé que les Forces de défense et de sécurité (Fds) de l’Etat de Côte d’Ivoire. La retraite obligatoire et d’office a été imposée aux agents des Fds qui ne le souhaitaient pas. La retraite sans promotion pour certains qui en avaient atteint l’âge. La promotion à des postes diplomatiques pour d’autres enfin, qu’il aurait fallu maintenir pour la mise en place de la nouvelle armée. Le désarmement version Ouattara : transformer l’armée nationale en sa garde prétorienne privée. Quelle merveille !
Marcoussis voulait que les médias d’Etat ne soient pas caporalisés pour le compte d’un parti et qu’il leur soit donné impartialité et indépendance. Ils sont devenus, depuis Marcoussis, et le restent encore, des instruments de propagande du président de la République et du clan le plus fort du pouvoir en place. Quelle merveille !
On peut s’émerveiller de cette lecture sélective de Marcoussis par le personnel politique ivoirien. D’ailleurs , l’émerveillement ne date pas d’aujourd’hui quand on se souvient des métamorphoses des accords de Marcoussis signés le 24 janvier 2003. Aujourd’hui, en juillet 2013, plus de dix ans après, les accords sont passés par différents avatars. Le 30 juillet 2004, on les a renommés accords d’Accra, puis le 6 juin 2005, ils ont été rebaptisés accords de Pretoria, pour finir le 4 mars 2007 comme l’accord politique de Ouagadougou. Emerveillez-vous donc ! Avatars ? Quelle merveille !
Pillage systématique du sol et du sous-sol par des mafias politiques
Faire un traitement conjoint des questions de la nationalité et du foncier rural revient à se lancer dans une mission impossible, mais qui aura l’effet recherché de réveiller les vieux démons de l’ivoirité, de la xénophobie et de l’exclusion dans une ambiance qui suit l’annonce de la candidature du Dr Ouattara, président de la République en exercice.
Depuis les violences de la crise post électorale, de nombreux Ivoiriens sont rejetés par leur État et sont réfugiés au Libéria, en Guinée, au Mali, au Burkina Faso, au Ghana, au Togo, au Benin et bien plus loin encore. Non content de négliger le phénomène et de se montrer incapable de les rassurer et de les faire revenir, Alassane Dramane Ouattara propose plutôt de régler en urgence de prétendus cas d’apatrides, c’est-à-dire des gens qui vivraient en Côte d’Ivoire depuis l’indépendance de 1960 et qui ne seraient citoyens de nulle part. Alors qu’il interdit la nationalité à de nombreux citoyens ivoiriens en exil, il cherche de putatifs apatrides auxquels il voudrait donner la nationalité. N’y a-t-il pas de quoi s’émerveiller?
Le président Ouattara, face à la déperdition de sa popularité et pour remobiliser ce qui était son électorat traditionnel avant son arrivée au pouvoir, tente de ressortir les démons de la division qui lui avaient été tellement favorables par le passé. Ces démons collectivistes qui entraînent les populations à choisir non plus leurs destinées propres, en tant que citoyens, en tant qu’individus, en tant que personnes humaines, mais à se définir d’abord comme groupes plus ou moins homogènes. Pour Alassane Dramane Ouattara, les habitants de notre pays appartiennent à leurs langues, à leurs ethnies, à leurs tribus, à leurs religions ; ils ne s’appartiennent pas à eux-mêmes. Le démon du repli identitaire qu’il veut attiser est celui qui nous conduit à choisir notre groupe tribal et à nous identifier à ce groupe comme entité homogène autonome. Le résultat est que chacun de nous, les partis politiques en premier, doit définir le groupe qu’il aime et ceux qu’il n’aime pas selon l’humeur du moment, selon les alliances du moment, selon les tactiques politiques du moment. Le gouvernement doit en faire autant et même donner l’exemple. Cet holisme politique, qui instrumentalise l’ethnie, la tribu, la région, la religion en les mettant à la disposition des ambitions politiques, cultive la discrimination collective, oppose les groupes ethniques, nourrit les antagonismes de groupes, les envies, les jalousies, les conflits communautaires. Lorsque vous êtes dans une catégorie peu nombreuse ou peu appréciée par le pouvoir dont la détention donne des forces, vous serez brimé parce que votre seule valeur se trouve dans votre nombre et votre identité collective, tribale. Ce collectivisme définit des catégories importantes et fortes et les impose aux catégories classées comme peu importantes et faibles. Ce système discriminatoire et tribal conduit aux conflits tribaux et ethniques. Faut-il s’en émerveiller ?
Combiner cette approche discriminatoire et les questions foncières, c’est nous éloigner du fond du règlement des questions foncières et, pendant ce temps, mieux organiser le pillage systématique des ressources du sol et du sous-sol par le canal de mafias politiques. Ce constat pousse à espérer que les Ivoiriens prennent conscience des dangers du système D dans la république de Ouattara, et que l’émerveillement béat et fataliste fasse place à l’éveil des consciences et à l’action. Ensemble, nous réussirons.
Mamadou Koulibaly
Président de LIDER