Le Nouveau Courrier publie ici de larges extraits de la dépêche d’Associated Press.
« Les soldats alignaient les détenus sur l’herbe au milieu de la nuit et les frappaient avec des bâtons. A certaines occasions, ils frappaient les prisonniers avec des ceintures et des fusils avec une telle force que les traces de leurs coups ont été apparentes sur les corps des infortunés pendant des semaines. Cédric Bao, 33 ans, qui a été détenu pendant deux semaines en août parce qu’on le soupçonnait de cacher des armes, a affirmé que les soldats «connectaient» les détenus avec des fils et leur administraient des décharges électriques au point qu’ils se tordaient de douleur sur le sol. «Quand cela se produisait, les fils faisaient grand bruit, et les lumières clignotaient, une odeur de brûlé planait. On pouvait entendre les gens crier», raconte Bao. «Je priais Dieu pour ne pas y passer.»
«Un gardien m’a mis le pistolet dans la bouche et m’a dit de parler»
(…) L’Opération des Nations unies dans le pays a déclaré, à la mi-août, que cent arrestations de personnes soupçonnées d’être impliquées dans ces attaques avaient été documentées. Un responsable onusien, qui n’est pas autorisé à parler au nom de la mission, a déclaré cette semaine que ce nombre avait plus que doublé. Alors que les allégations de tortures ont été documentées au sujet de multiples installations militaires, les fonctionnaires de l’ONU ont déclaré que les pires témoignages provenaient de détenus du camp de San Pedro, faisant notamment état de chocs électriques. Peu de détenus dans la ville ont parlé de leurs expériences dans ce camp en raison des menaces qu’ils ont reçues avant d’être libérés, a déclaré Serge Dagbo, représentant à San Pedro de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme. Mais dans de récentes interviews avec Associated Press, quatre anciens détenus ont décrit des conditions difficiles marquées par des locaux exigus, de la nourriture minimale et l’utilisation fréquente de la violence pour extorquer des aveux. Comme les autres détenus, 40 ans, Plika Sokouli dit qu’il n’a jamais su exactement pourquoi il a été arrêté à la fin août sur le stand où il vendait des ananas et des liqueurs faites maison. Mais selon lui, les menaces de violente se sont manifestées dès son arrivée au camp. «Quand je suis arrivé, un gardien a pris un pistolet, l’a mis dans ma bouche et m’a dit d’en parler», a-t-il raconté. «J’ai dit que je ne savais rien.»
«Un policier devenu inconscient suite aux électrocutions»
Christian Hino, un ancien employé de station-service actuellement sans emploi, a déclaré que huit détenus ont été menottés avant d’être soumis à des séances de torture en tête-à-tête, qui ont duré jusqu’à 25 minutes. Quatre d’entre eux étaient maintenus sur le gazon devant le bâtiment principal du camp, et de longs fils étaient attachés à leurs pieds, aux sections médianes et à leur cou, et des chocs électriques leur étaient administrés. «Vers 4 heures, un policier qui a été arrêté est devenu inconscient suite aux électrocutions», a dit Hino. «J’avais vraiment peur. Il ne réagissait pas. Les gens se demandaient s’il était mort.» Haut responsable du camp, le capitaine Sékou Ouattara Béma a nié les allégations de mauvais traitements physiques, et a affirmé que les prisonniers n’avaient jamais été détenus pendant plus d’une journée ou deux. Pourtant, il a justifié la campagne de l’armée pour extirper les ennemis de la population locale. «C’est à cause de notre détermination et de notre travail que San Pedro n’a pas été attaquée», a-t-il dit.
Le lieutenant Aboubakar Traoré, commandant en second du camp, a également nié les violences physiques administrées au camp. Mais il dit que les soldats pouvaient avoir recours à la torture quand les commandants étaient absents. «Je ne veux pas dire que nous sommes parfaits», a-t-il dit. «Je ne dors pas ici. Je ne sais pas exactement ce que font les soldats quand je dors.» Mais selon un garde, qui s’exprimait sous couvert de l’anonymat, par crainte de représailles, ces prisonniers étaient régulièrement détenus pendant plusieurs jours d’enquête. Il a également déclaré que les coups étaient monnaie courante, prétendant qu’ils se sont produits en l’absence des commandants. Interrogé sur la sévérité des coups, il s’est mis à rire et a dit : «Il n’y a pas deux façons de frapper quelqu’un. Nous les avons battus sévèrement afin qu’ils se souviennent.»
La torture pourrait s’aggraver avec la nomination d’Ousmane Coulibaly
Les allégations de mauvais traitements à San Pedro doivent être immédiatement examinées, a déclaré Matt Wells, chercheur Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. «La nature et les caractéristiques de la maltraitance des détenus indiquent que, au minimum, les commandants du camp auraient dû avoir connaissance de tels abuset avoir pris des mesures pour les prévenir et de punir les soldats impliqués», a-t-il dit. «Les autorités ivoiriennes doivent enquêter immédiatement et veiller à ce que toute personne soit traduite en justice.» En attendant, la torture à San Pedro pourrait bientôt s’aggraver. Le gouvernement a confirmé cette semaine que Ousmane Coulibaly, un commandant de l’ancienne zone du groupe rebelle des Forces nouvelles, qui a contrôlé le nord de Côte d’Ivoire de 2002 à 2010, avait été nommé préfet de la région de San Pedro. Coulibaly a été mis en cause par Human Rights Watch dans des crimes graves durant la crise post-électorale, y compris la torture et les exécutions extrajudiciaires dans le quartier de Yopougon à Abidjan. Wells a déclaré que cette nomination «insulte les victimes de ces abus et la promesse du gouvernement d’offrir une justice impartiale.»
En attendant que Coulibaly soit installé à son nouveau poste, les anciens détenus de San Pedro se demandent si les mauvais traitements qu’eux ou d’autres ont enduré ont rendu la ville plus sûre. «Je ne crois pas aux aveux qu’ils ont obtenu», a dit Bao, «parce que ces aveux ont été obtenus sous la torture.» »
Associated Press