ART. 4. –Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; – Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année – Y vit de son travail – Ou acquiert une propriété – Ou épouse une Française – Ou adopte un enfant – Ou nourrit un vieillard ; – Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité – Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français.
Constitution de la première République française, du 24 juin 1793
Se poser la question de savoir si l’immigration est une chance ou une menace pour la France, c’est ouvrir la porte à une possible réponse négative. Compte tenu de l’actualité, autant la campagne électorale la plus importante pour le pays, que le drame de Toulouse/Montauban, on peut comprendre qu’une analyse superficielle et orientée, fasse paraître l’immigration comme une menace.
Quelques bénéfices indéniables des phénomènes migratoires
Sauf à porter des œillères pour ne pas voir l’évidence comme font sciemment certains hommes politiques français, les migrations internationales ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans le développement économique tant des pays d’émigration (pays d’où partent les émigrés) que des pays d’immigration (pays d’accueil des migrants). Les contributions diverses des immigrés à l’accumulation des richesses dans les pays développés ainsi que les transferts de fonds des migrants vers les pays d’origine, attestent de cette double utilité économique du phénomène migratoire.
Les bénéfices que les pays développés tirent de l’immigration sont souvent occultés. Ainsi, on oublie qu’en Allemagne, dans les années 80, une voiture sur six est construite grâce au travail des immigrés. En France, sur les chantiers du bâtiment et des travaux publics, huit travailleurs sur dix sont d’origine étrangère. En Belgique, près de la moitié du charbon est extraite par des mineurs étrangers. Grâce au nombre élevé des enfants des immigrés, les pays comme la France peuvent afficher des taux de naissance dont le pays se satisfait à juste raison.
Sur le plan culturel, le renouvellement dans le monde de l’art doit beaucoup au brassage de différentes cultures. On citera les phénomènes mondiaux comme le Jazz, le Reggae, le Slam, le Hip-hop, le Rap, etc. qui font vibrer les jeunes et les moins jeunes dans les villes et les campagnes. C’est connu, le «métissage culturel» chanté par le poète président Senghor, le métissage tout court est l’avenir de l’humanité. On le voit en Afrique où des populations européennes sont installées durablement et inversement en Europe où les étrangers trouvent une terre d’accueil et d’épanouissement.
LA MIGRATION: UN PHÉNOMÈNE INDIVIDUEL
Les migrations contemporaines sont des migrations essentiellement individuelles. Cette nouvelle donne est d’une importance capitale. Des hommes, des femmes et aujourd’hui de plus en plus d’enfants, quittent leurs pays de naissance, en quête d’une vie meilleure ailleurs. Ils partent du Mali vers le Gabon, du Cameroun vers la Guinée équatoriale, du Congo et du Nigeria, vers l’Afrique du Sud. Ils partent d’Afghanistan, de Turquie et des nations africaines, vers l’Europe ou l’Amérique. Il fut un temps où ils étaient invités. Ils ne le sont plus aujourd’hui ou le sont de moins en moins. Mais ils partent, en quête d’une hypothétique vie meilleure.
La France a toujours été une terre d’accueil pour plusieurs raisons. Carrefour européen par excellence, terre de culture, mais aussi et surtout terre de liberté et patrie des Droits de l’homme, elle était le lieu d’exil privilégié de tous ceux qui étaient menacés dans leurs pays. Nous pouvons citer en exemple, la forte colonie des Noirs Américains qui ont résidé en France durant la première moitié du XXème siècle, pour fuir les lois raciales et racistes américaines. D’autres encore, fuyant la misère, ont afflué de tous les pays d’Europe: Espagne, Italie, Pologne, Portugal… Ensuite sont arrivés les ressortissants de ses anciennes colonies, pour des besoins de main-d’œuvre bon marché essentiellement, mais aussi pour des raisons de formation par ses universités.
Mais il faut noter une constante statistique pour éviter les termes aussi définitifs que invasion et donc pour justifier la chasse au faciès: depuis les années 30, les étrangers n’ont jamais dépassé 7% de la population française.
UN ACCUEIL RATÉ
Dans les langues africaines, «étranger» se dit «l’homme de bien», «celui qui est attendu»
En France, être un étranger, c’est être une menace, un danger. Donc l’accueil est une épreuve. De plus, nous faisons l’exact contraire de ce que nous prônons quotidiennement. En effet, la France qui, à la différence des pays anglo-saxons, reconnaît les individus et non les communautés, n’a pourtant eu de cesse de considérer les migrants comme des communautés et non comme des individus. J’insiste sur le fait que le projet de migration est un projet individuel. C’est comme individu que chaque migrant arrive en France, avec son projet individuel. Ceci a une importance capitale. La France a oublié cette dimension individuelle de la migration, dimension qui correspondait pourtant à sa vision de l’homme. Voilà ce qui explique qu’on a eu droit à des foyers maliens ou algériens et autres camps pour Harkis. C’est ainsi que petit à petit, la France a elle-même tissé la toile du communautarisme.
Ensuite, il y a eu des attitudes et des postures qui relèvent essentiellement syndrome du colonisateur. Le migrant des anciennes colonies ne pouvait être que subalterne, inférieur même! Le mythe de l’éboueur Mamadou est né. Tous les éboueurs sont des Mamadou: ils ont besoin d’être regroupés et qu’on s’occupe d’eux. De toutes les manières, ils ne sont pas intégrables dans la société française: ils sont musulmans, ils sont polygames… «ajoutez à cela le bruit et l’odeur et…». On a pensé à contre courant de toutes les expériences: tôt ou tard, tous ces Mamadou allaient sagement s’en retourner vers leur bled maghrébin ou leur village sahélien. Ainsi, au lieu de leur enseigner la langue locale pour pouvoir évoluer dans leur pays «d’accueil», suivre la scolarité de leurs enfants, aller à la rencontre des Français et aux devants de toutes les institutions, on a truffé ces institutions d’interprètes et on s’est même mis à enseigner les langues d’origine.
Comment les Français peuvent-ils objectivement avoir la prétention de connaître toutes les langues et cultures des diverses origines des migrants? Après les foyers ethniques, on a concentré les migrants dans des cités tout aussi ethniques. Les enfants sont nés et ont évolué dans cette atmosphère de ghetto et d’exclusion. On leur a créé des ethnies black ou beur. Le malaise a enflé. Une infime minorité agissante, en réponse à ce mépris, a mis le feu aux poubelles et aux voitures.
La banlieue inquiète la France!
Le malaise n’est pas un produit de l’immigration. C’est la conséquence de ce que la jeunesse considère comme une grave frustration. La très grande majorité des jeunes issus de l’immigration se prend en charge à travers une vie associative dense et multiforme et fait la promotion du respect des droits et des devoirs dans notre pays. Ces millions de jeunes savent que la France est une chance pour eux. Ils le disent tous les jours dans leurs actes et dans leurs mots: J’AIME la France.
Et que leur répondent la France officielle et la France du CAC40? Contrôles policiers au faciès: tatillons, vexatoires, continus. Formation au rabais, refus d’embauche et de logement, chômage massif, exclusion…
Kofi YAMGNANE