Le journal a retrouvé le vrai Paul Bismuth qui n’a pas l’air très content que son nom ait été usurpé. « Je trouve ça plutôt cavalier », a-t-il confié à l’hebdomadaire. L’homme envisage de porter plainte pour usurpation d’identité.
Malgré les précautions prises par l’ancien président et son avocat, les enquêteurs avaient également placé sur écoute ce second téléphone, comme l’a révélé « Le Monde ».
Le Nouvel Observateur
Sarkozy sur écoute : 6 questions sur une nouvelle affaire
L’ex-président est soupçonné d’avoir été renseigné des évolutions de procédures le concernant par la plus haute juridiction du pays : la Cour de cassation. Son avocat dénonce une « affaire montée de toutes pièces ».
Nicolas Sarkozy est en première ligne d’un nouveau dossier. Et pas le moindre. Tous les ingrédients d’un scandale à l’échelle de l’Etat sont réunis. Selon les informations publiées vendredi 7 mars par « Le Monde », l’ex-chef d’Etat, placé sur écoute dans l’enquête sur les accusations de financement de sa campagne de 2007 par la Libye de Kadhafi, serait impliqué dans un trafic d’influence présumé.
C’est la première fois en France qu’un ex-président est placé sur écoute par la justice. Les « grandes oreilles » du procureur ont également enregistré les conversations de deux ex-ministres de l’Intérieur, Brice Hortefeux et Claude Guéant.
Un coup de fil de Nicolas Sarkozy à son avocat, Thierry Herzog, a déclenché, le 26 février dernier, l’ouverture d’une information judiciaire pour « violation du secret de l’instruction » et « trafic d’influence » par le tout nouveau parquet national financier.
Les deux hommes auraient parlé à un juge très en vue, Gilbert Azibert, haut magistrat du parquet général de la Cour de cassation, proche de l’avocat de l’ancien chef d’Etat. L’échange aurait concerné son éventuelle sollicitation pour qu’il se renseigne sur une procédure en cours devant la Cour de cassation : celle concernant la décision cruciale du 11 mars prochain sur la saisie des agendas de Sarkozy.
En échange de quoi, selon « Le Monde », Gilbert Azibert aurait à son tour sollicité l’intervention de Nicolas Sarkozy pour qu’il fasse jouer ses relations en vue d’obtenir un poste prestigieux. Thierry Herzog n’a pas tardé à monter au créneau pour démentir en bloc et dénoncer une « affaire politique », mais cette nouvelle affaire, dont ce n’est peut-être que le début, pose, encore, plusieurs questions.
1 Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il été mis sur écoute ?
Tout commence, selon « Le Monde », avec l’ouverture de l’information judiciaire à Paris, le 19 avril 2013. Pour « corruption », mais aussi « trafic d’influence », « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « blanchiment », et « complicité et recel de ces délits », dans le cadre de soupçons de financements libyens pour la campagne 2007 de l’ancien président Nicolas Sarkozy.
Cette information judiciaire fait suite, entre autres, aux témoignages de l’homme d’affaire franco-libanais Ziad Takieddine. En mars 2012, « Mediapart » a affirmé que Khadafi aurait financé la campagne de Sarkozy, et a diffusé un document venant d’un ex chef des renseignements extérieurs libyens faisant état d’un « accord de principe » à hauteur de « 50 millions d’euros ». L’authenticité du document est contestée.
Nicolas Sarkozy, qui dément fermement, a porté plainte contre « Mediapart » pour « faux et usage de faux » et « publication de fausses nouvelles ». Fin janvier, dans son magazine « Pièce à conviction », « France 3 » a diffusé une interview de Kadhafi datant de mars 2011 dans laquelle il évoque un financement politique occulte de la campagne.
Dans le cadre de cette affaire, décision est prise par les magistrats, selon « Le Monde », de mettre l’ancien président et deux de ses anciens ministres de l’Intérieur, Claude Guéant et Brice Hortefeux, sur écoute.
2 Qui a mis Nicolas Sarkozy sur écoute ? Comment ?
Les écoutes judiciaires sont soumises à des règles précises, détaillées sur le site du ministère de l’Intérieur. Dans le cadre d’une enquête en matière criminelle ou correctionnelle, le juge d’instruction peut ordonner de faire pratiquer des écoutes téléphoniques, si la peine prévue pour le crime ou le délit concerné est égale ou supérieure à 2 ans de prison. La décision du juge doit être écrite. Les écoutes peuvent durer 4 mois au maximum, renouvelables.
Dans le cadre de cette nouvelle affaire, deux juges pilotent l’enquête : Serge Tournaire et René Grouman.
Un procès-verbal est établi pour chaque enregistrement, mentionnant la date et les heures de début et de fin, souligne-t-on au ministère de l’Intérieur.
Les enregistrements sont placés sous scellés fermés. Ils font ensuite l’objet d’une transcription par le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire. Seuls sont versés au dossier les éléments utiles à l’instruction. Après l’établissement des transcriptions, les enregistrements sont détruits sous l’autorité du procureur de la République ou du procureur général, précisent encore les services du ministère.
3 Ces écoutes sont-elles légales ?
Thierry Herzog est hors de lui. « C’est une violation monumentale des droits de la défense ! » juge de son côté l’avocat de Nicolas Sarkozy. « J’ai appris que cette procédure a pour fondement des écoutes téléphoniques réalisées entre Monsieur Sarkozy et moi, dont personne me semble-t-il ne peut ignorer que je suis l’avocat ! » Or, selon lui, « les conversations entre un avocat et son client ne peuvent être écoutées, pire enregistrées et retranscrites pour fonder l’ouverture d’une information ».
La Cour de cassation n’est toutefois pas tout à fait d’accord, sur ce dernier point, avec l’avocat de l’ancien président. En mars 2012, elle précise en effet sur le sujet : « En cas d’interception fortuite d’une conversation entre un avocat et son client ou un tiers, la jurisprudence admet que (…) la conversation ne peut être transcrite et versée au dossier de la procédure que s’il apparaît que son contenu est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction. À défaut, la retranscription doit être annulée. » Elle ne peut pas être versée au dossier. Rien ne semblerait cependant empêcher d’écouter la conversation…
Enfin, précision évidente mais à rappeler : Nicolas Sarkozy, depuis qu’il a quitté l’Elysée en mai 2012, n’est plus protégé par son immunité présidentielle. L’ex-président est un justiciable comme les autres.
4 Qui est le haut magistrat Gilbert Azibert, soupçonné d’avoir renseigné Sarkozy ?
Depuis septembre 2010, Gilbert Azibert, un des plus hauts magistrats de France, occupe le poste de premier avocat général à la 2ème chambre civile de la Cour de cassation. Comme l’indique « Le Monde », le Marseillais de 67 ans, actuellement en fin de carrière, est notamment en charge de l’indemnisation des victimes ou du droit de la Sécurité sociale.
Présenté comme un homme « solide et autoritaire » marqué à droite et doté d’un « puissant réseau », Gilbert Azibert a occupé, entre autres, au début des années 2000, le poste convoité de directeur de l’école nationale de la magistrature (ENM).
Le magistrat a aussi été en 2005 procureur général près la cour d’appel de Bordeaux, secrétaire général du ministère de la Justice de 2008 à 2010, directeur de l’administration pénitentiaire de 1996 à 1999. Il s’est vu attribuer plusieurs décorations : officier de la Légion d’honneur et des Palmes académiques et commandeur de l’ordre du Mérite.
5 Que viennent faire les affaires Tapie et Bettencourt dans cette histoire ?
La mise sur écoute des téléphones de Nicolas Sarkozy et de Thierry Herzog devait initialement permettre aux juges d’obtenir des informations sur l’éventuel financement libyen de la campagne de l’ancien chef d’Etat en 2007. Mais les conversation retranscrites par les enquêteurs se révèlent précieuses pour un tout autre dossier. Elles dévoilent des échanges portant sur la procédure Bettencourt à la Cour de cassation – dont ils peuvent suivre l’avancement grâce aux informations de Gilbert Azibert – , et notamment sur ce qui préoccupe au plus haut point Nicolas Sarkozy : le destin de ses agendas, privés et officiels, saisis dans le cadre de cette procédure.
Le 11 mars, la Cour de Cassation doit dire si la saisie était licite ou non. Or, la portée de cette décision dépasse l’affaire Bettencourt : « Il s’agit de savoir si les agendas peuvent être versés dans d’autres procédures, comme l’affaire Tapie », explique le journaliste Gérard Davet sur « iTélé. » En cas d’invalidation de la saisie par la Cour de cassation, ces agendas qui « attestent de la proximité et des relations entre Nicolas Sarkozy et beaucoup d’autres personnes, dont M. Tapis ou M. Pérol » devraient disparaître des autres procédures, privant l’accusation d’une pièce essentielle.
Pour rappel, la procédure Tapie porte sur l’arbitrage controversé en règlement du litige entre le Crédit lyonnais et l’homme d’affaires, qui lui a permis d’empocher 403 millions d’euros. Les enquêteurs cherchent à comprendre le fonctionnement de la chaîne qui a conduit à cette décision, très favorable à Tapie. Nicolas Sarkozy est directement visé : l’arbitrage a été rendu sous sa présidence, après des réunions à l’Elysée conduites par le secrétaire général, Claude Guéant. L’ancien chef de l’Etat est soupçonné d’avoir voulu favoriser Bernard Tapie, dont il est resté proches après leur rencontre, dans les années 1990.
6 La Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, est-elle mise en cause ?
La Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, est la garante du bon fonctionnement du système judiciaire français. Tout soupçon remettant en cause l’intégrité cette institution est donc gravissime. Or, les révélations du « Monde » remettent très lourdement en cause ce fonctionnement, en révélant l’implication de Gilbert Azibert, premier avocat général, l’un des plus hauts magistrats de France, directement impliqué dans un trafic d’influence.
« A travers les retranscriptions des écoutes téléphonique, il apparaît assez clairement qu’à la Cour de cassation, il y a différentes influences qui s’agitent, qui bougent », commente Gérard Davet sur « iTélé ». « Après, il faut savoir si ces influences ont un réel impact sur les décisions prises. On ne le saura que le 11 mars, quand la Cour de cassation va se prononcer sur les agenda. » A cette date, le soupçon de corruption pesant sur la juridiction, qui n’est encore qu’une hypothèse, se verra oui ou non confirmée par une décision concrète.
C.R., R.F. et M.B.
Le Nouvel Observateur