Mawama s’est trompé ! [Par Jaurès Tcheou]

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La justice des hommes n’est pas parfaite. Elle est néanmoins remplie de bon sens, de principes et de vertus qui, pris ensemble, dans un dosage raisonnable, nous garantissent davantage la paix sociale et le vouloir vivre ensemble. Associée à sa soeur la Presse, elles constituent toutes deux, un rampart republicain contre le règnes des nantis et la dictature des plus forts. Antagonisées, elles participent malheureusement à la création d’un Léviathan implacable et monstrueux au service des potentats.. La sortie en date du 15 décembre 2021 du Procureur de la République togolaise, sur l’affaire Agbetomey/ Adedze vs Journalistes a laissé plus d’un perplexes et désenchantés. L’argumentaire juridique du Procureur, non seulement paraissait plutôt simpliste pour une affaire aussi fondamentale, mais aussi était dépourvue d’une densité objective qu’on espérait de ce magistrat dont l’expertise est de notoriété publique. Toute personne a droit à la liberté d’expression.
Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de moyen et de frontière. Toutefois, ce droit n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de presse écrites, de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi. Celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime. Ces mesures sont aussi capitales à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Ceci étant, deux axes principaux constituent l’épine dorsale de l’argumentaire du Procureur de la République: –
L’absence des reseaux sociaux comme canaux legaux de communication au vue des dispositions pertinentes du Code de la Presse – les faits d’outrage envers les représentants de l’Autorité publique et la diffusion de fausses informations de nature a troubler la paix publique, au sens des articles 490, 491, 492 et 497 du Code Pénal Nouveau. Parlons droit… Au vu de ce qui précède, il nous revient de vérifier si les autorités judiciaires ont ménagé un juste équilibre entre, d’une part, la protection de la liberté d’expression, consacrée par notre Constitution, et, d’autre part, celle du droit à la réputation des personnes mises en cause,, en tant qu’élément de la vie publique prévue par le Code Pénal. De la question des « réseaux sociaux » Le Procureur de la République, dans sa sagesse, a brillamment cru devoir éviter le terrain « d’ingérence litigieuse » dans les droits des journalistes garantis par le Code de la Presse en évoquant l’illégitimité des reseaux sociaux en tant que canaux de communication des journalistes. Seulement, l’argumentaire basée sur « les réseaux sociaux » paraît, eu égard à l’actualité, aussi vétuste que mal placé.
En effet, la cause la plus récurrente dans la critique portée contre les réseaux sociaux est le problème « d’anonymat. » Mais comme nous pouvons le constater, les journalistes incriminés ont dans leurs qualités et états civils revendiqué leurs sorties dans l’émission en cause. Ils ont été présentés respectivement sur les plateaux de l’émission en tant que journalistes et responsables de leurs organes respectifs. Du coup, même si le Code de la Presse dans son état actuel ne reconnaît pas comme media légitime « les réseaux sociaux », l’identité et la qualité des journalistes ne font aucun doute. De surcroît, est-il besoin de rappeler que la qualité de journaliste n’est pas exclusivement bâtie sur le moyen de communication choisi? Et que, autorités publiques, chefs d’États et de Gouvernement de part le monde, que dis-je, Faure Gnassingbé, ont fait de Twitter, de Facebook et autres, des canaux officiels de communication et meme de prise de décision? De la question d’outrage et de diffusion de fausses nouvelles Dans le cas d’espèce, le Procureur de la République a estimé que son réquisitoire visait un but légitime à savoir, la protection de la réputation des autorités publiques ainsi que de la paix sociale. Seulement, il a ignoré le rôle fondamental qui est celui de la presse dans une société démocratique, ainsi que le domaine publique de la qualité d’autorité publique. Le rôle éminent de la presse dans une société démocratique en tant que « chien de garde » (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999-III) est reconnu universellement. En raison de ce rôle, la liberté journalistique implique aussi « le recours possible (Suite) à une certaine dose d’exagération, voire de provocation » (Gawęda c. Pologne, no 26229/95, § 34, CEDH 2002‑II). 47. S’agissant de la nature des propos susceptibles de porter atteinte à la réputation d’un individu, nous distinguons traditionnellement entre deux facteurs essentiels: les faits et les jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Lorsqu’une déclaration s’analyse en un jugement de valeur, la proportionnalité de l’offense peut être fonction de l’existence d’une base factuelle suffisante, en l’espèce la qualité de ministre et de leaders de conscience. Car, faute d’une telle base, un jugement de valeur peut lui aussi se révéler excessif. De surcroît, dans le contexte d’une procédure pour diffamation ou injure, le Procureur devrait mettre en balance un certain nombre de facteurs supplémentaires lorsqu’il apprécie la proportionnalité de l’acte incriminé. Tout d’abord, s’agissant de l’objet des propos litigieux, la jurisprudence rappelle que les limites de la critique admissible à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, sont plus larges qu’à l’égard d’un simple particulier. A la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes, tant par les journalistes que par la masse des citoyens. Il doit, par conséquent, « montrer une plus grande tolérance » (Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, §§ 117-121, CEDH 2015 (extraits), Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103).
En évaluant la pertinence et la suffisance des conclusions du Procureur de la République, prenons en considération, conformément au critère de subsidiarité, la manière dont ce dernièr a effectué la mise en balance des intérêts contradictoires de la Presse et des Autorités publiques en jeu, à la lumière de la jurisprudence bien établie en la matière. Ainsi donc, nous considèrons que le Procureur Mawama n’a pas fourni de motifs pertinents et suffisants pour justifier l’inculpation au pénal des journalistes. Non seulement les actes d’inculpation ne sont pas proportionnels au but légitime poursuivi mais aussi ne répondent pas à un « besoin social impérieux » et ne sont donc pas necessaires, dans cette société démocratique que nous Togolais appelons de tous nos vœux. Il n’est pas tard de mieux faire. Pour cela nous exhortons la Presse et la Justice, filles aînées de la Declaration Universelle des Droits de l’Homme et des Libertés Publiques à se coaliser pour un Togo plus justes et plus humain.
Jaures Tcheou
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