Entre janvier et avril de cette année, la situation au Mali a brutalement basculé. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), avec dans son sillage les islamistes d’Ansar Dine et du Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest, une branche d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), s’est emparé de tout le nord du pays à l’issue d’une campagne fulgurante, face, il est vrai, à l’opposition dérisoire des forces armées maliennes.
En mars, un coup d’Etat lancé par des officiers maliens achevait de saper les maigres capacités de défense du Sud. Puis, sous la pression de la Cédéao, les militaires ont laissé le pouvoir au gouvernement civil, qui s’est pour sa part engagé à mener «une guerre totale» contre l’insurrection touareg au nord.
Cet été, ce sont les rebelles qui se sont divisés à leur tour. Les divergences de vue entre les nationalistes touareg et les islamistes ont fini par dégénérer en conflit ouvert. Après de brefs combats et au prix de quelques dizaines de tués, le MNLA a été chassé de la ville de Gao à la fin du mois de juin. Début juillet, les islamistes prenaient Tombouctou.
En fait de «guerre totale», Bamako donne surtout des signes d’impuissance, appelant à l’aide les Nations unies dans l’espoir qu’une intervention internationale parvienne à rétablir la situation au nord. Beaucoup estiment que la partition de facto du Mali est désormais irréversible.
L’ombre du colonel Kadhafi
Dès le mois d’avril, l’appel à l’intervention étrangère était repris en écho dans les médias occidentaux. Le Washington Post considérait même que
«la France, qui avait pris la tête de l’intervention de l’OTAN en Libye et utilisé ses troupes pour défendre la démocratie en Côte d’Ivoire l’an dernier, semble prête à appuyer une intervention éventuelle, du mois sur le plan logistique. Paris et ses partenaires de l’Otan devraient s’estimer moralement tenus de rétablir l’ordre au Mali. L’Occident ne devrait pas permettre que son intervention en Libye entraîne la destruction de la démocratie et l’implantation du militantisme islamique dans un Etat voisin».
L’ombre du colonel Kadhafi est omniprésente dans le conflit malien. En effet, dans les mois qui ont suivi la chute et la mort du dictateur libyen, des milliers de combattants venus du Mali et du Sahel, pour la plupart des Touaregs dont beaucoup s’étaient battus aux côtés de Kadhafi, sont rentrés chez eux armés jusqu’aux dents. Avec un aplomb étonnant, le Washington Post va même jusqu’à s’en plaindre, lui qui était parmi les plus actifs quand il s’agissait d’appeler à l’intervention en Libye:
«Les Etats-Unis et leurs alliés de l’Otan ont pris un grand risque l’an dernier en Libye. Non en soutenant la rébellion contre le dictateur Mouammar Kadhafi, mais en ne faisant rien ou presque pour aider les rebelles victorieux dans le domaine de la sécurité après la guerre. […] Pendant ce temps, d’anciens combattants kadhafistes et des armes déferlent sur les pays voisins.»
La «cavalerie Toyota» des islamistes
Quoi qu’il en soit, et aussi grave soient-ils, les affrontements dans le nord du Mali restent un conflit de faible intensité. Les effectifs impliqués sont modestes. Le MNLA Mouvement National de Liberation de l’Azawad (Mouvement national de Libération de l’Azawad) aligne 3.000 hommes tout au plus, tandis que les diverses factions islamistes ne disposeraient que de quelques centaines de combattants (certaines sources évoquent cependant le chiffre de 6.000).
Cela ne veut pas dire que leur capacité de nuisance soit négligeable, et la crise dans la région pourrait fort bien s’éterniser, compte tenu de l’immensité de la région tenue par les rebelles. De petits groupes mobiles —la «cavalerie Toyota» a encore de beaux jours devant-elle— dotés de lance-roquettes et de lance-missiles sont difficiles à arrêter et à neutraliser.
En face, les forces armées maliennes, numériquement supérieures (au moins 7.000 soldats, sans compter les unités paramilitaires comme la gendarmerie), sont totalement dépassées. Equipées de matériel obsolète datant au mieux des années soixante-dix, elles ne peuvent compter que sur quelques hélicoptères de combat de type Mi-24 entretenus et armés par des mercenaires ukrainiens, lesquels seraient actuellement surtout occupés à tenter de réparer leurs engins vieillissants et mis à rude épreuve par les conditions climatiques locales.
Pour Bamako, l’espoir réside donc dans une intervention extérieure, à laquelle la Cédéao serait prête, semble-t-il. Les militaires maliens ne veulent apparemment pas en entendre parler, et ne réclament qu’un appui matériel. On évoque malgré tout la participation de quelque 3.300 hommes à cette opération éventuelle, essentiellement déployés par le Nigeria, le Sénégal et le Niger.
Paris songe à d’autres solutions
Quel serait le rôle de la France dans une telle intervention? Il se bornerait à assurer la logistique, maintient-on à Paris. Les Etats-Unis pourraient se charger du transport et lanceraient également des drones depuis leur base en Ethiopie, les Français s’occuperaient du soutien et du ravitaillement. Et de la formation d’unités spéciales africaines pour lutter plus particulièrement contre Aqmi. Les islamistes détenant des otages français, la France doit effectivement se montrer prudente.
On le voit, une intervention des forces de la Cédéao encadrées par les Américains et les Français n’est pas chose aisée, d’autant plus qu’une partie des militaires maliens ex-putschistes est résolument hostile à l’idée.
Nul doute qu’à Paris, on songe déjà à d’autres solutions, des solutions moins visibles, mais qui ont fait leurs preuves depuis le début de la décolonisation. Si de telles solutions sont à l’étude, voire déjà mises en œuvre, nous n’en saurons rien, nous autres simples mortels. Nous serons mis devant le fait accompli, une fois l’affaire réglée, si jamais elle se règle. Et l’on nous parlera même officiellement d’une solution «africaine».
Roman Rijka