Macron sur l’Afrique : le disque est rayé [Par Justine Brabant et Ilyes Ramdani]

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Avant de débuter une tournée dans quatre pays africains, le chef de l’État a prononcé un discours qui se voulait important sur l’avenir de la politique française vis-à-vis du continent. Il a surtout multiplié poncifs et contre-vérités, et s’est montré une fois de plus incapable de dresser un bilan lucide de ses échecs.
 cascade, spectaculaire, a été réalisée par un professionnel. S’adressant lundi 27 février à un parterre d’invité·es et de journalistes réuni·es pour ce que l’Élysée avait présenté comme un important discours de politique étrangère, Emmanuel Macron a commencé par avertir : bien qu’il se soit déjà rendu dans 21 pays africains, il n’en tire « aucune considération générale » car « une réalité unique africaine n’existe que dans bon nombre de schémas simplificateurs ». Un soulagement dans un pays où les sorties insultantes sur « l’Afrique, ce grand pays » ne manquent pas, y compris de la part de chefs d’État.

Patatras : environ deux minutes et trente secondes plus tard, le même Emmanuel Macron, au même pupitre, était flashé en roue libre sur l’autoroute du cliché. « La terre africaine », assurait-il, « est tout sauf une terre d’angoisse et de résignation » : elle est « une terre d’optimisme et de volontarisme » – ce qui n’est pas peu de choses en termes de généralités.

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À l’image de cette cascade rhétorique exécutée sans trucage, le discours du chef de l’État français, volontiers présenté par l’entourage du président comme un moment important de son quinquennat, a surtout consisté à multiplier les poncifs en les présentant comme de petites révolutions.

Des « partenariats » partout, tout le temps

Il n’y a pas de « réalité unique africaine », assurait donc en préambule Emmanuel Macron, et il convient d’éviter les schémas « simplificateurs » concernant un continent fait de 54 États aux réalités sociales, économiques et politiques variées. Cela ne l’a pourtant pas empêché de livrer, une heure durant, un discours sur la politique française vis-à-vis de « l’Afrique » manifestement vue comme un tout : « Le moment est venu de faire un choix et de savoir quel rapport nous voulons entretenir avec les pays africains » a-t-il ainsi lancé – sans envisager, semble-t-il, que ce choix puisse consister en une succession de relations bilatérales. On imagine les haussements de sourcils si le président français annonçait, par exemple, qu’il était temps de « faire un choix » pour déterminer « quel rapport nous voulons entretenir avec les pays américains »…

Du 1er au 5 mars, Emmanuel Macron va successivement se rendre au Gabon, en Angola, au Congo et en République démocratique du Congo. « L’Afrique » reste un tout aux yeux de l’exécutif français, mais il n’existe officiellement plus de « politique africaine » de la France. Trop teintée de Françafrique sans doute, l’expression a été remplacée par l’idée de « partenariat » – mot prononcé à vingt-quatre reprises par le chef de l’État. Comprenez : cette fois, ce sera équilibré.

L’idée de « partenariat avec l’Afrique » est pourtant « plus vieille que la Ve République »rappelle l’ONG Survie, et régulièrement ranimée par des présidents français soucieux de refourguer leur vieille marchandise dans un nouvel emballage. Nicolas Sarkozy lui-même n’a-t-il pas transformé, en 2009, les accords de défense liant Paris à plusieurs capitales africaines en « partenariats de défense » ?

Une présence militaire « moins visible », mais pour quoi faire ?

L’un des sujets les plus attendus du discours d’Emmanuel Macron était l’avenir de la présence militaire française sur le continent. Que va-t-elle devenir, après l’échec de l’opération militaire Barkhane et le départ contraint des troupes françaises du Mali puis du Burkina Faso ? De nombreuses voix, en France comme sur le continent, estiment qu’il est temps pour Paris de retirer définitivement troupes et bases militaires de ses anciennes colonies.

Le président français a finalement écarté cette option. Mais il a tout fait pour présenter cette continuité (de la présence militaire française) comme une rupture, voire une révolution. Dans cette réorganisation du dispositif militaire français, renommée comme il se doit « nouveau modèle de partenariat militaire », les bases militaires françaises ne seront pas fermées mais « transformées » (rebaptisées et « africanisées », notamment) ; les troupes françaises ne vont pas partir mais leur nombre sera « réduit » (ce qui était de toutes façons attendu étant donné la fin de l’opération Barkhane et le départ de la dernière mission française en Centrafrique) ; et l’accent sera désormais mis sur la « formation » et « l’équipement » des armées africaines. Le nombre de bases gérées ou cogérées par les Français pourrait même augmenter, Emmanuel Macron ayant évoqué l’idée de « développer des bases à vocation régionale ».

Là encore, la révolution a un goût de renfermé. C’est peu ou prou ce qui a été tenté à la fin des années 1990, rappelle Niagalé Bagayoko, politiste et présidente de l’African Security Sector Network, interrogée par la Deutsche Welle« Cette approche […] rappelle véritablement la politique qui a été menée par la France à la fin des années 1990 et au début des années 2000, consistant à mettre sur pied ce qui a été appelé des écoles nationales à vocation régionale », mettant l’accent sur la formation d’officiers du continent et « l’africanisation » des dispositifs militaires régionaux.

Surtout, cette débauche de fausses nouveautés ne répond pas à la plus importante des questions : pour quoi faire ? À quoi serviront ces militaires, quelles missions devront-ils remplir, au service de quelle stratégie ? Peut-être faute de le savoir lui-même, Emmanuel Macron répond par une tautologie : « On restera » parce qu’« il faut que nous soyons au rendez-vous de ce qu’on doit faire. » Et par une métaphore gênante : il faut désormais, assure-t-il aux pays africains, « bâtir un nouveau modèle d’intimité et d’imbrication entre nos armées ».

Restitution de biens pillés : une proposition de loi existait déjà

L’une des rares annonces concrètes du chef de l’État français, ce 27 février, concerne la restitution de biens spoliés, notamment durant la colonisation. « Une loi-cadre sera proposée dans les prochaines semaines » par la ministre de la culture au Parlement afin de déterminer « la méthodologie et les critères pour procéder à de nouvelles restitutions », a déclaré Emmanuel Macron. Il avait déjà évoqué ce projet en juillet dernier, lors d’un déplacement au Bénin.

Sur le papier, c’est une bonne nouvelle pour qui pense qu’il est temps de « rendre au continent africain son histoire » (pour reprendre les mots de l’anthropologue Nanette Snoep, interrogée par Mediapart).

Mais la loi n’a pas encore été présentée officiellement qu’elle est déjà entachée de deux problèmes : les sénateurs ont déjà voté une proposition de loi dans ce sens en janvier 2022, et ne comprennent pas comment leur proposition s’articulera avec l’annonce présidentielle ; et les travaux préparatoires à cette loi-cadre ont été menés par un archéologue et ancien directeur du Louvre aujourd’hui mis en examen dans le cadre d’une vaste enquête pour trafic d’antiquités (Jean-Luc Martinez, à qui Emmanuel Macron a rendu hommage dans son discours). Dans cette enquête, Jean-Luc Martinez est soupçonné d’avoir favorisé l’achat d’objets pillés au Proche et au Moyen-Orient, ce qu’il conteste.

Sur la forme : une « humilité » qui peine à convaincre

Sur la forme, Emmanuel Macron a tenté d’adopter une posture qu’on lui connaît peu : l’« humilité ». Le chef de l’État sait combien on a pu lui reprocher, dans ses interactions avec chefs d’États et simples citoyen·nes du continent, son arrogance – l’épisode où il se demandait, sur le ton de la blague, si le chef d’État burkinabé de l’époque était « parti réparer la clim’ » n’est toujours pas passé.

Mais il ne suffit pas de répéter que l’on est « humble » pour le devenir. Lorsque l’on est persuadé d’avoir toujours raison, il est même à peu près certain que cela ne marchera pas. Cela semble être la position du chef de l’État, pour qui les déconvenues de la France en Afrique sont avant tout la faute des autres.

Le départ forcé du Mali ? La faute de la « classe politique malienne » qui a « échoué à redresser son pays ». L’hypocrisie de sa politique, qui consiste à rendre hommage au révolutionnaire Thomas Sankara tout en allant serrer la main du gratin des despotes centrafricains ? La faute aux « transformations profondes » du monde : « Il y a un peu moins de six ans […] j’avais débuté mon discours en citant les mots de Thomas Sankara et en annonçant qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France, a rappelé le chef d’État. Ces mots sont toujours d’actualité. Mais ils ne sont certainement plus suffisants face aux bouleversements et aux transformations profondes que nous avons vécus ces dernières années. »

Slalom diplomatique sur le Maroc et l’Algérie

Emmanuel Macron a, enfin, dû évoquer un sujet qu’il avait pris soin de ne pas aborder dans son discours. La toute dernière question de la conférence de presse a contraint le président de la République à commenter les relations tumultueuses de la France avec le Maroc et l’Algérie. Dans un exercice de slalom diplomatique, le chef de l’État a surtout tenté de déminer les tensions avec Rabat, assurant que sa « volonté » était « vraiment d’avancer avec le Maroc ».

La réciproque n’est pas forcément vraie : depuis plusieurs mois, le royaume chérifien presse Paris de prendre une position plus franche en sa faveur dans le conflit au Sahara occidental. Fin janvier, la tension est montée d’un cran après le vote par le Parlement européen d’une résolution, appuyée par la délégation macroniste, appelant le Maroc à respecter la liberté d’expression. Sans compter le scandale d’espionnage Pegasus et les accusations de corruption au Parlement européen. 

Autant d’affaires desquelles le chef de l’État a tenté de se tenir éloigné. « Les scandales au Parlement européen, les sujets d’écoute qui ont été révélés par la presse, est-ce que c’est le fait du gouvernement de la France ? Non. Est-ce que la France a jeté de l’huile sur le feu ? Non. Voilà. Donc il faut avancer malgré ces polémiques », a-t-il déclaré. 

Soulignant ses « relations personnelles amicales » avec le roi du Maroc, Emmanuel Macron s’en est pris sans les nommer aux « gens qui essaient de monter en épingle des péripéties ». En balayant une partie des principes habituellement portés par la France sur la scène diplomatique, le président de la République espère convaincre son « ami » Mohammed VI de l’accueillir, après plusieurs mois d’insistance de Paris pour organiser une visite de réconciliation.

Justine Brabant et Ilyes Ramdani

Médiapart

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