Lorsqu’ils seront bombardés par Israël, les Palestiniens assiégés dans la bande de Gaza n’auront pas droit à plus de compassion de la part de l’Occident que les fois précédentes. L’expression «riposte israélienne» servira à nouveau à justifier leur immense souffrance.
L’actuel élan de sympathie à l’égard d’Israël devrait faire frémir tous ceux qui ont un peu de cœur.
Non pas parce qu’il n’est pas horrible de voir des civils israéliens mourir et souffrir en si grand nombre. Mais parce que les civils palestiniens de Gaza subissent régulièrement, depuis des décennies, des agressions israéliennes qui leurs causent des souffrances bien plus grandes, sans jamais susciter ne serait-ce qu’une fraction de l’inquiétude actuellement exprimée par les hommes politiques ou les opinions publiques occidentaux.
L’hypocrisie de l’Occident face aux combattants palestiniens qui tuent et blessent des centaines d’Israéliens et en retiennent des dizaines d’autres en otage dans les communautés autour et à l’intérieur de la bande de Gaza assiégée, est frappante.
C’est la première fois que les Palestiniens emprisonnés dans l’enclave côtière de Gaza, parviennent à lancer en Israël une attaque d’une ampleur qui reflète vaguement la sauvagerie qui s’abat régulièrement sur eux, depuis qu’ils ont été mis en cage, il y a plus de 15 ans, lorsqu’Israël a commencé son blocus terrestre, maritime et aérien en 2007.
Les médias occidentaux qualifient de «sans précédente», la manière dont les Palestiniens de Gaza ont réussi à s’échapper de leur prison à ciel ouvert et à passer à l’attaque, tout comme l’échec le plus lamentable d’Israël en matière de renseignement depuis la guerre du Kippour, où il a aussi été pris au dépourvu, il y a exactement 50 ans.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a accusé le Hamas, qui dirige théoriquement la prison à ciel ouvert de Gaza, d’avoir déclenché «une guerre cruelle et diabolique». Mais la vérité, c’est que les Palestiniens n’ont rien «commencé». Ils ont réussi, après des décennies de luttes, à trouver un moyen de causer quelque dommage à leur bourreau.
Inévitablement, pour les Palestiniens, comme l’a également fait remarquer Netanyahou, «le prix à payer sera lourd», en particulier pour les civils. Israël infligera aux prisonniers le plus sévère des châtiments pour leur impudence.
Vous verrez le peu de compassion et d’intérêt que l’Occident manifestera à l’égard des nombreux hommes, femmes et enfants palestiniens qu’Israël assassinera encore. Leurs immenses souffrances seront occultées et justifiées par l’expression «riposte israélienne».
Les vraies leçons
Toute l’analyse actuelle qui se concentre sur les «erreurs» des services de renseignement israéliens détourne l’attention de la véritable leçon à tirer de ces événements qui évoluent rapidement.
Personne ne s’est vraiment soucié des Palestiniens de Gaza soumis au blocus israélien qui les privait des nécessités de base. Les quelques dizaines d’Israéliens retenus en otage par les combattants du Hamas font pâle figure au regard des deux millions de Palestiniens retenus en otage par Israël dans une prison à ciel ouvert depuis près de vingt ans.
Qui s’est inquiété lorsqu’on a appris que les Palestiniens de Gaza étaient soumis à un «régime de famine» par Israël, qui ne laissait entrer qu’une petite quantité de nourriture, juste assez pour que la population ne meure pas tout à fait de faim ?
Qui s’est soucié du fait qu’Israël bombarde l’enclave côtière tous les deux ou trois ans, tuant à chaque fois des centaines de civils palestiniens ? Israël appelle cela «tondre la pelouse». La destruction de vastes zones de Gaza, afin de ramener l’enclave à l’âge de pierre, comme s’en sont vantés les généraux israéliens, est devenue une stratégie officielle connue sous le nom de «doctrine Dahiya».
Qui s’est alarmé lorsque des tireurs d’élite israéliens ont fait des cartons sur des infirmières, des jeunes et des personnes en fauteuil roulant qui venaient protester contre le siège israélien ? Plusieurs milliers de personnes ont dû être amputées parce que ces tireurs d’élite avaient reçu l’ordre de tirer sur les manifestants dans les jambes ou les chevilles.
L’inquiétude occidentale face à la mort de civils israéliens aux mains de combattants palestiniens soulève le cœur. Des centaines d’enfants palestiniens ne sont-ils pas morts au cours des 15 dernières années lors des campagnes de bombardement répétées d’Israël sur Gaza ? Leurs vies ne comptent-elles pas autant que celles des Israéliens – et si ce n’est pas le cas, pourquoi ?
Après tant d’indifférence pendant si longtemps, il est difficilement soutenable de voir l’horreur se répandre tout à coup dans les gouvernements et les médias occidentaux parce que les Palestiniens ont enfin trouvé un moyen – similaire à la politique inhumaine qu’Israël leur fait subir depuis des décennies – de riposter efficacement.
Les masques tombent et tout le monde voit que ce qui essaie de se faire passer pour des préoccupations morales dans les capitales occidentales, est en réalité du pur racisme.
L’hypocrisie incarnée
Volodymr Zelensky, le président ukrainien, incarne cette hypocrisie. Le week-end dernier, il a publié un long tweet condamnant les Palestiniens qu’il qualifiait de «terroristes» et offrant à Israël son soutien indéfectible.
Il a affirmé que «le droit d’Israël de se défendre est incontestable», ajoutant : «Le monde doit être uni et solidaire pour que le terrorisme ne parvienne pas à soumettre ou supprimer la vie en tout lieu et à tout moment».
Une telle inversion de la réalité laisse sans voix. Les Palestiniens ne peuvent pas «soumettre la vie» en Israël. Ils n’ont pas ce pouvoir, même si quelques-uns ont réussi à s’échapper de leur cage pour un court moment. C’est Israël qui soumet la vie des Palestiniens depuis des décennies.
Il semble que toutes les formes de «terrorisme» ne soient pas égales aux yeux de Zelensky ou de ses protecteurs dans les capitales occidentales. Certainement pas le terrorisme d’État d’Israël qui fait de la vie des Palestiniens un calvaire depuis des décennies.
Pourquoi Israël a-t-il le «droit incontestable» de «se défendre» contre les Palestiniens dont il occupe et contrôle le territoire ? Pourquoi la Russie n’a-t-elle pas le même droit de «se défendre», lorsqu’elle frappe des villes ukrainiennes en «riposte» à des frappes ukrainiennes qui visent à libérer son territoire de l’occupation russe ?
Israël, la partie belligérante de très loin la plus forte, est en train de dévaster Gaza «en riposte», comme dit la BBC, à propos de la dernière attaque palestinienne.
Comment Zelensky ou ses ministres feront-ils pour condamner Moscou lorsqu’elle tirera des missiles «en riposte» aux frappes de l’Ukraine sur le territoire russe ? Si la résistance palestinienne à l’occupation israélienne de Gaza est du terrorisme, comme l’affirme Zelensky, alors la résistance ukrainienne à l’occupation russe n’est-elle pas elle aussi du terrorisme ?
Nulle part où fuir
Israël est si habitué à être couvert par ses alliés qu’il se permet de proférer des mensonges de plus en plus énormes. Le week-end dernier, Netanyahou a dit aux Palestiniens de Gaza de «partir tout de suite» parce que les forces israéliennes se préparaient à «agir avec toute la force nécessaire».
Mais Netanyahou sait bien, tout comme ses complices occidentaux, que la population de Gaza n’a nulle part où fuir. Nulle part où se cacher. Les Palestiniens sont enfermés dans Gaza et Israël les assiège par terre, par mer et par air.
Les seuls Palestiniens capables de «quitter Gaza» sont les factions armées qui se sont échappées de la prison dont Israël garde la clé, et qui sont accusés d’être des «terroristes» par les politiciens et les médias occidentaux. Les gouvernements occidentaux si horrifiés par l’attaque palestinienne contre Israël sont les mêmes qui restent silencieux quand Israël coupe l’électricité de la prison qu’est Gaza, toujours en vertu de ses prétendues «riposte».
La punition collective des deux millions de Palestiniens de l’enclave de Gaza, qui dépendent d’Israël pour l’électricité parce qu’Israël les encercle et contrôle tous les aspects de leur vie, est un crime de guerre.
Étrangement, les responsables occidentaux comprennent qu’il s’agit d’un crime de guerre lorsque la Russie bombarde des centrales électriques en Ukraine et coupe ainsi l’électricité. Ils réclament à cor et à cri que le président russe Vladimir Poutine soit traduit devant la Cour pénale internationale de La Haye. Alors pourquoi sont-ils incapables de voir qu’Israël fait exactement la même chose à Gaza ?
Une évasion audacieuse
Il y a deux leçons immédiates et opposées à tirer de ce qui s’est passé à Gaza.
La première est que l’esprit humain ne peut être mis en cage indéfiniment. Les Palestiniens de Gaza n’ont jamais cessé d’imaginer de nouveaux moyens de se libérer de leurs chaînes.
Ils ont construit un réseau de tunnels, dont la plupart ont été repérés et détruits par Israël. Ils ont tiré des roquettes qui étaient invariablement abattues par des systèmes d’interception de plus en plus sophistiqués. Ils ont protesté en masse contre les clôtures lourdement fortifiées, surmontées de pylônes, dont Israël les a entourés, avant d’être abattus par des tireurs d’élite.
Aujourd’hui, ils ont organisé une évasion audacieuse. Israël va soumettre l’enclave à des bombardements massifs, uniquement «en riposte», bien entendu. La soif de liberté et de dignité des Palestiniens n’en sera pas diminuée pour autant.
Une autre forme de résistance, sans doute plus brutale encore, verra le jour. Et les principaux responsables de cette violence seront Israël et l’Occident qui soutient si généreusement l’État hébreu, parce qu’Israël refuse d’arrêter de martyriser les Palestiniens qu’il force à vivre sous sa botte.
La deuxième leçon est que le soutien indulgent dont bénéficie Israël de la part de ses protecteurs occidentaux, ne l’incite pas à prendre conscience de la vérité fondamentale susmentionnée. La rhétorique de son gouvernement actuel, composé de fascistes et de suprématistes juifs, est sans nul doute particulièrement détestable, mais il y a, de toute façon, un large consensus parmi les Israéliens de toutes tendances politiques sur le fait qu’il ne faut pas arrêter d’opprimer les Palestiniens.
C’est pourquoi la soi-disant opposition n’hésitera pas à soutenir le pilonnage militaire de l’enclave assiégée de Gaza, et à tuer encore plus de civils palestiniens pour leur «donner une leçon», la leçon étant que les Palestiniens doivent accepter, une fois pour toutes, d’être traités en inférieurs et de vivre en prison.
Les «bons Israéliens» – les leaders de l’opposition Yair Lapid et Benny Gantz – sont déjà en discussion avec Netanyahou pour le rejoindre dans un «gouvernement d’unité d’urgence».
Quelle «urgence» ? L’urgence de s’occuper des Palestiniens qui réclament le droit de ne pas vivre comme des prisonniers dans leur propre patrie.
Les Israéliens et les Occidentaux peuvent continuer leurs acrobaties mentales pour justifier l’oppression des Palestiniens et leur refuser tout droit à la résistance. Mais leur hypocrisie et leur duplicité n’échappent pas au reste du monde.
source : Middle East Eye
Traduction Chronique de Palestine – Dominique Muselet