Le vendredi 20 février 2009, dans le quotidien Le Repère, le Prof Bernard Zadi disait ceci de vous -je cite : « J’ai toujours eu, de Bédié, une opinion qui étonne beaucoup de gens, qu’ils soient de gauche comme de droite. Oui, de droite, parce qu’il y a parfois des gens de droite qui ont de Bédié une opinion bizarre. Mon opinion sur Bédié étonne souvent les gens, parce que tout le monde voudrait que Bédié fût un homme médiocre, un ivrogne, un personnage insignifiant. Malheureusement pour eux, de telles images sont loin de correspondre à la personnalité de Bédié. ». Nous étions aux lendemains de votre retour d’exil et votre silence de « sphinx » faisait foi et office de sagesse. Il y a aussi que le Maître a été votre ministre de la culture jusqu’au coup d’État de 1999. Il pouvait vous connaître assurément. Mais, que j’aurais souhaité qu’il fût là aujourd’hui, pour voir le « kédjénou politique » que vous servez aux pauvres militants du PDCI et à la Côte d’Ivoire ! En même temps, j’avoue que j’aurais aimé tout autant que ces allégations dont il vous défend, fussent elles aussi fausses ! Mais n’est-ce pas que c’est mal vous connaître ? Voilà que comme le grand hibou de l’Iffou –j’aime pas trop le son « ou » mais hélas- vous venez de décider de tuez l’âme du PDCI-RDA, un parti humilié, trahi, vilipendé depuis plus de 15 ans dans les mains mêmes de ceux à qui vous le livrez aujourd’hui et qui nous ont meurtries de 99 à 2002 jusqu’à la crise postélectorale, avec 3.000 morts au compteur. Et pourtant, votre grand sens de sagesse qu’on pourrait supposer dans cet acte, n’a eu aucun réflexe devant vos propres militants ni devant ces militants du FPI humiliés, déshumanisés et qui n’ont eu de cesse de solliciter votre arbitrage pour la paix. À maintes reprises, ils ont échoué à parier sur cette prétendue « sagesse ». Il est pourtant évident que toutes les brèches ouvertes dans l’histoire de ce pays, l’ont été par votre faute. Mais en dépit de cela, balayant du revers de la main les résolutions du 12ème congrès, vous envoyiez balader les pauvres militants. Quelle trahison ! Quelle simplicité de vision politique !
Il n’y a dans vos actes politiques beaucoup trop de complexe, de haine, de suspicion pour expliquer vos faiblesses, votre inculture diplomatique et votre manque de dialogue. Je l’avoue, je croule sous la honte d’être du même groupe ethnique que vous parce que ce que vous faites, échappe à tout cadre intellectuel. C’est dans votre personnalité affective, finalement, que cela peut s’expliquer. Je sais donc que ceci ne vous vient pas, alors nullement, de la culture baoulé ! Quel est le sens de cette haine contre ceux qui, légitimement, se proposent à la fonction présidentielle dans votre propre parti ? Quelle haine ; quelle haine envers ces cadres, pêle-mêle, Akoto Yao, Fologo, Bombet, Fadiga, Kessy, Banny, Amichia, KKB, -pour ne pas les citer- et hier Alassane Ouattara qui n’entre aujourd’hui dans vos grâces qu’après avoir dérouté votre vie politique un mois de décembre ?
Mais au fond, quelle haine sournoise, à l’évidence, contre Houphouët-Boigny dont le tort, du point de vue psychanalytique, pourrait être d’avoir fait venir ce « burkinabé » -je parle dans votre jargon- qui vous a ravi votre pouvoir ? Vous lui léguez donc comme pour narguer et vous rebeller contre la mémoire d’Houphouët, « ce mauvais père » ! Ah le parricide qui pourrait se croire génie politique ! Mais enfin, en tant que baoulé, nous aimons tous le bandji ou le vin ! Pourtant, nos décisions sont avisées ! Le baoulé –en tout cas ceux que je connais- respectent, discutent, et ont toujours une décision éprouvée par les circonstances. Mais vous, qui êtes vous ? Vous ne pouvez pas détruire le PDCI-RDA qui est le symbole de la lutte acharnée de nos aïeuls pour vous soulager de vos échecs politiques ; nous ne vous le permettrons pas, soyez assuré ! Nous prendrons nos responsabilités au nom d’Houphouët-Boigny. Nous lui devons cela, aujourd’hui ! C’est pourquoi, face à ces faits clairs de dénie moral et d’honneur, il est évident que je ne peux préjuger de vos rapports à la médiocrité, ni à l’alcool et à l’insignifiance, en tout cas, telle que le stipule cette observation de mon Maître. Je n’en ai pas le droit. Je le sais. Mais je peux mettre en doute la lucidité de cette décision contre le 12ème congrès, en prenant ici mes responsabilités de militant. Je ne peux donc que vous féliciter indirectement de cette décision de quitter avec brio, les rangs de ce parti que vous ne pouvez réduire à l’état d’épave, vous et vos alliés du moment. Pour ce faire, je jetterai un bref regard sur votre passé politique pour ensuite tenter de comprendre les fondements de votre motivation. Je tenterai enfin de dénoncer la politique de hyènisation dans laquelle vous espérez entrainer le parti. Évidemment, vous échouerez mais pour l’heure, il s’agit de comprendre et d’aider à comprendre.
1-DE VOTRE PASSÉ POLITIQUE
Votre passé politique n’a-t-il pas toujours été un fardeau pour ceux qui se sont imposés de vous défendre, de Fologo à Djédjé Mady ? Ce passé de surfacturation dont on ne parle presque jamais n’a-t-il pas pourtant transformé le « miracle ivoirien » en un « mirage patent » alors même que vous sombriez dans la beuverie aux USA ? Mais les ivoiriens ont la mémoire courte et nous les y avons aidé. Je ne m’en exclus pas même si, pour ma part, avec mes amis, nous luttions contre l’idée même du coup d’État de 99 qui sapait nos espérances, nous jeunes du PDCI-RDA. Nous avons donc, ivoiriens du PDCI-RDA, en vous cautionnant toutes ces années, installé dans le comportement social des ivoiriens, cet oubli facile, ce mépris de l’honneur et de la rigueur avec soi et envers nos acteurs politiques ; cela, au point que nous aurions un Président briguant, personne ne rechignerait ; tant qu’il peut « faire manger », « faire porter des noms à des ponts », tout n’irait-il pas mieux dans le meilleur des mondes ? Quelle misère morale ! Ce que nous savons de vous, un soir où vous êtes apparu en 1993, sur le plateau de la première chaine de télévision nationale, au décès d’Houphouët, alors qu’on vous servait un pouvoir tout fait, vos premiers mots n’ont-ils pas été que les ivoiriens « se mettent à votre disposition » ? Voici là, votre doctrine du pouvoir, celle qui éclate au grand jour aujourd’hui et qui vous a coûté le coup d’État de 1999. Devant une telle condescendance, votre destin politique pouvait-il être différent, cher Monsieur ? Arrêtez de vous en prendre aux autres, de pleurnicher partout et d’en vouloir au monde !
Voyez, ces propos étaient d’un tel manque d’éthique qu’ils témoignaient d’une ignorance profonde qui aurait dû alerter les ivoiriens. C’est donc sans surprise qu’en 1999, le Général Robert Guéi vous fit connaître la théorie du « bon ton ». On ignorait qu’il nous sauvait tous à cette époque par « ce coup d’État salutaire » -le mot n’est pas de moi- oui, il nous sauvait comme ceux qui ont volé vos voix dans les urnes en 2010. Oui, la main de Dieu est longue ; tellement longue qu’elle peut dire « non », à l’évidence, dans les urnes quand vos motivations ne sont pas les siennes. Ne dit-on pas, pour ce faire que tout pouvoir vient de Lui ? C’est pourquoi, vous ne le savez pas encore mais votre PDCI-RDR est la coalition qui vous mènera à la CPI. Car aujourd’hui la preuve est faite que depuis le début de ce conflit interminable, vous avez toujours été de ceux dont la haine a sévi.
Au cours de votre gestion du parti, vous vous êtes acharné sur KKB. Avec lui, c’est Djédjé Mady votre secrétaire général qui vous affrontait dans les urnes à la tête du PDCI. Avant eux, c’est Laurent Dona Fologo, cet homme allègre à qui tout convenait ou presque ; avant lui, c’étaient les Banny qui ne voulaient plus de vous, le casseur de « canari de bandji » ! Mais longtemps avant eux, c’était Paul Akoto Yao qui apprenait à ses dépends que les tisserins de la scène politique, ne regardent pas à l’âge ni au talent. Ils vont et ils viennent comme ils veulent… à moins que, sans force, l’arbre mythique succombe sous le maléfice de la haine. En clair, Monsieur le Président, sauf à vous offenser, pourquoi faut-il que lorsque vous avez du pouvoir, un coup d’État ou une fronde survienne contre vous ? Pourquoi donc vos proches doivent-ils n’avoir de choix que de vous défier ? Vous avez des suiveurs, pas d’amis, dites-vous souvent mais, pouvez vous vivre en amitié, en communauté avec ce mépris des autres ? Je voudrais ici vous répondre à partir de votre fameux Chemin de [ma]vie, cette gigantesque interview mal inspirée qui a semé la haine au plus profond de cette société.
2- DE VOTRE VISION POLITIQUE.
En parcourant « votre » livre, j’ai été marqué par cette anecdote sur votre limogeage pour surfacturation aux complexes sucriers. Je l’ai relu juste après cette forfaiture à ce meeting de l’Iffou qui fut un vrai meeting de « fou ». Vous rapportiez vos propos, tenus au Président Houphouët en personne. Je vous cite en précisant le contexte. Le passage intervient au moment où, plus haut, il [le président Houphouët selon vous]venait de vous convoquer pour vous annoncer que l’opinion l’obligeait à vous débarquer. Alors vous réagissez ainsi et c’est à la page 101 : « Vous me dites que vous êtes débordé par l’opinion, alors que le chef doit toujours rester le mentor de l’opinion. Dans ces conditions, Monsieur le président, on doit se demander : « Qui commande ? » ».
Si vous l’aviez affirmé effectivement, l’on pourrait se demander si en 1999, vous aviez été « ce mentor de l’opinion », de cette rumeur de coup d’État… Oh, rire. Mais cela veut dire deux choses : la première qui commande la seconde, est que vous n’avez aucune culture de ce que Houphouët désigne sous l’appellation de « réalités du moment » ; la seconde est que vous n’êtes pas houphouétiste et que vous ne l’avez jamais été au fond ! Mais pour en venir à l’accusation qui était portée contre vous, est-ce là, la réaction normale de quelqu’un qu’on soupçonne de détournement ? On remarque que les faits ne vous inquiètent guère. « Houphouët est le chef, il commande », donc il doit vous « maintenir » pensiez-vous ! Monsieur le président, quand vous êtes arrivé au pouvoir, un de vos collaborateurs a été accusé de détournement de 18 milliards. Serait-ce ainsi que vous aviez réglé la question ? Simple extrapolation. Plus grave, cette vision sur le rapport à l’opinion fait froid dans le dos : » …alors que le chef doit rester le mentor de l’opinion », dites vous. Vous ne citez pas l’auteur de cette pensée ni son courant idéologique ou politique. Vous affirmiez ensuite dans vos commentaires : « J’ai été très dur » ; ce qui n’a pu empêcher Eric Laurent, auteur de l’entretien, d’ironiser sur cette… naïveté: « Vous avez été très dur ? ». « Oui », répondiez-vous. Ajoutant, « le président, qui était un remarquable « animal politique », cherchait à m’apitoyer mais au cours de mes lectures, j’avais appris ceci, en ce qui concerne l’opinion : « Tâche d’en être le mentor sinon tu en deviens la victime ».Puis vous continuez rapportant toujours les propos que vous teniez à Houphouët : « Non seulement vous me demandez de partir, mais en dépit du protocole, vous me demandez de prendre la tête de ceux qui partent. Au gouvernement il existe une hiérarchie, et vous me demandez cette fois de passer avant tous les autres ». La question est : étiez-vous coupable des faits, oui ou non ! J’insiste sur la question parce que cette vision qui va finir par actionner la corruption à l’échelle nationale, fait parti de ce qu’on retiendra de vous après cette décision de féodalisation du PDCI-RDA au RDR dans cette vision politique qui n’est autre qu’une hyènisation.
3-DE LA HYÈNISATION DU PDCI-RDA
L’hyène ne combat presque jamais directement. Moins sûre de sa force, elle racole et vit de fiente et de carrosse. Mais le profit seul la rend active et vigoureuse. L’hyène se cache derrière un plus fort ou attaque ses proies de nuit quand elle ne s’en prend pas aux plus faibles. Elle symbolise ce faisant, une vie trouble qui mêle orgueil, inintelligence, grogne, colère et mépris. Monsieur Président, le PDCI-RDA que vous aviez dirigé jusqu’ici, a-t-il été autre chose que cette vision rampante de quête de profit, d’absence absolue de courage, voire de poltronnerie ?
Sous votre houlette, le PDCI n’a jamais pu passer à une démonstration de force. Il n’a jamais su ce qu’il est lui-même en tant que force politique ; parce qu’un parti politique est bien une force. Sous Gbagbo, le leitmotiv était « la majorité silencieuse ». Une majorité a-t-elle le droit d’être silencieuse ? C’est pourquoi quand vous parliez de gestion du parti comme une « boutique de quartier », j’avoue n’avoir pas compris car il était évident que la responsabilité de Djédjé Mady n’était pas entachée, mais la vôtre oui !
Une seule chose vous conduit, vous et vos suiveurs : le profit sans férir, la jouissance sans mérite sur le dos des militants et l’absence d’idéal. Cette démarche à refuser l’opposition vous a conduit à collaborer avec tous les gouvernements que vous croyiez combattre. C’est pourquoi, dans cette décision, il m’apparaît en dépit de tout que vous n’êtes pas sincère avec Ouattara. La vérité est qu’en vous rendant visite dans l’Iffou avec Soro et une meute de soldats transfuges du MPCI et, probablement, des rescapés du putsch de 1999, il vous a forcé la main ; vous avez pris peur par cette culture de poltronnerie et vous aviez livré le parti comme on offrirait un carton de vin sans consulter qui que ce soit. C’est pourquoi, vous l’apprendrez trop tard sans doute que le courage, la foi et la conviction sont des idéaux fermes pour lesquels un leader ne peut transiger en politique.
POUR CONCLURE
Faisons le constat qu’un second mandat à Ouattara voudrait dire, pousser au pic, le rattrapage qui plane à un taux approximatif de 97 % en faveur d’un groupe, le nord et de quelques suiveurs bouche-trous. Le pousser au pouvoir à nouveau, alors qu’il n’aura plus de compte à rendre de sa gestion à l’instant même ou il sera réélu, c’est signer la disparition pure et simple de villages, de peuples entiers qu’il n’a pu protéger à Nahibly, Guitrozon, Carrefour et bien d’autres, devant la furie de ses propres hommes armés. Le cautionner à nouveau, c’est brader nos richesses dans ces contrats de gré à gré ; c’est souiller la mémoire de ces danseuses d’adjanou froidement exécutées à Bouaké ; c’est se méprendre devant ces morts pathétiques dont celle de Dame Ouattara Mandjara qui s’est immolée au palais présidentiel, Fadiga Awa et de ces anonymes ; c’est surtout porter en triomphe le refus de la justice, du droit. Non, le PDCI-RDA ne peut accepter la destruction programmatique de la Côte d’Ivoire. C’est un devoir qui n’est pas le vôtre assurément, Monsieur le Président. Alors nous l’avons compris ; merci de nous avoir libérés enfin. Maintenant que nous y sommes, venez avec votre cher PDCI-RDR proclamer votre victoire en 2015. Il nous hâte de vous acclamer !
LANGUI Konan Roger
Maître de Conférences, Université F.H.Boigny
Militant du PDCI-RDA NOUVEAU