Les religions sont-elles un frein à l’épanouissement de l’Africain?

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L’Église catholique légitima la traite négrière et l’esclavage, cinq siècles de barbarie, en popularisant la légende selon laquelle les Africains descendaient de Cham

 

En Amérique du Nord (Canada et USA), février est un mois dédié aux populations noires (“Black History Month”) en souvenir de leurs luttes pour quitter la position subalterne dans laquelle elles étaient maintenues. C’est dans ce cadre que je fus invité par le dynamique Congrès ivoirien du Canada (CIC) dirigé par le camarade Jean-Hilaire Yapi. La conférence eut lieu à la Maison de la Culture de Montréal, le 28 février 2015. Grosso modo, il s’agissait de montrer ce que notre génération peut apprendre du rêve et de l’expérience des Padmore, Garvey, Blyden, Dubois, Nkrumah, Nyerere, Cheikh Anta Diop et autres leaders du panafricanisme.

Quand arriva le moment des questions, quelqu’un s’en prit violemment aux musulmans et aux chrétiens. Il reprochait aux premiers d’être désordonnés et de tuer des innocents au nom de Dieu au Nigeria, au Cameroun et au Niger; quant aux seconds, il les accusait de se contenter de prier comme si c’est Dieu qui allait nous débarrasser de l’injustice, de la corruption, du tribalisme, de l’enlèvement et de l’assassinat des enfants en Côte d’Ivoire et aileurs, etc. En l’écoutant, je compris que, pour lui, une religion qui ne suscite pas la colère et la révolte des croyants devant le mal est une religion inutile, dangereuse, voire nuisible.

Certes, l’Islam n’est pas réductible aux islamistes de Boko Haram et certains théologiens et évêques latino-américains (Jon Sobrino, Gustavo Guttierez, Leonardo Boff, Helder Camara, Pedro Casaldáliga, Aloisio Lorsheider) ne se sont jamais accommodés de l’oppression et de l’exploitation des pauvres et des petits en Amérique latine mais je pense qu’il y a un peu de vérité dans la critique du frère. Celui-ci a partiellement raison car Dieu interdit de tuer , ce qui veut dire qu’Il est du côté de la vie et non du côté de la mort, et Il appelle tout croyant, non pas à se résigner et à contempler le Ciel comme les apôtres regardaient le Ciel le jour où le Christ les quittait, mais à transformer le monde en luttant de toutes ses forces contre tout ce qui blesse, défigure ou avilit l’homme créé à Son image et à Sa ressemblance. Je convoquerai ici deux passages bibliques pour illustrer mon affirmation. Le premier est Exode 3: 7-10 où le Seigneur déclare à Moïse: “J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays, vers un pays, ruisselant de lait et de miel, vers le lieu où vivent le Cananéen, le Hittite, l’Amorite, le Perizzite, le Hivvite et le Jébuséen. Maintenant, le cri des fils d’Israël est parvenu jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que leur font subir les Égyptiens. Maintenant donc, va ! Je t’envoie chez Pharaon : tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël.” Ces trois versets nous enseignent clairement que 1) Dieu est contre l’oppression, l’injustice et l’esclavage, 2) qu’Il passe par l’homme pour libérer l’homme. Pour le dire autrement, Dieu veut que nous soyons ses collaborateurs dans l’œuvre de libération qui est aussi matérielle et pas seulement spirituelle. Si Dieu veut que nous travaillions avec Lui, alors nous devons accepter comme Moïse d’affronter les Pharaons d’aujourd’hui pour délivrer tous ceux qui sont vitimes d’injustice, d’oppression et d’exploitation.

Dans le deuxième passage, Luc 4: 18-19, c’est Jésus qui lit un texte du prophète Isaïe (le chapitre 61). Voici le texte: “L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction,pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur.” Après avoir proclamé le texte d’Isaïe, Jésus s’adresse à l’assemblée en ces termes: “Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre.” (verset 21)

Quand on a lu ces versets, peut-on penser un seul instant que Jésus approuve ou demande d’accepter l’oppression, la dictature, l’obscurantisme, l’impérialisme, le néo-colonialisme, d’où qu’ils viennent? Peut-on soutenir avec Karl Marx que “la religion est l’opium du peuple ”? Peut-on souscrire à l’idée que la Bible endort, infantilise et crétinise les Africains? Non! Je dirais plutôt avec Régis Debray que “la religion n’est plus opium du peuple, mais la vitamine du faible ”. Les pauvres et petits peuvent effectivement puiser courage et force dans les paroles de Yahvé à Moïse, dans celles de Jésus dans la synagogue de Nazareth et dans le “Magnificat” de Marie (“Le Seigneur renverse les puissants de leur trône, Il disperse les superbes, Il élève les humbles”). La Bible n’appelle pas les faibles et défavorisés à tout attendre de Dieu; elle leur dit que rien n’est définitivement perdu pour eux et qu’ils peuvent à tout moment changer le cours de leur histoire s’ils se mettent ensemble pour affronter ceux qui les empêchent de vivre décemment et dignement. À mon humble avis, le problème de l’Afrique n’est donc pas la Bible mais une mauvaise interprétation de la Parole de Dieu par certaines personnes dont l’objectif inavoué est d’opprimer, de dominer ou d’exploiter leurs frères. Par exemple, l’Église catholique légitima la traite négrière et l’esclavage, cinq siècles de barbarie, en popularisant la légende selon laquelle les Africains descendaient de Cham, fils maudit de Noé et condamné à être l’esclave de ses frères . On rappellera aussi que, le 8 janvier 1454, Tommaso Parentucceli (1398-1455), alias Nicolas V, 206ème pape, envoya au roi du Portugal Alphonse V une bulle l’autorisant à soumettre en esclavage les Nègres de Guinée et les païens. Je pense également à la causerie que Jules Renquin, ministre belge des Colonies, eut en 1920 avec les premiers missionnaires catholiques du Congo-Belge. Entre autres choses, il leur disait ceci: “Votre connaissance de l’évangile vous permettra de trouver facilement des textes qui recommandent et font aimer la pauvreté. Exemple : ‘Heureux sont les pauvres car le royaume des cieux est à eux’ et ‘il est plus difficile à un riche d’entrer au ciel qu’à un chameau d’entrer par le trou d’une aiguille’.Vous ferez donc tout pour que ces Nègres aient peur de s’enrichir pour mériter le ciel.” Ainsi, au nom de Dieu, au nom d’une mauvaise lecture de sa Parole, on a volé les richesses des Africains, justifié l’esclavage et béni la ségrégation aux États-Unis et en Afrique du Sud.

Ce qu’il importe de dénoncer vigoureusement, par conséquent, ce n’est pas la Bible mais ce qu’Obama nomme “une tendance en nous, une tendance immorale qui peut pervertir et déformer notre foi ” Il faut autant fustiger ces pasteurs et prêtres qui encouragent la course au merveilleux et au spectaculaire et ne parlent jamais de Moïse qui croisa le fer avec Pharaon jusqu’au départ des enfants d’Israël de la terre d’Égypte car Jésus n’a jamais fait l’apologie de la misère et de la pauvreté et, comme nous l’avons mentionné plus haut, Dieu n’a jamais pris son parti de l’esclavage et de l’oppression. Maints passages dans l’Ancien et le Nouveau Testaments montrent au contraire qu’Il nous a créés libres, qu’Il nous veut libres et que, là où est la liberté, là est son Esprit. Se laisser conduire par cet Esprit ne signifie pas déserter les lieux de combat mais s’engager, se retrousser les manches car “Dieu est présent à quiconque refuse, ne serait-ce qu’intérieurement, la violence qui lui est faite ”.

Une contribution de Jean-Claude DJEREKE
Chercheur associé au Cerclecad, Ottawa (Canada)
jcdjereke@yahoo.fr

 

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