C’est un arriviste, très intelligent et très bien formé, avec une exceptionnelle force de conviction
Les enregistrements où l’on entend le président de l’Assemblée nationale ivoirienne proposer son aide pour appuyer le putsch avorté au Burkina Faso, et éliminer des opposants, rappelle le passé violent d’un homme proche de la France. Soro, qui veut succéder à Ouattara à la présidence de Côte d’Ivoire, voit ainsi sa brutale ascension menacée.
Putschtape » ou « Sorogate » : les médias ivoiriens hésitent encore sur le nom à donner au scandale d’écoutes téléphoniques qui implique Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire et ex-chef de la rébellion des Forces nouvelles. Depuis le 12 novembre 2015, l’enregistrement d’une conversation téléphonique qu’il a eue le 27 septembre avec l’ancien ministre burkinabè des affaires étrangères, Djibril Bassolé, circule via les médias et les réseaux sociaux. Trois enregistrements au total ont été diffusés (dont le dernier sur Mediapart). Le premier, le plus long est particulièrement incriminant.
Soro, 43 ans, nie l’existence de cet échange et dénonce un « grossier » montage. Mais selon de nombreux observateurs, il n’y a guère de doute. Pour eux, c’est bien le deuxième personnage de l’État ivoirien qui s’exprime pendant ces 16 minutes de discussion. S’ils ont raison, ce premier enregistrement, que les médias burkinabè évoquent depuis plusieurs semaines, met Soro dans de sales draps. Il donne des éléments sur sa responsabilité présumée dans le putsch de septembre 2015 au Burkina Faso, mais aussi dans des assassinats commis pendant la crise ivoirienne de 2010-2011.
À l’écoute de ce dialogue, on se rend compte que Soro et Bassolé se préparaient à « sauver » le coup d’État du général Gilbert Diendéré, en train de capoter. On entend Soro dérouler son plan : « On frappe dans une ville en haut, quelque part. On récupère un commissariat, une gendarmerie. Eux, ils vont fuir, ils ne peuvent pas résister. Et comme on me dit que l’armée est autour de Ouagadougou, si on frappe à un bout là-bas, l’armée va vouloir se réorganiser pour aller vers là-bas. (…) Au moment où ils décollent, on refrappe dans un autre coin. Ça va les paniquer. » Bassolé a été arrêté deux jours après cette conversation téléphonique par les autorités burkinabè. Il est depuis accusé d’atteinte à la sûreté de l’État, haute trahison et collusion avec des forces étrangères. La justice burkinabè s’intéresse aussi à Soro : une maison qu’il possède à Ouagadougou a été perquisitionnée le 6 octobre.
Un autre passage du « Sorogate » choque beaucoup en Côte d’Ivoire. Il s’agit du moment où Soro annonce à Bassolé son projet de supprimer physiquement deux hommes politiques burkinabè. « Quand on aura fini tout ça, il y a deux personnes que tu dois accepter que moi, je “règle”. Y a Salif Diallo [ancien proche collaborateur de Blaise Compaoré, puis opposant à partir de 2014 – ndlr]et un Sy, là [Chérif Sy, président de l’Assemblée nationale – ndlr]. Ça, je ne peux pas laisser, non, non, non ! Ces gens-là ne peuvent pas vivre et puis vous allez être tranquilles », explique Soro.
L’ancien chef rebelle ajoute : « Est-ce que tu imagines qu’on aurait pu faire ce que l’on est en train de faire si Tagro et IB étaient vivants ? » Désiré Tagro a été le dernier secrétaire général de la présidence de Laurent Gbagbo. Le 11 avril 2011, jour de l’arrestation de ce dernier à Abidjan, il a reçu une balle dans la mâchoire, tirée à bout portant par un soldat des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’armée créée en mars 2011 par Alassane Ouattara, comprenant alors essentiellement des éléments des Forces nouvelles de Soro. Tagro est décédé le lendemain, 12 avril. Étant donné qu’il avait été pendant plusieurs années au cœur de négociations menées entre Gbagbo et Compaoré, parrain des Forces nouvelles, ses proches ont estimé qu’il n’avait pas été visé par hasard. Ce que dit Soro à Bassolé dans cet enregistrement tend à confirmer qu’ils ne s’étaient pas trompés.
Quant à l’autre personnalité citée par le président de l’Assemblée nationale, il s’agit de l’ex-sergent-chef ivoirien Ibrahim Coulibaly, dit IB. Un temps proche de Compaoré et Ouattara, IB a été le créateur de la rébellion des Forces nouvelles. En 2010-2011, il a commandé un groupe de civils armés, le « Commando invisible », qui a combattu l’armée régulière à Abidjan, avec l’objectif de faire partir Gbagbo. Il est mort le 27 avril 2011. La version officielle, soutenue par Ouattara et Soro, affirme qu’il a été tué dans des affrontements armés. Des témoignages précis indiquent qu’IB a été en réalité torturé et liquidé par les ex-chefs de guerre des Forces nouvelles, devenues FRCI et commandées par Soro (pour plus de détails, voir France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée). Le « Sorogate » donnerait donc un élément de plus sur la réalité de ce crime de guerre.
Pour beaucoup en Côte d’Ivoire, la réputation de Guillaume Soro n’est plus à faire. Celle-ci a commencé à se forger dans les années 1990 à l’université d’Abidjan, au sein de la Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire (FESCI), un syndicat étudiant proche du Front populaire ivoirien, le parti socialiste fondé par Gbagbo. Soro, étudiant en anglais, est devenu secrétaire général de cette organisation en 1995. Selon des observateurs, c’est sous sa direction que la FESCI a commencé à utiliser des méthodes violentes pour imposer sa loi au sein de l’université.
Soro s’est ensuite rapproché du Rassemblement des républicains (RDR), le parti de Ouattara. Puis il a rejoint IB, installé au Burkina Faso avec d’autres ex-militaires ivoiriens. IB, auteur du coup d’État de 1999 contre le président Henri Konan Bédié avant d’être écarté par le général Robert Gueï, se préparait alors avec ses camarades à attaquer de nouveau la Côte d’Ivoire, avec l’appui de Blaise Compaoré. Soro a suivi le mouvement : il a participé à leur tentative de coup d’État du 19 septembre 2002 contre Gbagbo. L’opération a échoué, mais ils ont réussi à s’emparer de 60 % du territoire ivoirien et à couper le pays en deux.
À l’écoute de ce dialogue, on se rend compte que Soro et Bassolé se préparaient à « sauver » le coup d’État du général Gilbert Diendéré, en train de capoter. On entend Soro dérouler son plan : « On frappe dans une ville en haut, quelque part. On récupère un commissariat, une gendarmerie. Eux, ils vont fuir, ils ne peuvent pas résister. Et comme on me dit que l’armée est autour de Ouagadougou, si on frappe à un bout là-bas, l’armée va vouloir se réorganiser pour aller vers là-bas. (…) Au moment où ils décollent, on refrappe dans un autre coin. Ça va les paniquer. » Bassolé a été arrêté deux jours après cette conversation téléphonique par les autorités burkinabè. Il est depuis accusé d’atteinte à la sûreté de l’État, haute trahison et collusion avec des forces étrangères. La justice burkinabè s’intéresse aussi à Soro : une maison qu’il possède à Ouagadougou a été perquisitionnée le 6 octobre.
Un autre passage du « Sorogate » choque beaucoup en Côte d’Ivoire. Il s’agit du moment où Soro annonce à Bassolé son projet de supprimer physiquement deux hommes politiques burkinabè. « Quand on aura fini tout ça, il y a deux personnes que tu dois accepter que moi, je “règle”. Y a Salif Diallo [ancien proche collaborateur de Blaise Compaoré, puis opposant à partir de 2014 – ndlr]et un Sy, là [Chérif Sy, président de l’Assemblée nationale – ndlr]. Ça, je ne peux pas laisser, non, non, non ! Ces gens-là ne peuvent pas vivre et puis vous allez être tranquilles », explique Soro.
L’ancien chef rebelle ajoute : « Est-ce que tu imagines qu’on aurait pu faire ce que l’on est en train de faire si Tagro et IB étaient vivants ? » Désiré Tagro a été le dernier secrétaire général de la présidence de Laurent Gbagbo. Le 11 avril 2011, jour de l’arrestation de ce dernier à Abidjan, il a reçu une balle dans la mâchoire, tirée à bout portant par un soldat des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’armée créée en mars 2011 par Alassane Ouattara, comprenant alors essentiellement des éléments des Forces nouvelles de Soro. Tagro est décédé le lendemain, 12 avril. Étant donné qu’il avait été pendant plusieurs années au cœur de négociations menées entre Gbagbo et Compaoré, parrain des Forces nouvelles, ses proches ont estimé qu’il n’avait pas été visé par hasard. Ce que dit Soro à Bassolé dans cet enregistrement tend à confirmer qu’ils ne s’étaient pas trompés.
Quant à l’autre personnalité citée par le président de l’Assemblée nationale, il s’agit de l’ex-sergent-chef ivoirien Ibrahim Coulibaly, dit IB. Un temps proche de Compaoré et Ouattara, IB a été le créateur de la rébellion des Forces nouvelles. En 2010-2011, il a commandé un groupe de civils armés, le « Commando invisible », qui a combattu l’armée régulière à Abidjan, avec l’objectif de faire partir Gbagbo. Il est mort le 27 avril 2011. La version officielle, soutenue par Ouattara et Soro, affirme qu’il a été tué dans des affrontements armés. Des témoignages précis indiquent qu’IB a été en réalité torturé et liquidé par les ex-chefs de guerre des Forces nouvelles, devenues FRCI et commandées par Soro (pour plus de détails, voir France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée). Le « Sorogate » donnerait donc un élément de plus sur la réalité de ce crime de guerre.
Pour beaucoup en Côte d’Ivoire, la réputation de Guillaume Soro n’est plus à faire. Celle-ci a commencé à se forger dans les années 1990 à l’université d’Abidjan, au sein de la Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire (FESCI), un syndicat étudiant proche du Front populaire ivoirien, le parti socialiste fondé par Gbagbo. Soro, étudiant en anglais, est devenu secrétaire général de cette organisation en 1995. Selon des observateurs, c’est sous sa direction que la FESCI a commencé à utiliser des méthodes violentes pour imposer sa loi au sein de l’université.
Soro s’est ensuite rapproché du Rassemblement des républicains (RDR), le parti de Ouattara. Puis il a rejoint IB, installé au Burkina Faso avec d’autres ex-militaires ivoiriens. IB, auteur du coup d’État de 1999 contre le président Henri Konan Bédié avant d’être écarté par le général Robert Gueï, se préparait alors avec ses camarades à attaquer de nouveau la Côte d’Ivoire, avec l’appui de Blaise Compaoré. Soro a suivi le mouvement : il a participé à leur tentative de coup d’État du 19 septembre 2002 contre Gbagbo. L’opération a échoué, mais ils ont réussi à s’emparer de 60 % du territoire ivoirien et à couper le pays en deux.
« Des salopards échevelés »
En 2003, retournement de situation : Soro a trahi IB. Avec le soutien de Compaoré et de Paris, il l’a écarté de la rébellion, a pris sa place de chef et fait éliminer des dizaines de ses partisans. Les Forces nouvelles, qui disaient combattre l’injustice, ont ensuite pillé la zone sous leur contrôle, et ce jusqu’en 2010. Leurs leaders se sont considérablement enrichis grâce à divers trafics (cacao, or, bois…). C’étaient des « salopards échevelés qui exerçaient leur pouvoir avec une incroyable brutalité, une violence inouïe », dira Gildas Le Lidec, ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire.
Entre-temps, Soro est devenu ministre : en 2003, Gbagbo a été contraint par la communauté internationale d’intégrer les rebelles dans son gouvernement. Détesté à Abidjan, le « Che Bogota », comme il se fait appeler, a cependant mis du temps à s’installer dans la capitale économique. Puis le président ivoirien l’a nommé premier ministre, après un accord négocié avec Compaoré en 2007. Soro n’avait alors que 34 ans.
En 2010-2011, il s’est de nouveau illustré avec ses Forces nouvelles. A l’issue de l’élection présidentielle contestée qui a opposé Gbagbo à Ouattara, il s’est rangé derrière celui-ci, avec le reste de la rébellion qui n’avait jamais désarmé, contrairement à ce qu’exigeaient tous les accords de paix signés avec Gbagbo. Il a joué un rôle de premier plan dans l’opération visant à installer par la force Ouattara au pouvoir : les Forces nouvelles, aidées par l’armée française, ont fait la guerre contre l’armée régulière de la Côte d’Ivoire. Au passage, elles ont assassiné des centaines de civils dans l’ouest du pays et à Yopougon, une commune d’Abidjan.
En mars 2012, Soro est devenu président de l’Assemblée nationale – sans cependant avoir l’âge requis (40 ans). Depuis, il soigne son image pour se donner une stature d’homme d’État, voyage beaucoup. Bien que des ex-chefs de guerre proches de lui soient toujours impliqués dans divers trafics et autres crimes, le président de l’Assemblée nationale française, Claude Bartolone, n’a pas eu peur de s’afficher à ses côtés : il lui a donné l’accolade en 2014 à Abidjan, après l’avoir reçu à Paris.
Pendant toutes ces années passées à la tête de la rébellion, Soro a bénéficié de la complaisance, voire de la bienveillance, d’une partie de la classe politique française et des médias français. Après avoir publié un livre dans lequel il refaisait l’histoire de la rébellion à son avantage, il avait ainsi été invité sur le plateau de Thierry Ardisson en 2005. Au moins jusqu’en 2013, il a compté de solides sympathies au ministère français de la défense.
Il n’a cependant pas réussi à séduire tout le monde. Pour Gildas Le Lidec, « c’est un arriviste, très intelligent et très bien formé, avec une exceptionnelle force de conviction. Il a mangé à tous les râteliers, chef des rebelles un jour, avec Gbagbo un autre, puis le trahissant pour Ouattara ». Des intellectuels africains se désespèrent, eux, de l’exemple que son parcours donne à la jeunesse du continent. Nombreux sont surtout ceux s’indignant de voir que les crimes économiques et de sang commis par ses hommes entre 2003 et 2011 n’ont encore fait l’objet d’aucune poursuite de la part de la justice ivoirienne et/ou de la justice internationale. En mars, l’ex-premier ministre Charles Konan Banny a implicitement mis Soro en cause en déclarant : « Certains individus (…) gagneraient (…) à s’expliquer sur leurs différents crimes depuis le début de cette crise [ouverte en 2002 – ndlr]qu’a connue notre pays. »
Le « Sorogate » annonce-t-il des lendemains difficiles pour Soro ? Il marque peut-être l’ouverture officielle de la guerre de succession de Ouattara, reconduit le 4 novembre 2015 pour un second et dernier mandat présidentiel. Guillaume Soro vise la présidence depuis longtemps. Mais il est loin d’être le seul. Il a face à lui, entre autres, le ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko, qui semble travailler depuis plusieurs mois à le faire sortir du jeu politique. Beaucoup de ses hommes, placés dans l’appareil d’État et de sécurité, ont ainsi, peu à peu, été écartés.
La chute de Compaoré, son principal soutien dans la région, en octobre 2014, a été un autre coup dur pour lui. Au Burkina Faso, les nouvelles autorités ont également intérêt à le voir écarté des affaires pour éviter tout risque d’autres tentatives de déstabilisation en provenance de Côte d’Ivoire. Peut-être l’origine de la fuite de l’enregistrement, pas encore bien identifiée, se situe-t-elle d’ailleurs du côté de Ouagadougou ?
Conscients que leur champion a des ennemis, les partisans du président de l’Assemblée nationale organisent la riposte, disent que le « Sorogate » est une « « funeste tentative d’assassinat politique », comme l’a écrit le 16 novembre un de ses conseillers, Franklin Nyamsi. Ce dernier a aussi annoncé que son mentor porterait plainte contre Théophile Kouamouo, le journaliste qui a diffusé le premier enregistrement. Il semble, cependant, qu’il ne l’ait pas encore fait. Quant à Soro, il a lui-même rappelé dans un entretien récent avec la BBC qu’il était « un homme de mission ». Est-ce une manière de suggérer que s’il tombe, il pourrait entraîner dans sa chute de nombreux acteurs au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire mais aussi en France, qui ont eu comme lui un rôle important dans la longue crise déclenchée contre Gbagbo ?
« Soro ne peut pas revenir dans ce système tel qu’il est configuré actuellement. Il n’aime pas jouer les seconds rôles, il se voit en homme d’État. Aujourd’hui, il n’a qu’une issue : frapper son ancien allié, Ouattara, remettre tout le système en cause, ce qui veut dire faire un coup d’État, pour se repositionner. Ce sera du quitte ou double. Il a une très faible marge de manœuvre en réalité », commente un analyste à Abidjan.
Entre-temps, une autre ombre s’est ajoutée au tableau de l’ancien chef des Forces Nouvelles : il est convoqué, comme témoin assisté, par la justice française, après une plainte déposée contre lui et dix ex-chefs de guerre de la rébellion par Michel Gbagbo, fils de Laurent Gbagbo, pour « traitement dégradant et inhumain ».
Fanny Pigeaud
Mediapart
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