Les Noirs : une histoire d’oppression et de résistance

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Selon diverses estimations, on évalue que la moitié de la population du Brésil, qui compte en tout 163 millions d’habitants, est d’origine africaine. L’esclavage a officiellement disparu au Brésil en 1888, mais le souvenir de l’oppression reste vif, comme le prouve cette communication donnée à Cochabamba le 25 août 1998 par María Madalena dos Santos o. p. et Paulo Sergio Contanheide Ferreira o. p. tous deux Noirs brésiliens. Ils retracent ici l’histoire des Noirs au Brésil, qui est simultanément celle de leur oppression, de leur résistance et de leur libération.
L’histoire du peuple brésilien est marquée par la douleur, les larmes et par dessus tout par la joie. Ce peuple est formé de trois ethnies. Selon l’histoire, chaque Brésilien a dans ses origines, du sang noir, indien et blanc (d’Europe). Au Brésil il n’existe pas d’ethnie pure.

Les Noirs

Notre réflexion portera sur l’ethnie noire, son arrivée au Brésil et sa contribution à la formation du peuple brésilien.

Les Noirs furent arrachés à leur mère patrie ( Congo, Angola et Guinée principalement) et introduits sur le sol brésilien dès la « découverte » du pays et pour exploiter ses richesses. En presque 350 ans de trafic, arrivèrent au Brésil sept millions d’Africains, amenés de force par les « colonisateurs », traités comme des marchandises, jetés dans les cales des navires négriers, et vendus aux enchères aux « nobles » de la terre appelés « maîtres d’esclaves ». Ils effectuaient pratiquement tout le travail productif du Brésil.

Les Noirs et la société

Traités comme de simples produits africains, les Noirs au Brésil eurent à supporter toutes les formes d’humiliation destinées à briser leur fierté et leur dignité. La police intérieure, organisée autour de la personne du « maître », était assurée par des armées privées (hommes de mains, pistoleiros et chasseurs d’esclaves), qui avaient la fonction de « maintenir l’ordre » dans les plantations. Ce modèle de sécurité protégeait et renforçait l’activité économique la plus importante de l’époque – la production de canne à sucre et ses dérivés qui étaient consommés dans la colonie et dans la métropole, le Portugal.

Ce système a été marqué par la centralisation du pouvoir autour de la personne du « maître » et par la misère de 1a majorité de la population esclave.

La résistance des Noirs

L’histoire du peuple noir a été marquée par la résistance dès l’époque de l’invasion de la Mère Afrique, et également par la nostalgie, par la fuite et par l’organisation en Quilombos, où l’on vivait en partageant ses biens, son pouvoir et en retrouvant la dignité qui avait été volée par l’Européen. Les Quilombos étaient aussi des lieux où les Noirs célébraient leur foi, vivaient et retrouvaient leurs valeurs et leurs coutumes. Il y eut à peu près 51 Quilombos répartis dans plusieurs régions du Brésil. Le plus important d’entre eux fut celui de Palmares qui résista près de 100 ans (1600-1695), grâce à une armée de presque 6 000 hommes, sous le commandement de Domingos Jorge Velho. C’est ainsi que l’identité du peuple noir se recréa, en faisant renaître l’espoir, en consolidant le rêve de liberté et en occupant une terre qui lui a été refusée durant cinq siècles.

L’Église et l’État contre les Noirs

Dans l’empire du Brésil, l’Église alliée à l’État a beaucoup contribué à la marginalisation, l’oppression et l’exploitation des Noirs. En implantant une idéologie fondée sur la théologie de la souffrance, (la souffrance purifiait l’âme et garantissait le salut) l’Église essayait de briser la résistance des Noirs en agissant en accord avec les intérêts des « maîtres ». À cette époque-là l’idéologie du conformisme était très encouragée et répandue.
En fait, l’Église, depuis 1452, avec le Pape Nicolas V, et la Bulle papale Dum diversusbénissait l’exploitation du peuple noir par la société et par le système en vigueur. Il existe dans l’histoire sept décrets qui légitiment et reconnaissent l’oppression du Noir et de ses descendants. Parmi eux il y a :
La Bulle papale du 16 Juin 1452 « qui accordait au Roi du Portugal, pleine et totale permission d’envahir, chercher, capturer et soumettre les sarrasins et les païens, ainsi que tous les incroyants et ennemis du Christ…, de les réduire en esclavage perpétuel, de s’en approprier et de les utiliser pour son usage personnel et celui de ses successeurs ». Ces pouvoirs furent étendus aux rois d’Espagne en 1454.

En s’appuyant sur ces documents, le Portugal et l’Espagne entreprirent une dévastation du continent africain en tuant et en réduisant en esclavage des millions d’habitants.
L’encyclique In plurimus du pape Léon XIII, du 5 mai 1888, rend légitime et bénit les massacres commis par les explorateurs des nouvelles colonies.

La loi complémentaire à la Constitution de 1824

« … selon la législation de l’Empire, les Noirs ne pouvaient pas fréquenter les écoles car ils étaient considérés comme porteurs de maladies contagieuses. »
La loi des terres de 1850, n° 601
« …à partir de cette nouvelle loi, les terres ne pourraient être obtenues que par l’achat. »
Ainsi, avec la difficulté d’obtenir des terres vendues très cher, les esclaves libérés ont dû rester dans les fazendas, en y remplaçant les esclaves.
Grâce à cette loi, l’armée brésilienne a pu détruire les Quilombos, forçant ainsi les Noirs libres à retourner dans les fazendas des Blancs. Ceci ne se terminera qu’en 1887, avec une crise interne à l’armée provoquée par une partie de l’armée solidaire du peuple noir.
Cette loi avait un objectif bien défini : enlever au Noir toute possibilité de développement économique, puisqu’il ne pouvait accéder à un des plus importants moyen de production. La même loi n’eut aucune répercussion sur les immigrants européens qui reçurent gratuitement de grandes étendues de terre, des semences et de l’argent pour s’installer au Brésil, dans le but précis de « blanchir » le pays.

La Guerre du Paraguay (1864-1870)

Une forme « subtile » de réduire la population noire du pays. Avec la promesse de terres à ceux qui étaient libres, et de la liberté pour ceux qui étaient encore esclaves, les Noirs étaient recrutés pour la guerre sans aucune préparation. Leur nombre diminua ainsi considérablement, passant de 45% du total de la population brésilienne (plus ou moins 2 500 000) à 15% (plus ou moins 1 500 000). Pour les survivants, l’armée recommande un traitement « spécial », elle pense en effet que « …rien ne peut empêcher que cette immense masse d’esclaves du Brésil ne réclame un jour sa liberté, ni qu’il n’y ait une guerre civile comme en Haïti, des Noirs contre les Blancs qui a toujours menacé le Brésil, et qu’ainsi ne disparaisse la faible population blanche ».

Inquiétés du fait que les Noirs aient appris à faire la guerre et puissent ainsi organiser une révolte de masse, les autorités (chefs de l’armée) organisèrent de dures persécutions contre les Noirs qui revenaient de la guerre, en intensifiant l’exclusion et la marginalisation, et en faisant en sorte qu’ils ne puissent plus se réunir ni organiser de résistance contre le système qui les excluait.

La loi du ventre en liberté (1871)
Elle est à l’origine des enfants des rues.
La loi du sexagénaire (1885)
Qui est à l’origine du vieillard abandonné (mendiant).
Le décret 528 sur les migrations européennes (1890)
Elle concerne l’implantation d’une main-d’œuvre spécialisée.

Quelques voix en faveur des Noirs

Pendant la période de 1879 à 1888, quelques voix s’élevèrent contre la situation des Noirs au Brésil. L’abolitionnisme qui dénonçait les violences imposées aux Noirs et à leurs descendants demandait la libération de tous les esclaves. Ces propositions étaient diffusées par les moyens de communication de l’époque. Or, la population esclave était une minorité alors que la population d’esclaves « libres » qui déambulait dans les rues était immense.
L’importance de ces mouvements et surtout la situation sociale, économique et politique contribua à ce que en 1888 fût signée la loi Aurea qui mit fin à l’esclavage au Brésil.

Pressions économiques qui étouffent ces voix

Sous cette pression économique et sociale fut signée le 13 mai 1888 la loi Aurea qui laissa en suspens des questions fondamentales, à l’origine des conflits actuels et concernant le peuple noir et les Blancs pauvres de notre société :
la réforme agraire. Le Noir « libre » n’a pas accès à la terre. Abandonné par le maître et par les institutions publiques (l’État), le Noir est réduit à la condition de mendiant : travailler pour de la nourriture. Il se crée ainsi une nouvelle forme d’esclavage.

Le salarié. La libération légale des Noirs les amena à se faire concurrence entre eux sur le marché du travail. Ils étaient obligés de vendre leur force de travail contre un salaire. C’est l’apparition d’un nouveau système : celui de l’offre et de la demande. Ils étaient soumis aux traitements les plus cruels, et aux violations de la dignité de la personne humaine.

Avec la liberté légalisée, l’Afro-Américain fut massivement poussé de la campagne vers la ville. N’ayant plus de place à la campagne, il va vers les villes. Or elles n’ont pas les moyens d’absorber toute cette population qui se voit donc obligée d’occuper les terres inondables, les favelas et les quartiers périphériques.

En fait l’abolition de l’esclavage fait place à un nouveau système : le modèle pré-capitaliste avec l’apparition d’une société industrielle. Dans ce nouveau système, le Noir ne compte pas et n’a plus de rôle. Son utilité en tant que main-d’œuvre a disparu.

Les Noirs continuent à résister

En réponse à ce modèle de société, les Noirs organisèrent des groupes de résistance, parmi lesquels le plus important, historiquement parlant, fut le Quilombo de Palmares sous le commandement de Zumbi. Ce groupe s’étendit de Pernambouc jusqu’à Alagoas avec presque trente mille hommes et femmes libres. Ce modèle alternatif, en réponse à la société esclavagiste oppressive et inhumaine, avait pour but de retrouver l’identité noire à partir des origines africaines.

La résistance s’organise

Après l’« abolition » et avec l’apparition de nouvelles formes d’esclavage, le peuple noir commence à lutter contre le racisme et la marginalisation. Cette résistance fut à l’origine de plusieurs organisations qui tout au long de l’histoire luttèrent pour récupérer la mémoire et la dignité du peuple noir afin qu’il devienne lui-même un acteur de sa libération, en prenant conscience de son importance dans l’histoire du Brésil. Les mouvements les plus récents et qui eurent le plus d’importance dans cette histoire furent les suivants :
1944, 14 décembre – Théâtre expérimental des Noirs avec Abdias do Nasciomento (le Noir est capable de faire de l’art et de contribuer à la culture du pays.)
1950, 18 mars – Réunion du Conseil national des femmes noires – Rio de Janeiro.
1977, 24 août – Congrès des cultures noires des Amériques-Cali, Colombie.
1978, 7 juin – Début de l’organisation du Mouvement noir unifié (MNU).
1980, 19 mars – Rencontre de la Pastorale afro-américaine. Buenaventura – Colombie.
1986, 31 mai – Rencontre de religieux, séminaristes et prêtres noirs de Rio de Janeiro.
29 août – Rencontre d’agents noirs de la pastorale du diocèse de Duque de Caxias et São João de Meriti ;
20 novembre – Fondation du Mémorial Zumbi dans la Serra da Barriga, Alagoas. Jour national de la prise de conscience du peuple noir.
1987 – Rencontre des Noirs du Sud et du Sud-Est, Rio de Janeiro ;
1re Rencontre des religieuses et religieux noirs en formation.
1988, 17 février – Ouverture officielle de la Campagne de la fraternité, dont le slogan était : « J’ai entendu le cri de ce peuple. »
1991, 1re Rencontre nationale du GRENI (Groupe de réflexion de religieux noirs et indigènes.)
(…)

Candomblé brésilien

Si l’on analyse l’histoire des religions d’origine africaine présentes au Brésil, on observe que le candomblé a utilisé les expériences religieuses apportées d’Afrique dans ce qu’elles ont de plus original. Cependant nous ne pouvons le considérer comme une pratique purement africaine. Si nous faisions une comparaison entre les candomblés brésiliens et africains nous découvririons que la pratique du candomblé brésilien, bien qu’inspiré de la vision théologique africaine, possède des caractères propres, conséquences du système esclavagiste et de la confrontation avec le christianisme. Si nous partons de ce présupposé il est plus correct de parler de religions afro-brésiliennes que de religions africaines.

Traditions religieuses africaines

Parmi les traditions religieuses apportées au Brésil, deux surtout se sont détachées.

Les Bantous, peuple d’Afrique australe (Angola, Zaïre, Mozambique, etc.), monothéistes, pensaient que le Dieu Zambi avait créé le monde, l’homme et la femme en un seul acte. Pour eux la communauté familiale, les vivants comme les morts (les ancêtres), est un don de la divinité qui explique l’origine et le destin de l’homme et de la femme.

Les Nagôs, originaires de l’ouest de l’Afrique (Nigeria, Golfe du Bénin, Côte d’Ivoire, etc.), possédaient une vision théocentrique de l’univers. Tout fut créé par la divinité (Olorum). Celui-ci en créant tous les éléments de la nature, créa également les Orixás, qui ne sont pas des dieux mais des entités divinisées qui représentent les diverses manifestations de la divinité dans la vie des personnes et des communautés, et leur donnent une possibilité de salut. Les Nagôs firent prédominer leur religion pour avoir une pratique religieuse plus précise et un niveau culturel plus élevé. Cependant il y a toujours eu un syncrétisme entre ces deux religions.

Syncrétisme afro-chrétien

Avant d’assimiler les valeurs du christianisme, les Noirs l’utilisaient pour camoufler leurs cultes des Orixás. En effet le syncrétisme se forma de façon presque clandestine. Dans les journaux du XVIIIe siècle les récits qui racontent la destruction et les persécutions policières contre les pratiquants

du candomblé sont nombreuses. L’utilisation des dates des fêtes des saints catholiques pour fêter les Orixás est un signe de la lutte du peuple africain pour ne pas perdre son identité religieuse. C’est ce qui explique la présence traditionnelle de saints du christianisme dans les candomblés.

Bien que les confréries aient été avant tout le moyen de séparer le christianisme noir du christianisme blanc – les confréries de Notre-Dame du Rosaire et de Saint-Benoît étaient en effet réservées aux Noirs – elles se transformèrent dans un des rares espaces de liberté réservé à la pratique religieuse. De nombreux lieux où l’on pratique le candomblé existent toujours aujourd’hui et sont issus de ces confréries.

Il serait incohérent d’affirmer que les Noirs ne se servaient du christianisme que comme écran pour conserver leurs pratiques religieuses. Bien que les colonisateurs aient essayé de justifier leur despotisme par une théologie chrétienne qui faisait l’apologie de la souffrance, de nombreux groupes de Noirs ont su replacer le christianisme dans son contexte en intégrant non seulement l’image du Serviteur souffrant, mais également celle du Christ libérateur qui est lumière et chemin vers l’épanouissement.

La religion pour le peuple afro-brésilien n’a pas été que dévotion. Elle part de l’expérience de Dieu dans l’histoire. Les Noirs trouvaient dans la religion la force et l’énergie (axé) de maintenir vivante leur identité et leurs traditions et d’organiser des communautés libres (Quilombos).

La résistance de la culture noire

Les religions afro-brésiliennes sont davantage présentes dans les États qui eurent le plus grand nombre d’esclaves pendant la période coloniale (Bahia, Rio de Janeiro et Maranhão). Mais aujourd’hui elles sont présentes sur tout le territoire brésilien et sont également pratiquées par des Blancs. Ces groupes religieux sont toujours la plus grande preuve de résistance de la culture noire au Brésil. L’abolition de l’esclavage n’a donc éliminé ni l’exclusion sociale ni le préjugé religieux. Bien qu’il y ait aujourd’hui un mouvement de dialogue entre les communautés ecclésiales de base et les communautés de candomblé, certains secteurs de l’Église catholique ont encore une vision assez stigmatisante des religions afro-brésiliennes.

La plus grande opposition vient actuellement des Églises pentecôtistes qui, en se rendant maîtresses d’une partie des moyens de communication de masse, essaient de discréditer les communautés de candomblé en leur attribuant des caractères sataniques.

Dans la théologie de la libération, à un certain moment, la réflexion sur les exclus va au-delà des questions sociales jusqu’à aborder l’exclusion religieuse qui au Brésil a tendance à légitimer une idéologie raciste. De la réflexion sur les religions afro-brésiliennes commencent à naître les prémices d’une théologie afro-brésilienne, une théologie noire, visant avant tout à un dialogue plus important entre ces religions et le christianisme.

C’est dans ce contexte qu’apparaissent les agents de la pastorale noire, qui cherchent à mobiliser la communauté noire afin qu’elle retrouve son histoire, qu’elle reconstruise son identité et se crée une place dans la société.

En tant que membres de cette société, et prenant conscience de nos racines, nous essayons de nous accepter nous-mêmes comme Noirs, en militant dans les nouveaux mouvements qui se forment. Cette découverte d’être Noirs nous libère de nos préjugés personnels et nous conduit à un plus grand engagement. (…)

Source: alterinfos.org
Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2277.
Traduction Dial.
Source (portugais) : communication à Cochabamba, 25 août 1998.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial – http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article

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