Un article écrit par Chelsea (Bradley) Manning depuis sa cellule de la prison militaire de Fort Leavenworth, dans le Kansas, a davantage contribué à mettre en lumière les vraies sources de la débâcle actuelle de l’impérialisme américain en Irak que tous les mensonges et les articles de déni produits par tous les experts grassement payés du New York Times, du Washington Post et des autres grands journaux.
Cet article du soldat américain emprisonné, publié dans le New York Times de dimanche, vise à révéler le rôle du secret et du contrôle des médias par le gouvernement, dans ses efforts pour imposer à la population américaine une guerre d’agression lancée sur la base de mensonges. Manning insiste sur l’idée que l’effondrement soudain de l’armée irakienne financée et entraînée par les États-Unis et la plongée du pays dans une véritable guerre civile sectaire ne font que démontrer que les inquiétudes qui avaient motivé sa transmission à WikiLeaks de 700 000 documents secrets sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan ainsi que sur les manigances de la politique étrangère américaine sur toute la planète « n’ont pas été résolues. »
Le fait que Manning ait rompu le mur du secret et de la désinformation, maintenu par le gouvernement et les médias, a provoqué la colère de l’élite dirigeante américaine. Ce soldat, ex-analyste des services du renseignement, purge maintenant une peine de prison de 35 ans. En avril dernier, un général de l’armée de terre a refusé une demande de clémence. Manning examine la réaction américaine à l’élection en 2010 du premier ministre Nouri al-Maliki, qui avait été installé par l’occupation américaine quatre ans plus tôt. La presse américaine, « était inondée d’articles déclarant que ces élections étaient un succès, » afin de créer l’image d’une guerre américaine qui aurait « réussi à créer un Irak stable et démocratique » rappelle le soldat emprisonné.
Durant la même période, écrit-il, lui et d’autres analystes militaires à Bagdad recevaient continuellement des rapports sur « une répression brutale des dissidents politiques de la part du ministère de l’Intérieur irakien et de la police fédérale, » agissant pour le compte de Maliki. Les opposants au premier ministre soutenu par les États-Unis « étaient souvent torturés, ou même tués, » note-t-il. Manning révèle au grand jour la complicité directe de l’armée américaine dans ces crimes, indiquant qu’il avait informé l’officier américain en charge de l’Est de Bagdad que 15 individus arrêtés pour avoir publié une critique du gouvernement de Maliki « n’entretenaient absolument aucun lien avec le terrorisme. »
Ce commandant avait répondu qu’il « n’avait pas besoin de cette information et que je ferais mieux d’aider la police fédérale à localiser davantage d’imprimeries »anti-irakiennes ». » « J’ai été choqué par la complicité de notre armée dans la corruption de ces élections. Pourtant ces détails profondément troublants sont passés inaperçus pour les médias américains, » écrit-il. Ce compte-rendu dément ce que les médias américains affirment en choeur : que la débâcle actuelle en Irak serait « entièrement de la faute de Maliki. » Manning attribue les divergences aiguës entre les développements en Irak et la manière dont ils sont dépeints par les médias en partie à la censure pratiquée par le Pentagone sur la couverture de la guerre par le système des journalistes « embedded » (intégrés). Les journalistes qui avaient de bonnes relations avec l’armée et qui fournissaient une couverture médiatique favorable avaient un accès, alors que ceux qui révélaient les scandales, les crimes et les mensonges étaient mis sur une liste noire, écrit-il. Il ne fait aucun doute que ce système de censure militaire a joué un rôle majeur pour cacher au peuple américain le caractère macabre et criminel d’une guerre qui a coûté la vie à plus d’un million d’Irakiens, et tué près de 4 500 soldats américains, en laissant des dizaines de milliers d’autres blessés. Cependant, le processus de « l’intégration » des journalistes avait commencé bien avant que Bush n’ordonne de lancer une opération de « shock and awe » (choc et effroi, ou domination rapide) contre Bagdad, et il n’incluait pas seulement les correspondants de guerre, mais aussi les principaux chroniqueurs, éditorialistes, et directeurs de publication des grands journaux et autres médias.
Des gens comme le directeur de la publication du Times Arthur Ochs Sulzberger Junior, et Bill Keller, qui en 2003 était passé de la position de journaliste confirmé et principal partisan de la guerre à celle de rédacteur en chef au Times, s’étaient adonnés sans retenue à une campagne massive pour faire pression sur la population américaine afin qu’elle soutienne une guerre d’agression contre l’Irak. Ils décidèrent de répéter comme des perroquets les mensonges du gouvernement américain sur les « armes de destruction massive » irakiennes et les liens entre Bagdad et Al Qaïda, tout deux inexistants, et d’éviter toute enquête critique sur la propagande de guerre du gouvernement Bush. Au contraire, à travers les efforts sinistres du Times et de sa correspondante Judith Miller, ils avaient rajouté à cette propagande, y empilant leurs propres mensonges. Maintenant, alors que toute l’ampleur de la débâcle créée par la destruction aveugle de la société irakienne est révélée, ceux qui avaient servi de propagandistes de guerre dans les médias serrent les rangs, cherchant à protéger leurs propres arrières.
Des chroniqueurs comme Thomas Friedman du Times, qui écrivait il y a plus de dix ans que personnellement « une guerre pour le pétrole ne lui posait aucun problème », et Nicolas Kristof ont publié des articles insistant sur l’idée que Maliki serait le seul responsable de la désintégration de l’Irak, et que les États-Unis n’ont rien à voir avec cela. Après eux, lundi, une chronique particulièrement immonde du chroniqueur du Times Roger Cohen intitulée « reprendre Mossoul » a été publiée, qui appelle à une intervention des États-Unis pour « faire reculer les fanatiques de l’EIIL (État islamique d’Irak et du Levant). » Cohen se sert de cet article pour ridiculiser ceux qui jouent au « jeu des reproches », une dénonciation hautement cynique de toute tentative d’assigner des responsabilités pour une guerre qui a tué plus d’un million de gens et détruit toute une société. « Les faits sont suffisamment clairs, » écrit-il « les États-Unis ont envahi l’Irak en 2003 en raison de ses armes de destruction massive. Cependant, l’Irak n’avait aucune arme de destruction massive. » Suffisamment clair en effet, la guerre s’appuyait sur un mensonge, que Cohen a contribué à disséminer. Il continue : « Il n’y avait pas d’Al Qaïda dans l’Irak de Saddam. Les États-Unis l’ont fait naître par leur invasion. »
Donc, encore un mensonge utilisé pour justifier la guerre, dont les conséquences catastrophiques comprennent le renforcement des tendances islamistes extrémistes et sectaires en Irak et dans toute la région. Dans son article, Cohen demande que le gouvernement Obama lance « une force militaire ciblée » contre les « fanatiques » de l’EIIL. Mais il a soutenu avec enthousiasme l’usage par Washington de ces mêmes « fanatiques » dans les guerres pour obtenir un changement de régime, d’abord en Libye puis en Syrie. Il écarte toutes les questions sur la logique de ce genre de politique : « Une approche logique au Moyen-Orient est rarement une approche faisable. » La seule « logique » est l’usage de n’importe quel instrument à disposition pour affirmer l’hégémonie américaine et piller les ressources de la région. « Le jeu des reproches passe à côté du problème, » répète Cohen. L’Irak comme la Syrie étaient « mûrs pour le démembrement » avant « la malheureuse intervention de l’Amérique » De qui se moque-t-il ? L’intervention américaine était tout sauf « infortunée, » elle a employé toute la puissance de feu dont disposait le Pentagone dans une campagne qui a vu plus de 1700 missions de bombardement, dont 504 avec des missiles de croisière, en l’espace de trois jours. On pourrait aussi bien décrire l’Europe de 1939 comme étant « mûre pour le démembrement » et la blitzkrieg de Hitler comme « infortunée » ou critiquer le tribunal de Nuremberg comme un exercice futile de « jeu des reproches. »
La réalité c’est que l’on n’a toujours pas désigné les vrais coupables. Cela requiert que ceux qui sont responsables de la planification et de l’exécution de cette guerre d’agression contre l’Irak, de Bush, Cheney, Rumsfeld, Rice et Powell jusqu’aux commandants militaires les plus haut placés, soient jugés pour crimes de guerre. Il convient de rappeler qu’à Nuremberg, sur le banc des accusés, et finalement au bout d’une corde, se trouvait, aux côtés des dirigeants survivants du Troisième Reich, Julius Streicher, le rédacteur du répugnant hebdomadaire antisémite Der Stürmer puis du quotidien Fränkische Tageszeitung. Si le tribunal a établi que Streicher n’avait joué aucun rôle direct dans la formulation de la politique de guerre, il avait néanmoins joué un rôle crucial dans l’intoxication de la conscience du peuple allemand. Sans les efforts de propagande de Streicher, avait affirmé l’accusation, « les généraux allemands n’auraient trouvé personne pour suivre leurs ordres. »
Dans une situation où il faudra vraiment répondre des crimes de la guerre d’Irak, Cohen, Friedman, Keller et consorts qui ont servi avec enthousiasme la machine de propagande du Pentagone, devront être jugés de manière similaire pour leur promotion criminelle d’une guerre d’agression. La dernière contribution du Soldat de première classe Manning confirme tout ce que le World Socialist Web Site écrivait sur la guerre en Irak et le rôle des médias américains depuis bien avant que la guerre ne soit lancée en mars 2003.
Le WSWS a cherché dès le début à démasquer les mensonges utilisés pour promouvoir cette guerre et les méthodes criminelles avec lesquelles elle a été exécutée. Dans une situation où l’impérialisme des États-Unis prévoit une nouvelle intervention militaire en Irak, tout en préparant des guerres bien plus terribles sur toute la planète, la lutte implacable contre les mensonges des médias devient d’autant plus urgente pour développer une lutte contre le militarisme et la guerre. Ceci exige le développement continuel du World Socialist Web Site et l’expansion de son lectorat aux travailleurs du monde entier.
Bill Van Auken