De même, à Ouagadougou, beaucoup craignent que la lutte contre la corruption ne finisse par se résumer qu’au sacrifice de quelques têtes sans que le fond du problème ne soit jamais abordé
Plus d’un mois et demi après la chute de l’ex président burkinabè Blaise Compaoré, la lutte contre la corruption dans le pays constitue un véritable « test » pour les autorités de la transition chargées d’organiser les élections de 2015.
Main basse sur le Burkina
Excédés par l’attitude prévaricatrice des anciens dignitaires du régime, les populations ayant pris part à l’insurrection fin octobre se sont attaqués à des biens symboliques appartenant aux proches de l’ex chef de l’Etat. Entièrement saccagée, la maison de François Compaoré, petit frère détesté de Blaise, ressemble à un champ de bataille. Longtemps conseiller économique du président, « François était devenu l’homme incontournable pour quiconque souhaitait monter une affaire au Burkina » explique Boureima Ouédraougo, directeur du journal « Le Reporter ». Un rôle clé, à mi-chemin entre le pouvoir politique, les entreprises privés et le secteur bancaire, qui lui avait permis de se constituer une solide fortune.
Dans la capitale Ouagadougou et plusieurs autres villes du pays, d’autres biens appartenant aux proches du régime ont subi le même sort. Le 30 octobre, des dizaines de maisons ont été pillées et incendiées. Celle, notamment, d’Alizéta Gando, « la belle-mère nationale » qui avait fait main basse sur des sociétés publiques d’immobilier comme la Socogib qui vient tout juste de réintégrer le patrimoine public burkinabè ; celle d’Assimi Kouanda, le patron du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Blaise, ou encore celle d’Alain Édouard Traoré, l’ex-ministre de la Communication.
Gel des comptes
Un déchaînement de colère populaire qui a poussé les nouvelles autorités du pays à prendre des engagements. Après son investiture le 21 novembre dernier, le nouveau président de la transition Michel Kafando a annoncé que les dérives du régime du président déchu seraient sanctionnées. «Avec ceux qui ont méprisé cette justice et qui pensent qu’ils peuvent dilapider impunément le denier public, nous réglerons bientôt les comptes», a-t-il affirmé.
Par ailleurs, lors d’un entretien accordé à la presse nationale, le premier ministre, Yacouba Isaac Zida, a déclaré avoir fait geler les comptes des anciens dignitaires du régime dès son arrivée au pouvoir en tant que chef d’Etat de la transition le 1er novembre. Selon une source proche du dossier, ce n’est en fait que plus tard, le 17 novembre, soit 48 heures avant qu’il ne rende son statut de chef de l’Etat, que Zida a agit en faisant parvenir une lettre aux institutions bancaires et caisses du pays. Dans ce texte, ce dernier les enjoignait de geler les avoirs de vingt-trois personnalités liées à l’ancien régime. « Certaines sont bien connues comme François ou Alizéta, mais tous les grands opérateurs économiques qui leur sont dévoués ne figurent pas dans la liste » se désole la même source. De même, à Ouagadougou, beaucoup craignent que la lutte contre la corruption ne finisse par se résumer qu’au sacrifice de quelques têtes sans que le fond du problème ne soit jamais abordé.
Le doute plane également sur la capacité et la volonté réelle des nouvelles autorités à approfondir les enquêtes. D’autant que l’une des personnalités visées par le gel des comptes bancaires, Boubacar Yaguibou, député maire de Pô et membre du parti ADF/RDA qui s’était rallié a la majorité fin octobre pour permettre la modification de la Constitution, a déjà obtenu la levée de cette sanction. Le Tribunal de grande instance de Ouagadougou a notamment fait valoir que le gel a eu lieu en dehors de toute procédure judiciaire. « Pourquoi les autorités n’ont-elles pas tout simplement saisi le procureur ? » s’interroge la même source proche du dossier.
Mauvaise foi
Par ailleurs, de nombreux observateurs font part de leurs inquiétudes concernant les dossiers liés au détournement des deniers publics dans lesquels pourraient être impliqués des membres du RSP, l’ancienne garde rapprochée de Blaise dont Zida fut longtemps le numéro deux. Des soupçons se font déjà entendre. « Les autorités sont de mauvaise foi sur la question des biens et des avoirs mal acquis » estime un haut magistrat burkinabé. « Des mesures simples et rapides peuvent être prises dès maintenant. Comme par exemple demander à examiner les beaux immobiliers et les actes notariés. Il n’y a qu’une douzaine de notaires à Ouagadougou. Egalement, plusieurs documents ont été retrouvés dans la maison de François Compaoré dont des relevés de comptes, notamment à la Bank of America ou les factures de téléphone SFR d’Alizeta en France. Ce sont des pistes à exploiter dès maintenant, pourquoi attendre et s’en prendre à seulement quelques personnes ? »
Plus grave, plusieurs témoins de l’insurrection de la fin du mois d’octobre affirment avoir vu des véhicules militaires sortir du palais présidentiel de Kossyam et se diriger vers l’aéroport après la déclaration de l’état siège le jeudi 30. « Aucun document compromettant, aucun bien n’ont été retrouvés au palais. Difficile d’imaginer que le RSP qui a une caserne à la présidence et qui a pris le contrôle de la situation pendant l’état d’urgence n’a pas contribué à faire le ménage » note le haut magistrat.
L’avenir de lutte contre la corruption, tout comme celui de la traque des « biens mal acquis » des dignitaires de Blaise restent donc bien incertains. Pourtant, les affaires ne manquent pas. Parmi les plus emblématiques sous l’ancien régime, celle d’Ousmane Guiro reste ancrée dans les mémoires. Cet ex directeur général des douanes avait été placé sous mandat de dépôt en janvier 2012 après que la gendarmerie nationale a mis la main sur des cantines contenant un peu moins de 2 milliards de Francs CFA (environ 3 millions d’euros) en liquide chez l’un de ses neveux. Après quelques mois d’incarcération, Ousmane Guiro avait bénéficié d’une liberté provisoire pour raison de santé. L’instruction a été cloturée fin novembre 2012 et le dossier transmis à la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Ouagadougou, où il est toujours pendant. « Voilà un dossier qui est réglé. Tout y est. Mais rien ne sort. Trop de personnes risquent d’y laisser des plumes » affirme un magistrat burkinabè. En plus de l’argent liquide, les cartes de visites de puissants opréateurs économiques auraient été retrouvées dans les cantines. Bref, encore aujourd’hui, l’affaire dérange.
Autre chantier de taille, la réforme de la justice, trop souvent sous influence de l’éxecutif. Chaque année, la Cour des Comptes du Burkina Faso et l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat (ASCE), un organe administratif spécialisé dans le contrôle et la gestion des deniers publics, produisent des rapports détaillés faisant état d’irrégularités et d’actes de malversations financières. Le dernier rapport de 2012 recense une cinquantaine de cas.
Problème, très peu d’infractions font l’objet d’instructions susceptibles d’aboutir à des sanctions judiciaires. « Beaucoup de dossiers ont été transmis par l’ASCE à la justice mais très peu ont été saisis. Les dossiers ne font que dormir » explique Luc Marius Ibriga, ancienne figure de la société civile nommé nouveau directeur de l’ASCE fin novembre. « Il arrive que les juges se cachent derrière le manque de moyens pour ne pas instruire les dossiers. C’est pourquoi il faut renforcer la veille citoyenne après parution du rapport et faire des interpellations pour obliger la justice à se saisir des affaires » ajoute-t-il. Il cite l’exemple édifiant de Joseph Paré, ancien ambassadeur en France, épinglé par l’Asce pour avoir détourné 262 millions de francs CFA (400 000 euros) quand il était ministre des Enseignements secondaire et supérieur, entre 2006 et 2011. A l’époque, le premier ministre avait annoncé que l’affaire serait portée en justice dans les plus bref délais. »Jusqu’à présent, rien n’a été fait » regrette Ibriga.
« Il faut par ailleurs mettre l’accent sur la formation des magistrats » souligne-t-il. « La plupart d’entre eux ne sont pas formés à instruire des dossiers de criminalité finiancière souvent complexes. Il faut créer des cabinets de juges d’instruction spécialisés en matière de comptabilité et de fiscalité. »
Le rapport 2013 devait être remis dans les prochaines semaines aux nouvelles autorités de transition.
Lynx.info