Les Etats Unis anticipent l’éclatement de l’Union Européenne. Ils ont besoin d’un nouveau maître pour la nouvelle Europe qui se formera sur les débris du « rêve européen ».
L’objectif stratégique de l’alliance entre les Etats-Unis et l’Allemagne consiste à vouloir transformer cette dernière en « dictateur civilisé » de l’Europe après l’éclatement de l’Union Européenne, considère l’analyste Vitali Tretiakov.
Une certaine pourriture s’observe aujourd’hui dans notre Europe. Tout le monde le ressent. Et tout le monde se prépare, dans la mesure de ses capacités de compréhension, à ce qu’il arrive quelque chose de pas bon. Au cours des deux siècles précédents, non seulement quelque chose de pas bon est arrivé à deux reprises, mais deux guerres européennes devenues par la suite mondiales ont éclaté. J’ose espérer et même je crois que personne en Europe ne souhaite aujourd’hui une telle issue à la crise. Mais les gens se préparent bien à quelque chose, attendent et espèrent une quelconque issue.
Il est clair que le rêve sacré d’une maison européenne commune s’est effondré depuis longtemps. Non sans l’aide de ceux qui n’avaient pas besoin d’une telle maison. Aujourd’hui, cette rhétorique ne se fait même plus entendre. Mais l’Union Européenne, elle-même, est en train de craquer de tous les bords. Celle qu’on croyait être le dernier rempart inébranlable de la civilisation européenne, couverte de surcroit par le bouclier américain de l’OTAN.
Il y a encore dix ans, même pas dix, il y a cinq ans, lorsque certains observateurs externes dont moi, disaient que l’Union Européenne allait se désagréger, nous nous sommes fait traiter soit de profanes, soit de provocateurs. Reste-t-il encore un seul coin en Europe actuellement où on n’en parle pas ? Une seule tribune, y compris des tribunes officielles, d’où le sujet n’est pas traité ?
Nous pourrions décrire pendant très longtemps la situation qui s’est créée actuellement en Europe (il convient de rappeler au passage que cette dernière ne se limite pas à la seule Union Européenne bien que Bruxelles, Londres, Berlin et Paris font semblant d’ignorer ce détail). Malheureusement la description que nous en ferons sera inévitablement quelque peu inquiétante.
Qu’est-ce qui constitue le principal problème pour l’Europe aujourd’hui, aussi bien en tant que continent que civilisation ? Ce ne sont nullement des secousses de l’ordre économique et d’autres importantes conneries, mais quatre circonstances fondamentales.
Premièrement : la civilisation européenne (sous forme de l’Union européenne) devient de moins en moins européenne.
Deuxièmement : l’Union Européenne, comme je viens de le mentionner, se considère comme étant la seule Europe. Ainsi, elle continue d’ignorer le droit de la Russie (non seulement son droit à elle, mais le sien en priorité) à ne pas partager ses soit-disant valeurs européennes telles qu’elles sont imposées par Bruxelles, mais disposer de son propre avis sur l’avenir de l’Europe et du monde entier, et son droit de faire sa propre politique, extérieure comme intérieure, indépendante aussi bien de Washington que de Bruxelles.
Troisièmement : du point de vue politique, l’Union Européenne s’est transformée en vassal des USA.
Quatrièmement : ni avec les USA et encore moins à elle seule, l’Union Européenne ne représente plus un acteur qui domine le jeu politique au niveau mondial. Tandis que les USA sont en train de perdre à toute allure leur rôle d’hégémon mondial.
Les déclarations faites par Washington avec bravoure pour dire qu’il a parvenu à isoler quelqu’un ou a eu la peau d’un autre se font toujours entendre. Mais il n’y a pas de doute que les USA veillent soigneusement et quotidiennement à ce que la rage antirusse de l’Union Européenne ne s’éteigne pas. En plus, en construisant leur stratégie future, ils sont guidés non seulement par des fantasmes au sujet de leur exception, mais aussi par de réels calculs et projections.
Leur calcul principal, à mon avis, consiste dans le fait que les USA se préparent déjà à l’effondrement de l’UE et ont ainsi revu le rôle que jouera l’Allemagne en cette nouvelle « Europe désintégrée » et notamment les objectifs de l’OTAN dont le potentiel réel militaire sans les USA est pratiquement égal au potentiel militaire des forces armées ukrainiennes actuelles.
Le cas de l’Ukraine est en ce sens extrêmement édifiant. Comment, dans quel but, les européens ont mis le feu à ce pays ? Pays qui de toute manière, et c’est sous tous ses présidents élus que ce soit au premier, au second ou au chimérique troisième tour, n’a fait que tromper en permanence la Russie. Est-ce que sont les européens qui avaient besoin de Sébastopol comme base militaire maritime ? Bien sûr que non. Seuls les américains le convoitaient…
De manière générale, cette façon étrange de se comporter de l’Union Européenne aussi bien que des états qui le composent ou des médias européens ne peut être expliquée que ce soit par une folie suicidaire collective, ou par des projets ambitieux soigneusement cachés aux simples européens. Il est donc important de faire attention à l’attitude de l’Allemagne et de sa chancelière Frau Merkel. Comme on sait, l’OTAN a été fondée par les USA pour mettre les USA en Europe, la Russie (initialement l’Union Soviétique) hors de l’Europe (cela concerne notamment les rêves de l’Europe de l’Ouest et de Gorbatchev d’une maison européenne commune) et l’Allemagne sous l’Europe. L’auteur de cette formule n’a pas été clairement identifié, mais son contenu n’a jamais été mis en doute.
Les anglo-saxons ont toujours eu peur de l’Allemagne (et l’Allemagne de Hitler n’a fait que les conforter dans cette peur), ainsi après la guerre aucun renforcement de la RFA sauf économique n’a été accepté. La France s’est toujours méfiée de l’Allemagne elle-aussi.
Mais les anglo-saxons européens (la Grande Bretagne) et la France ont eu encore plus peur, depuis toujours, d’une éventuelle alliance entre l’Allemagne et la Russie. C’est pour ces deux raisons que l’OTAN était destiné à tenir l’Allemagne « sous l’Europe » et la Russie « hors de l’Europe ».
Sauf que l’histoire a suivi une autre voie. Même du temps de l’Union Soviétique, Bonn avait instauré de trop bonnes relations avec Moscou. Au goût des Américains et des Anglais. Tandis qu’après la réunification de la RDA et la RFA, survenue avec une aide de Moscou et contre le gré de Paris et de Londres, les rapports entre l’Allemagne et la Russie sont devenus trop bonnes, voire dangereuses au regard de Washington. Le chancelier Schröder a beaucoup souffert de ses bonnes relations avec la Russie. Mais Merkel qui lui a succédé, a initialement mené, elle aussi, une politique pour élever l’Allemagne à un important niveau politique grâce notamment à une alliance économique et politique avec la Russie.
Nous pouvons nous creuser la tête longtemps en essayant de deviner ce qui s’est passé avec la chancelière Merkel, mais le résultat de cette métamorphose est flagrant. Contrairement au désir de nombreux politiciens et hommes d’affaires allemands, Merkel s’est transformée en principale opposante de Poutine alors qu’avant elle faisait presque copine avec lui.
Evidemment, cette métamorphose de la chancelière se trouvant sous écoute des américains cache quelque chose de personnel. Mais en politique en dehors du bâton il faut savoir brandir aussi la carotte. Des favoris politiques du moment, genre Porochenko, se contenteront facilement des cookies en doses homéopathiques. Par contre, des poids lourds comme Merkel, qui se trouve à la tête d’un pays déjà l’hégémon de l’Europe actuelle – ne serait-ce que du point de vue financier – (en dehors de la Grande Bretagne qui de toute façon n’échappera pas aux Etats Unis), réclameront leur part de gâteau. Il ne reste plus en Europe d’autres acteurs indépendants.
C’est pour cette raison que, selon mon hypothèse, les USA et l’Allemagne dirigée par Merkel sont passés à une attaque frontale contre la Russie, aussi bien politique qu’économique, informationnelle, psychologique. Et historique…
En se servant des complexes des pays de l’Europe qui ont fait parti de la coalition hitlérienne, ainsi que des héritiers des collaborationnistes qui ont servi loyalement et de leur plein gré les nazis, il a été décidé de priver la Russie, en tant qu’ayant droit de l’URSS, de son droit historique et moral de demeurer le pays vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale. Plus que ça, le pays qui a non seulement contribué de façon décisive à la défaite de l’Allemagne nazie, mais aussi le pays qui, avec d’autres pays vainqueurs, a défini la structure du monde contemporain ainsi que de son institution clé qui est l’ONU.
Quelqu’un pourrait avoir l’impression que les marionnettes politiques comme Iatseniouk et Schetyna déballent leurs âneries au sujet de la Seconde Guerre Mondiale du simple fait de leur ignorance ou pris par la rage antirusse. Or, c’est bien plus grave que ça. Depuis toujours les bouffons avaient le droit de dire à haute voix ce qui sera repris plus tard par les rois.
Ainsi, mon hypothèse est la suivante. Les Etats Unis anticipent l’éclatement de l’Union Européenne. Ils ont besoin d’un nouveau maître pour la nouvelle Europe qui se formera sur les débris du « rêve européen ». Les Anglais ne peuvent pas endosser ce rôle, retranchés sur leur île. Les Français avec leurs caricatures et leurs « Mistral », dont personne ne sait quoi faire, non plus. Reste l’Allemagne. Maintenant il n’y a plus besoin de la retenir à l’aide de l’OTAN, il faut la lancer contre la Russie. En lui promettant quelque chose qui brouillerait la Russie avec L’Allemagne pour des décennies à venir et couvrirait Frau Merkel de lauriers non moins pompeux que ceux du chancelier réunificateur Kohl.
Le premier morceau représente l’Ukraine, dont le contrôle politique s’effectuera tout de même depuis Washington, mais le contrôle économique se fera depuis Berlin. Le deuxième ce sera la région de Kaliningrad.
C’est pour ça que Iatseniouk et d’autres voyous politiques de cette sorte se mettent à raconter que la « Russie a envahi l’Ukraine et l’Allemagne » pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Pour le moment, les Polonais en font l’écho, tant qu’on n’évoque pas le rattachement de la région de Kaliningrad. Et il est peu probable qu’ils le fassent lorsque cela arrivera car la question de l’appartenance de la Prusse-Orientale toute entière se poserait alors. En attendant, il n’est pas nécessaire de tout dire aux Polonais. Qu’ils continuent à bosser gratos avec enthousiasme. Il n’est pas interdit de se servir de la bêtise des autres, n’est-ce pas ?
Il s’ensuit que la stratégie des USA en Europe a changé de manière radicale. C’est l’Allemagne qui a pour vocation de devenir dictateur (civilisé, bien naturellement) et la principale alliée des USA après l’éclatement de l’Union Européenne. Et cet Etat Allemand qui a subi « l’invasion russe » aura comme récompense la « récupération des terres allemandes séculaires ». Tandis que la Russie devra endosser seule la responsabilité de la Deuxième Guerre Mondiale dans tous les manuels d’histoire occidentaux.
Qui a dit qu’on ne pouvait pas réécrire l’histoire ? Elle peut même être refaite. Et c’est exactement ce qui se passe sous nous yeux. Non sans certain succès. Puisque l’Europe libre et éclairée ne dit rien pendant que les USA et l’Allemagne agissent.
Qui leur résiste ? La Russie seule… Ce n’est pas étonnant que tout cela rappelle l’année 1941…
Traduction du russe de Svetlana Kissileva