Alors que les pays avancés qui ont à cœur le bonheur et le progrès de leurs peuples, font recours à la TERRE, à l’EAU ou à l’AIR pour conquérir et conserver le pouvoir, chez les Gnassingbé, c’est plutôt par l’utilisation du FEU ardent qui est toujours de mise.
Comme il nous a été enseigné, les philosophes présocratiques avaient imaginé une essence première en toute chose. THALES le premier à chercher l’élément premier, a choisi l’EAU. HERACLITE voyait dans le FEU l’élément premier à l’origine de toute matière. ANAXIMENE, lui, envisageait l’AIR comme essence de toute chose. Plus réaliste c’est EMPEDOCLE au début du Ve siècle avant notre ère, qui admit que les matériaux constituant le monde étaient composés de quatre éléments : la TERRE, l’EAU, L’AIR et le FEU. Quel usage les Gnassingbé ont-ils fait de chacun des éléments?
On constate et de toute évidence que:
la TERRE togolaise ne nourrit pas suffisamment les Togolais. En témoignent les cycles infernaux et répétitifs de famines abjectes qui secouent le pays ;
l’AIR au Togo est caractérisé par des pics de pollutions invivables et autres odeurs nauséabondes et irrespirables souvent étouffées par des gaz lacrymogènes tirés à la hussarde par une horde de la soldatesque aux ordres d’un régime illégitime aux abois;
l’EAU potable est accessible à peu de Togolais. Pire, les immenses étendues des lacs et lagunes servent bien plus à noyer les opposants et manifestants anti-régime qu’à autre chose de valorisant.
Il ne reste donc plus au régime des Gnassingbé que le FEU pour s’accrocher au pouvoir. Cinq dates, cinq évènements pour s’en convaincre.
13 Janvier 1963 : le FEU de la genèse du régime et l’émergence du paradoxe du menteur:
Il n’est un secret pour personne que le régime de Gnassingbé-Père est né à la suite du coup de FEU mortel sur le Président Sylvanus Olympio. Inutile aussi de rappeler le traumatisme causé par cet acte qui d’ailleurs aura ouvert la voie aux multiples coups d’état militaires sanglants en Afrique. Etienne Eyadéma étant le précurseur des coups d’Etat sanglants sur le continent africain, il se rend de facto responsable des quatre-vingt-quatre autres coups d’Etat militaire sur le continent Africain de janvier 1963 à janvier 2013.
Mais le plus consternant restera les mensonges qui s’en sont suivis. Jusqu’ à ce jour, le vrai auteur du coup de FEU mortel demeure un véritable mystère, tant l’histoire a été réécrite plusieurs fois.
Tout d’abord, c’est Etienne Gnassingbé Eyadéma qui revendique publiquement être l’auteur du coup de feu fatal, dans un article de Paris-Match du 26 Janvier 1963 en ces termes : « A l’aube, nous sommes allés vers le parking de l’ambassade américaine. L’homme, tout sali, était blotti sous le volant d’une Plymouth de l’ambassade garée là. On lui a dit ; nous t’avons repéré ; sors de là. Olympio a répliqué d’accord j’arrive. Où m’emmenez – vous ? Au camp militaire avons-nous répondu. Il est descendu de la voiture, a marché vers le portail de l’ambassade. Là il s’est arrêté et nous a dit qu’il ne pouvait pas aller plus loin. Je décidai. C’est un homme important et il pouvait y avoir des manifestations de foule s’il restait ici. Aussi je l’ai descendu… » . Plus tard, Eyadéma va se rétracter de ces propos. Pourquoi donc ? Nul ne le saura jamais.
Au temps fort du parti unique, une bande dessinée intitulée « Il était une fois Eyadéma » , mettait en exergue la scène de l’assassinat de Sylvanus Olympio par Etienne Gnassingbé Eyadéma lui-même. Mais, sans qu’aucune raison n’y soit avancée, l’ouvrage fut retiré plus tard du marché et de toutes les librairies togolaises. Et c’est ici que se révèle le paradoxe du menteur dans toute son étendue: Un menteur dit qu’il ment ; dit-il vrai ou faux ? Etienne Eyadéma aurait menti en revendiquant publiquement l’assassinat, de Sylvanus Olympio, puis revient dire qu’il a menti. Dit-il vrai ou faux ? Personne ne le saura.
Toute l’histoire du régime des Gnassingbé est bien résumée par ce paradoxe du menteur. Le régime ment et se dément ; jure et parjure ; dit et se dédit ; affirme et infirme à longueur de journée ! Les principales causes du mal Togolais ne résideraient-elles pas dans ce paradoxe du menteur ? Deux autres exemples qui illustrent bien cette situation déplorable.
1. Alors qu’Etienne Eyadema annonçait en 1967 au point 5 de son discours programme, qu’ « un comité de réconciliation nationale sera mis sur pied dans les heures qui suivront et aura pour tâche, dans un délai de trois mois, de préparer les institutions devant permettre des élections libres et démocratiques à l’issue desquelles l’armée s’engage à se retirer de la scène politique », il instaurera un régime autoritaire, « régnera » ad vitam aeternam sur le phosphate de Kpémé-Hahotoé, le cacao-café de la région des plateaux, le coton des régions des plateaux, centrale et savane, bref sur tout ce qui produit ou génère des ressources financières ou matérielles. Le clan Gnassingbé s’adjugera tout l’appareil de l’Etat, maintiendra sous coupe réglée toutes les institutions de la République, notamment l’armée togolaise, allant jusqu’à s’auto-octroyée une succession familiale.
2. A la suite de l’élection présidentielle frauduleuse de Juin 1998, la contestation populaire s’est généralisée au Togo. Le président Jacques Chirac ami personnel du dictateur, se rend alors au Togo pour lui porter secours. Le 29 juillet 1999, il arrache à l’opposition un accord. L’accord prévoyait l’organisation d’élections consensuelles dans le cadre d’un code électoral démocratique et neutre. Devant le président Chirac et la presse internationale, Gnassingbé Eyadéma pris l’engagement, qu’il donnait sa parole de militaire et à ce titre ne devrait passer « un jour de plus » au pouvoir dans le strict respect de la constitution alors en vigueur. Celle-ci disposait en effet à son article 59 « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats ». Et comme il avait été élu en 1993 et 1998, son engagement revenait à dire qu’il ne passerait pas « un jour de plus » au pouvoir à l’expiration de son mandat en 2003. Mensonge ! Gnassingbé Eyadéma fera modifier la constitution pour se maintenir au pouvoir jusqu’à sa mort. On comprend alors pourquoi malgré 17 accords politiques de tout genre, le Togo est encore à la recherche d’une solution de sortie de crise.
24 janvier 1974 : le FEU du mythe de l’immortalité et du sauveur providentiel
En 1974, sept années étaient passées que l’ex-sergent de l’armée devenu général est au commande du Togo. A l’instar de tous les régimes militaires, mal préparé pour l’exercice du pourvoir et la gestion efficace des affaires d’un Etat, le régime militaire tangue et vacille comme un bateau sans gouvernail. Le régime utilisera pour la deuxième fois le FEU pour se donner une nouvelle santé politique : l’accident/attentat de Sarakawa. L’image de la carcasse d’un avion fumant en dit long sur l’ampleur du FEU qui venait de s’allumer. Une aubaine pour s’attirer les sympathies d’un peuple qui avait commencé à désespérer. La suite tout le monde la connait : retour triomphal, politique de l’authenticité, haro sur l’impérialisme… De nouveaux slogans tels le « Miraculé de Sarakawa » apparaissent. Aux premières heures du lendemain de l’accident d’avion, un message enregistré passe en boucle sur les antennes de la radio nationale. Le contenu est guerrier, accusateur et volontariste. « Un coup isolé n’arrête jamais le combat. Quelque soient les circonstances et quoiqu’il m’arrive, vous continuerez la bataille que nous avons entreprise ensemble pour notre indépendance économique » , martelait-il.
De plus, de nouvelles entrées de ressources affluent dans les caisses de l’Etat suite à l’enchérissement des cours mondiaux des principales matières premières exportées par le pays : les phosphates, le café, le cacao et le coton. Cet accroissement des ressources publiques, favorisera essentiellement l’augmentation vertigineuse des dépenses militaires. Ces dépenses passent « en neuf ans de 3 millions de dollars en 1970, à 27, 8 millions en 1979, soit une multiplication par 10 […]. Les dépenses militaires ont augmentées de 1. 960. 410. 000 francs CFA en 1975 à 4. 838. 782. 223 en 1980, soit une croissance globale en cinq ans de 146,8% et une croissance annuelle de 19,8%» . Certains observateurs estiment aujourd’hui que c’est bien cette militarisation accélérée et incontrôlée du Togo qui est à l’ origine du blocage politique au Togo. Car, l’armée togolaise dont le principal mécanisme de régulation sociale et politique parait être la violence militaire, s’illustre par ses immixtions fréquentes, voire permanentes dans la vie politique, économique et sociale du Togo, s’écartant indubitablement du principe de neutralité politique des forces de défense et de sécurité et empêche toute alternance politique.
13 Février 1994 : le FEU de la rage et de la filouterie politique
L’image demeure encore vivante dans les mémoires depuis ce 13 Février 1994. En effet, Gaston EDEH, candidat du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), est passé au premier tour dans une circonscription de la préfecture de Yoto. Avant même l’entrée en fonction des députés, Gaston EDEH a été trouvé mutilé puis calciné avec deux autres militants du parti.
Ce crime survenait alors même que le CAR était en passe d’obtenir à lui seul 37 députés élus sur 81 que comptait l’Assemblée Nationale. De son côté l’UTD, devenu par la suite CPP obtenait 6 sièges. Autant dire que les deux partis de l’opposition réunis s’acheminaient vers une majorité au parlement. Ce qui signifiait presqu’une fin de règne chez les Gnassingbé trop attachés aux délices du pouvoir. L’assassinat du Député Gaston EDEH envoyait surtout un message fort : « Futurs élus, méfiez-vous ! Sinon vous serez tous brulés vifs ». A la suite de ce crime odieux, une psychose s’empare de la classe politique, permettant du coup aux tenants du pouvoir de s’organiser pour rebondir. Un autre fait viendra brouiller d’avantage les pistes : l’élection du candidat de l’UTD, Shamoko Seydou, est invalidée dans la préfecture de l’Oti. La future majorité se rétrécissait comme une peau de chagrin. Un seul basculement de plus et la majorité changeait de camp. C’est précisément ce qui arrivera. L’argent, les intimidations et les achats de conscience entrent alors en jeu. Tour à tour, les élus de l’UDT et du CAR tournent casaque et changent de « vestes », ce qui permet au régime une fois encore de sortir de la difficulté pour se refaire une majorité politique au parlement et se cramponner d’avantage au pouvoir.
29 Avril 2005 : le FEU de la punition et de l’obscurantisme
Le 29 Avril 2005, alors que Lomé la capitale togolaise est en pleine tourmente suite à l’annonce de la victoire de Faure Gnassingbé lors du scrutin présidentiel chaotique du 24 Avril, l’Institut Goethe de Lomé a été la proie d’un incendie criminel.
Ainsi, le régime des Gnassingbé venait d’inaugurer le FEU de la punition. En effet, alors que la France de Jacques Chirac se montre très accommodante envers le putschiste recyclé Faure Gnassingbé qui avait déjà tenté de s’emparer de façon anticonstitutionnelle du pouvoir à l’annonce du décès de son père, sous le prétexte fallacieux d’allégeance des FAT, l’Allemagne est résolument hostile à sa réélection frauduleuse.
En guise de punition, des personnes cagoulées sont envoyés commettre l’irréparable : mettre le FEU à un lieu de culture vieux d’une cinquante d’années. Cet acte barbare démontre à suffisance l’obscurantisme des tenants du pouvoir qui sont prêts à incendier un lieu de de culture, de savoir et de connaissance fort utile à la formation et à l’éducation pour juste conserver le pouvoir.
12 Janvier 2013 : le FEU de la punition et du bouc-émissaire
Alors que le régime est à nouveau fortement contesté depuis la création du « Collectif Sauvons le Togo » (CST) depuis bientôt, un an, l’incendie du grand marché d’Adawlato de Lomé, ne s’inscrit-il pas dans cette même logique de punition ?
Les aveux extorqués de gré ou de force permettent de justifier les interpellations à tout vent de tous ceux qui dérangent. Le ministre de la sécurité, s’appuyant sur les sbires du Service du Renseignement Intérieur (SRI), invoquant des préparations mystiques ayant permis aux gens de s’introduire de façon invisible dans l’enceinte du marché pour commettre leur forfait, essaie de décapiter l’opposition en jetant en prison des responsables des partis politiques de l’opposition (ADDI, ANC, OBUTS notamment) et espère ainsi annihiler toutes velléités de contestations. La voie serait ainsi balisée pour des élections législatives et locales à la « sauce kaki », c’est-à-dire des élections au garde-à-vous ! Une majorité confortable sera ainsi dégagée pour UNIR/UFC en vue de la modification de la constitution pour que Faure Gnassingbé s’octroie le droit de se présenter deux autres fois aux élections présidentielles après son mandat actuel qui arrive à échéance en 2015.
Dans cette hypothèse ubuesque, avant l’échéance de 2025, qui sait si un autre FEU ne sera pas allumé pour permettre à Faure Gnassingbé de revenir (comme le régime nous a souvent habitué) sur les promesses faites. De plus, comme un Gnassingbé peut toujours en caché un autre, Meyi Gnassingbé est déjà dans l’antichambre de la présidence, prêt pour prendre la succession, si besoin après un autre FEU. C’est à ce scénario machiavélique et foncièrement anti-républicain et anti-patriotique qu’il faut impérativement mettre fin aujourd’hui!
Peuple Togolais, ce n’est donc que Par ta foi, ton courage et tes sacrifices que la Nation Togolaise renaîtra, malgré le nouveau FEU qui vient une fois encore d’être allumé pour te réduire au silence.
Michel DOUTI, Sociologue et Politiste
Dakar, Sénégal, Février 2013