Le Comité Helsinki réclame une enquête indépendante sur les dérives de la CPI [ Médiapart]

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L’organisation de défense des droits de l’homme a écrit à la procureure de la Cour pénale internationale afin que soient diligentées des enquêtes « larges et transparentes » sur le fonctionnement interne de son bureau. Cette demande fait suite aux révélations de Mediapart qui a mis au jour, fin septembre 2017, une série de dérives majeures au sein de la CPI.

L’antenne norvégienne du Comité Helsinki, une influente organisation de défense des droits de l’homme, demande dans un courrier adressé le 12 mars à la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, de diligenter des enquêtes « larges et transparentes sur les violations des normes professionnelles et éthiques » commises par des membres de la Cour.

D’après l’ONG, les investigations devraient être confiées à un expert extérieur à la CPI afin de déterminer « le rôle du premier procureur », Luis Moreno Ocampo, « ainsi que celui de son chef de cabinet de l’époque, Silvia Fernández de Gurmendi [par la suite présidente de la CPI – ndlr]», dans les faits reprochés.

Le courrier du Comité Helsinki fait suite à l’enquête journalistique internationale Les Secrets de la Cour, publiée fin septembre 2017 par l’European Investigative Collaborations (EIC), sur la base de documents obtenus par Mediapart et révélant une série de dysfonctionnements majeurs au sein de la CPI (conflits d’intérêts, enquêtes biaisées, fortune offshore…), pour la plupart en lien avec son ancien procureur, Luis Moreno Ocampo.

À la suite de nos révélations, Fatou Bensouda, l’actuelle procureure, qui fut l’adjointe d’Ocampo pendant huit ans, avait saisi une instance interne à la CPI, le mécanisme de contrôle indépendant, pour enquêter sur les agissements de deux employées pointées du doigt. Il s’agit de l’ancienne porte-parole, Florence Olara, et d’une analyste du bureau du procureur, Jennifer Schense. Ce faisant, la Cour répondait a minima aux révélations de la presse, tentant de reléguer à des pratiques passées les faits dénoncés et faisant porter à deux fonctionnaires toute la responsabilité d’actes résultant pourtant des méthodes de fonctionnement de la Cour elle-même.

Comme le Comité Helsinki aujourd’hui, plusieurs voix demandent depuis des semaines une enquête indépendante, dont l’Association du barreau de la CPI, qui rassemble avocats de la défense et victimes, et l’ONG Women for Gender Justice. « À bien des égards, les révélations pourraient être considérées comme emblématiques d’une culture sous-jacente au sein de la Cour », pointait cette ONG dans un communiqué.

C’est en substance ce que soutient aussi le Comité Helsinki, qui s’appuie par ailleurs sur un article publié à la suite des révélations de Mediapart par quatre pointures de la justice internationale, dont Morten Bergsmo, ancien juriste en chef du bureau du procureur, et Bill Wiley, premier enquêteur embauché à la CPI. Évoquant « un climat de peur et d’intimidation », ils y racontaient notamment comment, en septembre 2003, Luis Moreno Ocampo et sa cheffe de cabinet, Silvia Fernández de Gurmendi, avaient tenté de faire pression sur eux pour pouvoir embaucher un diplomate, ressortissant de l’un des pays ayant permis l’élection du procureur. Bref, des remerciements pour service rendu.

Hasard du calendrier ou pas, le courrier du Comité Helsinki a été adressé à la procureure deux jours après la fin du mandat de Silvia Fernández de Gurmendi comme présidente de la CPI. Selon plusieurs sources, la diplomate argentine pourrait désormais viser la tête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) des Nations unies à Genève, dont le poste se libère en septembre. Interrogée par courriel, Silvia Fernández de Gurmendi n’a pas répondu.

Membre de la délégation argentine lors de la conférence diplomatique au cours de laquelle avait été créée la CPI en 1998, Silvia Fernández de Gurmendi était ensuite devenue cheffe de cabinet du premier procureur, Luis Moreno Ocampo, de 2003 à 2006. Selon le chercheur néo-zélandais Chris Mahony, la diplomate argentine avait été un « acteur clé » de l’élection de son compatriote argentin au sommet de la justice internationale.

En 2009, après une nouvelle parenthèse au ministère des affaires étrangères à Buenos Aires, elle est revenue à La Haye avec en poche un mandat de juge pour neuf ans. Puis, élue par ses pairs, elle a pris la tête de la CPI en 2015.

Lorsqu’en décembre 2017, soit deux mois après les révélations des Secrets de la Cour, la présidente Gurmendi s’exprime sur les dérives de la CPI devant l’Assemblée des États parties – sorte de parlement de la Cour, formé de ses 123 États membres –, elle annonce avoir dressé l’inventaire des textes existants, permettant de sanctionner les fautes des employés de la CPI et de ses élus, juges, procureurs et greffiers. Elle promet un calendrier pour combler les nombreuses lacunes. Et assure enfin que le mécanisme de contrôle indépendant est pleinement opérationnel.

Pourtant, quelques jours après avoir été saisi par la procureure, le directeur dudit mécanisme de contrôle a annoncé qu’il s’apprêtait à quitter son poste pour rejoindre l’Unicef. Il n’a toujours pas été remplacé à ce jour.

Par ailleurs, l’indépendance du mécanisme est aussi remise en question par un épisode remontant à 2016. Une plainte avait été déposée contre la présidente et la procureure. Elles ont alors ordonné au mécanisme de conduire une enquête. Et ce dernier a utilisé les services d’un employé du greffe (un organe placé sous l’autorité de la présidence), détaché le temps d’enquêter sur l’affaire…

Depuis son établissement à La Haye en juillet 2002, l’histoire de la Cour pénale internationale est émaillée de dysfonctionnements divers, de conflits d’intérêts, de petits arrangements et même parfois d’amateurisme. Que ce soit au sein des États qui la soutiennent, des ONG ou de son personnel, deux écoles s’opposent depuis ses premiers pas. Ceux, minoritaires, qui craignent que ses dérives n’entament sa crédibilité, rendant caduque sa force de dissuasion. Ils lui demandent dès lors de se réformer pour ne pas fournir d’armes à ses adversaires.

Et ceux qui pensent que pointer ses dysfonctionnements risque de l’affaiblir et de faire le jeu de ses ennemis. Et ces ennemis sont légion. Ils comptent tous ceux qui craignent demain de devoir rendre des comptes devant la CPI pour leurs crimes de guerre et leurs crimes de masse. « Nous sommes conscients des pressions externes exercées sur la Cour et du fait que des acteurs puissants sur la scène mondiale pourraient souhaiter que la Cour échoue », explique donc le Comité Helsinki dans son courrier.

« Nous savons que de nombreux amis de la Cour préfèrent des mesures discrètes, le cas échéant ; ne pas donner de munitions à des acteurs hostiles à la Cour », dit son secrétaire général, Bjørn Engesland. « Nous craignons que l’absence de confiance n’affaiblisse les futures enquêtes et poursuites de la CPI, sapant son rôle de justice pour les victimes de crimes internationaux. »

Médiapart

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