Au Mali, des djihadistes occupent le nord du pays. Que faut-il faire ? Intervenir militairement ?
– Au Mali, l’enjeu est d’éviter la constitution d’une sorte de « Sahelistan », lourdement menaçant pour les Africains et pour nous. Des terroristes, dont certains viennent de Libye, ont pris possession du nord du pays. Ce sont des intégristes prêts à mourir, qui veulent appliquer partout la charia, qui n’hésitent pas à violer, à assassiner et qui désignent la France comme leur principal ennemi. Ils disposent d’armes et d’argent liés à la drogue et aux prises d’otages. En face, les gouvernements légitimes bénéficient de peu de moyens sur les plans financier, militaire et humain. C’est donc une menace grave à la fois pour le Mali lui-même, aujourd’hui coupé en deux, et pour l’ensemble de la région. Car ces groupes sont très mobiles et ont des connections nombreuses. Ce sont de véritables « incubateurs » du terrorisme.
Face à cela, qu’avons-nous fait jusqu’ici ? A la demande de nos amis africains, nous avons joué notre rôle de facilitateur. J’ai nommé à cette fin un représentant spécial, l’ambassadeur Jean Félix-Paganon, et nous avons rencontré avec le président plusieurs dirigeants de la région. Je m’y rendrai d’ailleurs prochainement. Nous avons appuyé les Africains au Conseil de Sécurité des Nations unies et sensibilisé les membres permanents, ce qui a permis le vote, la semaine dernière, d’une résolution sous chapitre VII (1). Elle pose les bases d’un rétablissement de la légalité constitutionnelle, du retour à l’intégrité du Mali et de la lutte contre Aqmi. L’Union européenne apporte, elle aussi, son aide concernant la formation des forces de sécurité, l’action contre la famine et pour le développement.
Est-il envisageable qu’à terme nous intervenions ?
L’intervention relève des Etats de la région. Nous pourrons, si nécessaire, fournir un appui.
Mais les pays de la région, rassemblés dans la Cedeao (2), n’ont clairement pas les moyens d’agir.
Certains de ces pays possèdent des forces significatives. Ils manquent parfois d’équipement.
Et l’Algérie voisine ?
Dans quelques jours, je rencontrerai à Alger ses dirigeants pour un tour d’horizon général. Nous aborderons sans doute aussi ce sujet. Pour son malheur et dans sa chair, l’Algérie a éprouvé dans le passé les ravages du terrorisme. C’est un grand pays qui ne souhaite pas s’ingérer dans les affaires des autres mais qui comprend que l’implantation durable d’un foyer de terrorisme au cœur de l’Afrique constituerait une menace pour tous.
Ali Bongo vient d’être reçu à l’Elysée. Vous étiez allé le voir durant la campagne. Pourquoi cette visite qui a fait craindre un retour des liens incestueux entre la France et son pré carré africain ?
Je me suis rendu au Gabon, comme dans d’autres pays, afin de prononcer une conférence pour HEC ; par courtoisie, j’ai rendu visite au président : voilà tout. D’autre part, Ali Bongo, comme de nombreux chefs d’Etat africains, a rendu visite récemment au président français. J’ai participé à ces rencontres et je puis vous le confirmer : la Françafrique, c’est fini !
Nous aurons des relations fortes, sur une base d’égalité et de transparence, avec toute l’Afrique. C’est un continent du futur. A terme, 700 millions d’Africains parleront le français. Ce sont nos voisins, nos amis, nos partenaires. Autant de raisons de cultiver des relations étroites avec ce continent magnifique. Nous sommes loin, très loin du discours de Dakar de M. Sarkozy, arrogant, indécent et, en fin de compte, attristant.
Diriez-vous de M. Bongo qu’il a été élu démocratiquement ?
Si votre question est de savoir si nous serons attentifs aux droits de l’homme et au respect de la démocratie, la réponse est clairement oui.
Sur la Françafrique, comment marquer la rupture ? Tous les gouvernements précédents, socialistes compris, ont annoncé sa mort et les vieilles habitudes sont revenues.
En chassant définitivement ces vieilles habitudes. Vous aurez noté qu’il n’y a plus de ministre de la Coopération, plus d’officine gouvernementale ou paragouvernementale spécialisée. Les relations avec les pays d’Afrique sont maintenant traitées de manière normale. J’aurai des relations de proximité avec les gouvernements, mais aussi avec les sociétés civiles et les oppositions. Pascal Canfin, le ministre délégué chargé du Développement, m’assistera dans l’approche de ces questions, en Afrique comme dans les autres continents.
Propos recueillis par Christophe Boltanski et Vincent Jauvert