Mali. la France, médaille d’argent de la guerre des civilisations

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Laissons aux Etats-Unis, envahisseurs de l’Afghanistan et de l’Irak, poussant leurs bombardiers, jusqu’au Yémen et au Pakistan, la médaille d’or. Mais la France de Hollande, en attaquant, à elle seule, le flanc Ouest du monde arabo-musulman, au Mali, prend bien la deuxième place, dans la lutte que les Occidentaux semblent vouloir mener contre l’Islam, en lui donnant de plus en plus des allures de croisade.

Si l’on essaie de se dégager de la propagande, en France, des meédias tous pro-guerre, on se rend compte, facilement, que l’actuelle attaque menée par la France, au Mali, n’est rien moins qu’ un crime politique.

1-Un sabordage de pourparlers

Comme Villepin l’a rappellé dans un article très critique envers l’intervention, des négociations entre le gouvernement malien, le MNLA et Ansar Dine existaient bien au Burkina-Faso. Certes la prise de Konna par les rebelles avait mis ces négociations dans une passe difficile. Mais des négociations politiques qui portent sur l’avenir de tout un pays en état de guerre civile ne peuvent que connaître des moments de blocage.

Si la prise de pouvoir sur l’ensemble du pays par les combattants du Nord pouvait devenir une perspective plausible, si une action venue de l’extérieur pouvait se comprendre en vue d’empêcher la situation de dégénérer, cette action ne devait pas être celle d’une guerre ouverte mais, par exemple, l’envoi de renforts à Bamako pour dissuader les rebelles de progresser et pour figer les lignes de front, condition qui donnait seule une chance à de futures avancées des négociations.

2-Un raid haineux, aveugle et ravageur.

Au lieu de cela, après la prise de Konna, on a eu un véritable tocsin sonné par les autorités françaises. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s’est répandu en insultes contre les combattants du Nord les traitant de bandits, de meurtriers, de terroristes. Hollande a parlé de destruction confondant dans un même appel à l’anéantissement hommes et matériel de guerre.

Les Rafales ont décollé chargés de bombes. De Kona à Kidal n’ont pas cessé pendant trois semaines les pilonnages destructeurs et meurtriers. La moindre camionnette en mouvement devenait un objectif à pulvériser. « Nous en avons tué plusieurs centaines » ont clamé Fabius et Le Drian parlant indifféremment de tous les combattants du Nord comme de terroristes et les ravalant au rang d’animaux nuisibles à détruire.

Cette volonté meurtrière jointe aux effets ravageurs de bombes dans des lieux plats et désertiques qui n’offrent aucun abri peuvent faire craindre un bilan qui dépassera sans doute le millier de tués. Combien de blessés et sans doute atrocement et sans doute très mal soignés sinon pas du tout faut-il rajouter à ce bilan ? Et quelle façon d’unir dans le sang comme on a confondu dans le mépris des combattants dont le Monde Diplomatique soulignait l’hétérogénéité : « Un spectre adverse multifracturé entre anciens et nouveaux combattants réguliers, trafiquants opportunistes, déserteurs de l’armée malienne, néodjihadistes radicalisés par le wahhabisme du Golfe et indépendantistes laïques »

3-Une ruine des espoirs du peuple touareg.

Ces indépendantistes sont essentiellement des Kountas, des Maures et des Touaregs, ceux que les Noirs du sud appellent les « peaux pâles » et qui sont les premiers habitants de ces deux tiers Nord du Mali au-desus du Niger : l’Azawad. Ce n’est pas depuis hier mais pratiquement depuis la décolonisation de 1960 qu’ils se battent pour l’indépendance de ce qui est bel et bien leur territoire. Sous nombre des précédents gouvernements de Bamako, les quelque un million cinq cent mille « peaux pâles » ont fait l’objet de véritables persécutions.

Et le MNLA, mouvement National pour la Libération de l’Azawad, en liaison sans doute avec des groupes frères du Niger, d’Algérie et de Mauritanie se bat pour que le peuple touareg acquiert en plus d’une autonomie un véritable territoire indépendant. Certes toute guerre d’indépendance ne va pas sans excès. L’idéologie islamique radicale s’est emparée plus ou moins fortement des Touaregs d’Ansar Dine et elle était déjà celle de leurs alliés d’AQMI ou du MUJAO. Mais s’il existe de fortes nuances entre le radicalisme des uns et des autres, si les objectifs d’AQMI divergent dans le lointain avec ceux d’Aansar Dine, les bombes françaises ignorent autant celles-ci que ceux-là. Et les débris et les cadavres surtout semés dans le désert de l’Azawad contribuent à ruiner l’espoir de tout un peuple.

4-Une semence de haine raciale, au Mali.

Les politiciens ont parfois l’art de faire de beaux discours avec des monstruosités atroces. La comparaison de Hollande assimilant le raid meurtrier des troupes françaises au Nord Mali avec l’aide qu’ont apportée les soldats maliens aux troupes de la France libre pour libérer le pays de l’envahisseur nazi est une de ces atrocités-là. Dans les FFL de Leclerc ou De Lattre, il y avait bien sûr des noirs du sud Mali mais aussi des Touaregs du nord. Or le parallélisme dressé par Hollande fait au moins envisager que les Touaregs d’aujourd’hui soient semblables aux nazis d’hier.

Dans un pays où les couleurs de peau sont aussi contrastées que les conflits idéologiques sont puissants, qui ne voit à quelles dérives le parallèle conduit ? Amnesty vient de dénoncer dans son dernier rapport les abus qu’on avait déjà signalés : des hommes soupçonnés à cause de leurs vêtements et de leur visage d’être des djihadistes, molestés parfois, exécutés même. Les « peaux pâles » persécutés depuis plus de cinquante ans dans le Mali ne vont-ils pas voir leur situation devenir invivable même « protégés » par les soldats de Bamako ou les quatre mille tchadiens noirs débarqués en renfort ?

5-Des dommages graves à craindre, pour les pays musulmans limitrophes.

Que des familles touareg en nombre fuient vers le Niger ou la Mauritanie pour trouver un asile dans les camps de réfugiés, que les combattants cherchent à gagner ces pays comme à trouver un refuge en Algérie ou en Lybie, ceci est la conséquence inéluctable de ce qui précède. Et cela ne peut qu’entraîner de lourdes charges, voire des menaces de déstabilisation sur tous les pays musulmans voisins. Un article du HuffingtonPost du 31 janvier pose nettement la question : « la guerre du Mali va-t-elle déstabiliser tout le Sahel ? »

Au Niger, Matthieu Pellerin gérant du CISCA (Centre d’intelligence Stratégique sur le Continent Africain) parle des ex-rebelles Touareg « très attentifs à l’évolution de la situation au Mali et qui voient d’un mauvais oeil la remontée de l’armée malienne et le déploiement de la Cédéao ». Et il explique qu’il existe « des continuités familiales, tribales et idéologiques entre le Nord du Mali et le Sud du Niger ».

En Mauritanie le régime du président Mohamed Ould Abdel Aziz apparaît peu fragile mais les mises en garde de l’opposition comme des islamistes réunis au sein du parti Tawassoul pourraient être plus pressantes. Il faut aussi penser qu’une des « katibas » (groupe de combattants) d’AQMI compte de nombreux mauritaniens.

La Lybie est doublement sensible à l’évolution de la situation au Mali. D’une part parce que Khadafi avait fait appel pour sa défense à un régiment de Touaregs qui sont retournés au Mali après sa chute. D’autre part parce que des combattants d’AQMI au Mali sont venus aider les rebelle lybiens. Maintenant qu’un pouvoir à large composante islamiste s’est installé à Tripoli, que ceux qui ont combattu pour l’avénement de ce pouvoir ont souvent été les frères d’armes des islamistes du Nord Mali, la Lybie qui condamne l’intervention même si elle a des dirigeants redevables à la guerre de Sarkozy ne peut qu’évoluer vers une hostilité de plus en plus affirmée contre la guerre de Hollande.

C’est aussi certainement le cas de l’Algérie qui a été la première victime indirecte de l’intervention française avec la prise d’otages de Tiguentourine. Elle pourrait très bien envoyer à Hollande la facture pour le bain de sang forcé à la fin d’une confrontation avec l’activisme islamique qu’elle semblait ne plus devoir connaître. Jusqu’alors l’Algérie a toujours prôné la voie de la négociation politique et de la diplomatie pour le règlement de la crise malienne.

L’idée qu’elle eût pu soutenir au départ l’intervention française au point de laisser survoler son sol par les Rafale pourrait être due à une manoeuvre machiavélique de Fabius comme l’explique Jeune Afrique le 21 janvier. Selon la revue, les quatre avions Rafale qui ont bombardé les alentours de Gao le 13 janvier 2013 sont en fait passés par le Maroc et non par l’Algérie. Et la déclaration de Fabius le même jour que ces avions auraient survolé l’Algérie avec l’aval des autorités algériennes serait donc un pur mensonge. Placé par Fabius dans une position des plus embarrassantes, le gouvernement algérien n’a pas pu ou pas osé démentir et s’est trouvé malgré lui engagé dans le soutien à une guerre qui ne peut que lui nuire et qui est condamnée par toute son opposition.

6-Une union sacrée contre la France ?

Il est vrai qu’il n’y a pas encore dans l’ensemble des pays africains du Nord et dans l’ensemble des pays musulmans moyen-orientaux une hostilité affichée contre la France. Mais tout se passe comme si ce qui est bien une attaque violente contre le peuple Touareg avait suscité un effet de crainte diffuse et un besoin pour les pays liés à l’Islam de resserrer les rangs. C’est du moins ainsi que j’interprète deux signes.

Le premier est le report de la visite que Morsi devait faire à Hollande et la façon dont il a accueilli en l’embrassant Amedhinejad au Caire à sa descente d’avion. Le second est la volonté très nouvelle de la part de l’opposition syrienne, jusque là très liée à la France, de rechercher un accord avec des représentants d’Assad.

Le déchirement entre les sunites et les chiites qui ruine tous les efforts d’unité du monde arabo-musulman serait-il mis un temps entre parenthèses ? Cette nouvelle attaque lancée sur un pays musulman par les occidentaux après l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan, le Yémen, la Lybie serait-elle la goutte qui fait déborder le vase ? Le même proverbe à l’usage des Anglais évoque : »la paille de trop qui fait s’écrouler le chameau ». Celui de Hollande, en l’occurrence.

Clément Dousset

 

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