La réconciliation nationale, qu’est ce que c’est ? Cette question qui s’apparente à un devoir de dissertation pourrait être posée à des élèves à un examen. Sauf qu’ici, elle s’adresse à nous tous, à tous les ivoiriens, dans une Côte d’Ivoire qui continue d’en voir de toutes les couleurs. Des ivoiriens, il y en a certains au pouvoir et d’autres dans l’opposition. Il y en a même qui ne sont nulle part. Soit.
Selon qu’on est au pouvoir ou dans l’opposition, la question est diversement interprétée. Pour le régime d’Alassane Ouattara, la réconciliation, c’est lorsque l’opposition (significative) cessera d’être arrogante, arrêtera son mépris à l’égard des ivoiriens, en refusant « sa main tendue », donc d’aller à la réconciliation. Selon les caciques du pouvoir, l’opposition doit reconnaitre ses torts, avouer ses fautes, demander pardon et finalement venir s’agenouiller devant le « brave-tchè », lui reconnaissant sa haute légitimité de président de la république. C’est à ce prix-là seulement qu’elle sera « à moitié pardonnée » et que la réconciliation pourra être enfin scellée.
Pour l’opposition (significative) quant à elle, pas question d’aller à la réconciliation tant que certaines difficultés ne sont pas aplanies. Elle réclame entre autres : la libération des prisonniers politiques et militaires, le dégel des avoirs, la fin de la poursuite de ses cadres, le retour des exilés, la fin des exactions contre ses partisans.., et la liste n’en finit pas. Un document s’y rapportant à même été remis au ‘’grand-manitou’’. Aux dernières nouvelles, les responsables de l’opposition, apparemment très en colère, auraient fait faux bond aux ouattaristes qui les attendaient au « dialogue républicain ». Furieux, la réplique des hommes de Dramane Ouattara ne se fait pas attendre. L’attitude de l’opposition est immédiatement qualifiée de « sorcellerie ». Ne manquant pas au passage de jurer de tout faire pour « obliger » ces opposants trop têtus à aller à la réconciliation.Et comme c’est le cas depuis le debut, c’est à des prises de position radicalisées que nous assistons. Chaque partie (opposition et pouvoir), se retranchant derrière ses arguments.
Sans vouloir encourager l’un ou l’autre camp dans son attitude, permettons-nous de soumettre, à notre tour, le lancinant problème de la réconciliation à quelques interrogations qui, peut-être, en éclaireront certains aspects.
Une parole de sagesse dit ceci : « Deux hommes marchent-ils ensemble sans en être convenus ? ». En d’autres termes, les ivoiriens peuvent-ils faire table rase du passé, sans avoir su la vérité sur ce qui les divise? Sans avoir tiré les leçons de leurs récurrents conflits, pour finalement se décider à aller de l’avant ?
Les intentions sont certes louables : dialogue vérité et réconciliation (CDVR) de Konan Banny et les idées bonnes : dialogue républicain entre l’opposition et le gouvernement, d’Ahoussou Jeannot. Mais nous sommes toujours au point initial de la crise. A défaut de n’avoir pas bougé d’un seul iota, la crise ivoirienne, s’est au contraire empirée depuis l’avènement du nouveau régime, piloté par monsieur Ouattara.
Alors, une autre question : Peut-on construire une maison solide si les fondations ne sont pas creusées en profondeur suffisante ? Peut-on régler un problème tant que des malentendus demeurent ?
En voici encore une autre : Exiger de l’autre qu’il demande pardon ou qu’il présente ses excuses dans un conflit qui nous oppose, n’est-ce pas, se mettre dans la position de celui qui a forcément raison ? N’est-ce pas se mettre dans la peau de celui qui détient la vérité, de celui du côté de qui se trouve le bien ? Détenir le pouvoir signifie t-il qu’on est de facto exempte de tout péché et que les autres sont des démons coupables de tous les maux ?
Pourtant, c’est ce qui se dessine dans ce dialogue de sourds. Certes, l’opposition n’est pas exempte de tout reproche, mais « la loi du plus fort », marquera à jamais les esprits des ivoiriens. Comment monsieur Ouattara, aidé par l’Onuci et la France, usant de leur puissance de feu, ont renversé un pouvoir légalement établi en Côte d’Ivoire ; comment monsieur Ouattara et son armée de rebelles continuent de terroriser et de massacrer tous les ivoiriens qui ne sont pas de leur bord ; comment ses fidèles « adorateurs » continuent de menacer et d’instaurer un Etat de non-droit dans le pays en lieu et place du jeu politique et démocratique ; comment les libertés collectives et individuelles sont confisquées et les moindres manifestations sont réprimées dans le sang ; comment l’armée de dozos et de voyous de Ouattara continuent d’angoisser les ivoiriens par leurs agissements ; comment à travers sa politique sauvage de « rattrapage ethnique », il continue d’imposer les ressortissants de sa région dans l’administration ; comment enfin, un individu sur qui pèse de lourds soupçons depuis son irruption sur la scène politique ivoirienne, à comploté années des années durant pour « rendre ce pays ingouvernable » et a fini par s’asseoir dans le fauteuil présidentiel ivoirien, alors que le sang des milliers des fils et filles de ce pays continuait de couler… Voilà ce qui marque les esprits. Voilà ce que retiennent les ivoiriens. Voilà ce qui constitue aujourd’hui autant d’entraves à cette réconciliation à laquelle on veut « obliger » certains d’aller.
Dans cette situation plus qu’intenable et inacceptable, qu’est ce que finalement la réconciliation, sinon « la justice du plus fort »? C’est donc décidément un cirque où les plus forts trainent les plus faibles à l’autel de la réconciliation en leur demandant de fermer les yeux sur ce qui s’est passé et de tout accepter sans broncher. La question que nous posions tantôt pourrait ainsi être reformulée : « Un homme fort oblige t-il, un autre plus faible, à marcher avec lui, sans que ce dernier n’ait son mot à dire ? ». Vers quelle bonne destination peuvent-ils aboutir étant donné que les rapports de forces sont sujets à des changements brusques ? Seul demain nous situera.
Marc MIcael