La polygamie : Pourquoi pas?

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La polygamie opprime la femme, entend-on dire partout, et elle est contraire à l’ordre public. En quoi la polygamie serait-elle par essence source de délinquance?
 

Pourquoi est-il devenu aujourd’hui impossible de prononcer le mot polygamie sans qu’aussitôt le débat s’enflamme? La polygamie serait à éradiquer, comme un fléau, si l’on écoute certains politiques. En 2010, Brice Hortefeux avait proposé de faire de « la polygamie de fait » un délit pour les personnes naturalisées, puni de la déchéance de la nationalité, installant une nationalité française à deux niveaux, puisque les Français d’origine qui la pratiquent parfois aussi n’auraient pas été concernés par ce « crime ». La proposition fut abandonnée, on en fut quitte pour le ridicule.

Pourquoi donc cet acharnement contre la polygamie? Parce qu’il n’y a plus aucune once de réflexion censée sur la place publique concernant ce sujet. Ce ne sont qu’amalgames et a priori, ressassements et attaques aveugles. C’est à qui s’indignera le plus vite et le plus fort. La polygamie serait la mère de tous les vices, et la monogamie le garant de l’ordre moral et le fondement de notre société… C’est un fantasme qu’il est temps de dénoncer.

Essayons d’établir un peu de clarté sur la question en précisant d’abord ce que signifie « polygamie ». Poly = plusieurs + gamie = mariage. Marié plusieurs fois. C’est tout. Le mot ne veut dire que cela. Concevons que dans notre société où un mariage sur deux se termine par un divorce, et qu’il est souvent suivi d’un remariage, une grande partie de nos concitoyens sont déjà polygames. Ah oui, ferez-vous remarquer, mais ils ne sont pas mariés plusieurs fois en même temps! Absolument. Mais pourquoi ne le seraient-ils pas? Qu’est-ce qui ferait dommage ou offense? A partir du moment où toutes les personnes sont consentantes, trop d’amour nuirait-il?

Le divorce est un droit, conquis lors de la Révolution française, mais il est aussi, ce qui est complètement abusif, une obligation. Tu ne te remarieras pas sans avoir divorcé de ta précédente épouse ou de ton précédent époux. Et pourquoi cette limitation imposée dans notre vie amoureuse et dans notre vie de famille? Il se trouve qu’il existe des hommes et des femmes pour lesquels, aimer une nouvelle personne, ne signifie pas obligatoirement qu’elles n’aiment plus la précédente. Pourquoi la société oblige-t-elle à rompre le lien? Pourquoi n’aurions-nous pas le choix, de divorcer ou de ne pas divorcer pour se remarier? Quel argument définitif pour imposer le seul modèle monogamique?

La polygamie opprime la femme, entend-on dire partout, et elle est contraire à l’ordre public. En quoi la polygamie serait-elle par essence source de délinquance? Dans la monogamie, tout irait-il donc très bien, madame la marquise? Aucun délinquant dans les foyers monogamiques? Aucun appel de femmes mariées en détresse dans le cadre de la monogamie à S.O.S femmes battues? En France, une femme meurt tous les 2 jours et demi (estimation basse) du fait de violences conjugales, et ce dans le cadre de la monogamie…

Ce qui pose problème, ce n’est pas la modalité matrimoniale en elle-même, mais l’inégalité entre les hommes et les femmes, l’oppression de la femme, considérée comme une propriété, comme un bien, comme une chose, scandale que la polygamie rend encore plus manifeste, plus criant, plus insupportable. Ce qui est à combattre, c’est le mariage forcé, sous quelque forme qu’il soit. Mais on confond tout, et on jette le bébé avec l’eau du bain.

Or donc, pourquoi ne pas revendiquer une polygamie égalitaire plutôt que de vouloir à tout prix « faire la peau » à la polygamie? Pourquoi ne pas réfléchir à des conditions de logement et de vie adéquates pour les personnes qui souhaitent s’épanouir dans ce mode de vie? Le vrai combat de libération de la femme mariée sous le régime de la polygamie (en réalité: polygynie) ne consisterait-il pas à revendiquer le droit à la polyandrie? Pour qu’une femme puisse se marier également avec plus d’un homme.

La polyandrie? Mais c’est contre nature! Pas du tout, là encore: fantasme. Les études scientifiques sérieuses, comme celle de Pascal Picq et Philippe Brenot, ou encore celle de Frank Cézilly, montrent que cet argument n’est qu’un cliché éculé, et que cela ne correspond à aucune réalité, si ce n’est à celle d’un machisme encore trop répandu, qui verrouille non seulement les esprits mais aussi hélas, grandement les cœurs.

Autre argument évoqué: la monogamie serait liée à la religion chrétienne. Ce qui est contrariant, c’est que les premiers Chrétiens étaient polygames. Et que la polygamie n’est nulle part interdite dans la Bible. Dans le cadre du catholicisme, le divorce est mille fois plus problématique que la polygamie! Il a d’ailleurs paru au XIXe siècle tout aussi scandaleux et immoral que peut paraître à certains aujourd’hui la polygamie. Et pourtant, qui s’effarouche aujourd’hui du divorce? La morale n’est pas donnée une fois pour toute et partout. Elle est une vision qui colore les situations, positivement ou négativement à un moment donné, elle n’est ni fixe ni universelle. Il fut un temps où il était, en France, hérétique de penser qu’un mariage pût être d’amour!

L’argument d’une dispersion patrimoniale est également parfois avancé. C’est que nous ne sommes pas, malgré nos beaux discours, dans un état d’esprit de partage. Ce qui est dramatique, c’est que nous avons tendance à penser l’amour de la même façon. On ne pourrait aimer qu’une personne à la fois, car sinon chacun en aurait moins… Mais l’amour n’est pas division, il est multiplication! Simplement, nous sommes un peu handicapés de ce côté-là, nous entretenons la paresse du cœur, et vivons dans la peur de l’autre, dans la peur de perdre, crispés et intolérants.

Oh, mais ce doit être compliqué la polygamie…! Oui, peut-être, mais est-ce qu’on peut interdire quelque chose sous prétexte que c’est compliqué? Beaucoup de situations sont compliquées, toutes sortes de questions se posent en permanence à l’homme, bref, vivre est un peu compliqué. Mais quelle formidable aventure, et qui ne nous arrivera qu’une fois (à mon avis)!

En matière de vivre ensemble, il y a encore beaucoup à apprendre, ayons l’humilité de le reconnaître. Brisons le cercle vicieux obligé de l’isolement et de l’exclusion. Et si une « nouvelle polygamie » était un très bon moyen de retisser du lien social au sein de notre société anémiée, déprimée, et privée de l’ampleur de l’amour? Il ne s’agit pas de vivre tous ensemble, dans un même lieu, mais, pour reprendre le terme employé par Vincent Cespedes, de « consteller » nos vies. Les familles recomposées ne seraient-elles pas les prémices de familles composées?

La monogamie n’a pas le monopole du cœur. Ni le mariage non plus! Fort heureusement, l’amour est plus vaste et plus fort que toutes les constructions sociales! Il ne s’agit donc pas ici de faire une apologie du mariage, mais puisque ce lien -qui symbolise un engagement (notamment de fidélité, et non d’exclusivité, ce qui correspond à deux notions bien distinctes)- existe, il est sain de l’interroger, et de croire possibles des amours réellement « pour la vie ».

Catherine Ternaux est écrivain, elle est l’auteure de nombreux recueils de nouvelles, livres de jeunesse et de deux essais, dont « La polygamie : pourquoi pas ? » paru chez Grasset en 2012
 

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