La Lettre ouverte d’Agbeyomé Kodjo à Faure Gnassingbé

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Lomé, le 15 Juin 2011

A LA PLUS HAUTE ATTENTION DE
SON EXCELLENCE MONSIEUR LE PRESIDENT
DE LA REPUBLIQUE TOGOLAISE

Objet : LETTRE OUVERTE SUR LA CRISE INSTITUTIONELLE, POLITIQUE, ECONOMIQUE ET SOCIALE  AU TOGO

Monsieur le Président de la République,

Les dissonances ayant émaillé la célébration du 27 avril 2011 au sein de la coalition au pouvoir, de même que la polémique suivie de retrait par le Gouvernement des bustes des anciens chefs d’Etat dont celui du père de l’indépendance, Sylvanus Olympio, à la place de l’indépendance à Lomé ont démontré à suffisance que le Pouvoir RPT/AGO est une imposture de plus, et que le Togo a définitivement perdu le sens des valeurs qui fondent la République.
Cette absence de consensus sur la symbolique républicaine au sein de la coalition au pouvoir a révélé davantage la gravité de l’impasse politique que ne veut l’admettre votre régime dont les velléités de gouvernance depuis plus de six ans tardent désespérément à ramener la confiance et jeter les véritables bases d’une société démocratique et de prospérité partagée sur la Terre de nos Aïeux.

Sur le plan social la désespérance n’a de cesse de s’accentuer avec la cherté de la vie, le ras le bol massif des étudiants et des professionnels de la santé alors même que votre Gouvernement a promis en fin d’année 2010 des jours meilleurs aux togolais au motif que notre pays a atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE.

Le climat social est très tendu. Tous les secteurs d’activités expriment leurs exaspérations comme en témoignent les grèves à répétition dans les secteurs de la santé et les mouvements de mécontentement des étudiants déboussolés par la mise en œuvre quelque peu hasardeuse du système LMD et la précarité de leurs conditions de vie et d’études. A notre grand étonnement, pour toute réponse à ces signaux, vous avez choisi la répression aveugle de l’élite de demain de la Nation et l’autisme face aux cris de détresse du personnel soignant qui peinent à accomplir convenablement sa mission faute de moyens et de motivation.

Tout ce tableau fort affligeant et préoccupant qui fait du Togo « l’orphelinat de l’humanité » m’a amené il y a plus d’un mois à prendre volontairement du recul pour une période de méditation loin de toute agitation politique, afin de mieux réfléchir à la sortie de crise de notre pays.
Ce temps de recul et de réflexion m’a de nouveau amené à la conclusion que les difficultés que rencontre quotidiennement notre peuple n’ont rien de fatalité.

J’ai relevé que s’il y avait une forte vision de rupture avec les habitudes du passé au sein de toute la classe politique, de la société civile et de la diaspora, pour une véritable solidarité nationale, nous pourrions ensemble ouvrir le chemin du retour de la confiance en vue de l’ancrage de la démocratie et de l’Etat de droit pour une société de prospérité partagée au Togo.
Il est établi, ainsi que l’attestent des observateurs les plus avisés de l’histoire de notre jeune nation que notre pays dispose suffisamment de ressources humaines de qualité et des potentialités économiques conséquentes pour prendre en main son destin.
Ainsi, faire de notre pays « l’or de l’humanité » est un rêve accessible comme le prédirent les pères fondateurs de notre République.

Malheureusement la triple crise éthique, identitaire et managériale à laquelle est gravement confronté le Togo en a fait aujourd’hui « l’orphelinat de l’humanité » sous votre gouvernance engluée dans le mépris de toutes les valeurs cardinales de la vie qui fondent le vivre ensemble.
Deux raisons expliquent à mon sens votre responsabilité première dans cette tragédie nationale sans précédent : la première est consubstantielle à votre filiation génétique source de votre héritage politique, car vous êtes usé par procuration, les togolais attendaient un homme nouveau avec de nouvelles méthodes de gouvernance.

La seconde raison est la violence d’Etat doublée de coups de force politico-juridiques et d’autisme politique sévère qui marque votre deuxième mandat issu du sacre de la contre vérité des urnes.
La fracture sociale s’est aggravée avec un mécontentement généralisé à cause de votre gouvernance politique et sociale dénuée de vision et du souci de bien être des togolaises et togolais.

La misère s’est accentuée, peu de nos compatriotes trouvent les moyens de s’offrir un repas quotidien, l’injustice s’est aggravée, la corruption endémique à tous les étages de l’administration, les scandales financiers sont légion, et le déni de droit une banalité.

Aucune rupture majeure dans le sens de la consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance n’a vu le jour nonobstant le tintamarre de l’accord RPT-UFC du 27 mai 2010, qualifié d’historique ou de la paix des braves.

La justice, le dernier rempart qui assure la cohésion sociale, est instrumentalisée par la Nomenklatura pour régler des comptes à des adversaires politiques, ou à des fins lucratives. Les contrepouvoirs sont étouffés s’ils ne sont pas corrompus.
L’intérêt général dont l’Etat est garant est passé à la trappe des appétences pathologiques et du goût de lucre des chevaliers blancs qui peuplent le nouveau régime.
Le sort des consultations électorales est scellé d’avance, marquant ainsi votre fidélité et votre attachement à des méthodes staliniennes désuètes. Le respect de la vérité des urnes semble un principe politique et éthique difficile à observer davantage sous les tropiques, et particulièrement au Togo. 
La Constitution de la République n’a de cesse d’être bafouée depuis le 05 février 2005, et les libertés fondamentales (libertés de presse et d’expression) subtilement remises en cause sous le couvert d’une fausse ouverture politique sous votre règne.
Le dialogue politique que nous avons réclamé depuis le mois de mai 2010 a semblé trouver auprès de vous un écho favorable en décembre 2010 nonobstant votre jeu sémantique de dialogue inclusif. Nous nous en sommes félicités, mais sans compter votre duplicité caractéristique et votre mépris de la souffrance du peuple togolais.
Après deux consultations avec des formations politiques de l’opposition, vous avez abandonné l’engagement que vous avez pris devant les togolais, dans votre discours de fin d’année à la Nation, accréditant la thèse largement répandue que vous n’êtes pas un homme de parole.
Et pourtant le dialogue aurait pu servir de cadre politique pour aborder les sujets de crispation des togolais et définir un  calendrier de mise en œuvre des points de l’Accord Politique Global signé en aout 2006, et restés en suspens jusqu’à ce jour.

Vous vous êtes pourtant engagé devant la Nation à observer à la lettre ce nième Accord pour préserver l’avenir de la Nation. L’épreuve du temps a mis à nu votre sincérité !

Et depuis bientôt cinq ans les reformes essentielles pourtant actées dans ce document n’ont jamais vu le jour. Mieux de façon unilatérale, sans aucune consultation préalable avec les partenaires politiques et la société civile, vous vous êtes engagé dans un processus de révision de la Constitution dans ses articles 13, 21,116,117,et 125 qui affirment la consécration de la sacralisation de la personne humaine, de son intégrité physique, de sa liberté et de sa vie, et l’indépendance de la Justice.

Par ailleurs les articles visés qui disposent que nul ne peut être soumis à la torture, aux traitements cruels et dégradants ainsi que l’obligation faite aux agents des forces de l’ordre et de sécurité de se délier du devoir d’obéissance de la hiérarchie lorsque l’ordre reçu porte atteinte grave au respect des droits de l’homme et des libertés publiques, feront l’objet de modification peut être pour légaliser les pratiques et forfaitures dans les lesquelles votre régime s’est toujours illustré.
Enfin ce tripatouillage en vue vise à mettre définitivement fin à l’indépendance du système judiciaire par l’introduction des dispositions relatives au Conseil Supérieur de la Magistrature mettant en cause le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs dans une République.
Selon des sources proches de l’Assemblée Nationale, les modifications prévues confieraient  au Chef de l’Etat la Présidence de cette institution, ce qui constituerait une entrave grave au libre exercice de la justice dans notre pays.

Tout porte à croire que seuls comptent pour votre pouvoir le déni de droit et le mépris de la dignité de la personne humaine !

Cette tentative de révision constitutionnelle dans le contexte politique actuel est le révélateur de plus de votre inaptitude à assurer une gouvernance dans l’intérêt de toutes les filles et de tous les fils du Togo tout entier. Que peut cacher cette tentative de fragiliser l’habeas corpus, sinon protéger des individus  qui prennent des libertés d’infliger des traitements atroces à des prévenus protégés par la présomption d’innocence.

Monsieur le Président de la République,

Le monde a changé, et vous ne pouvez pas disposer comme bon vous semble de la constitution togolaise qui est un patrimoine commun dont vous devez être la vigilante sentinelle. Nonobstant vos précédents parjures, vous avez prêté serment et juré fidélité à la constitution ! Cette velléité à modifier la constitution est un parjure de plus, qui risque d’être celui de trop à ce tournant majeur de notre marche tumultueuse vers la démocratie, l’Etat de droit et la prospérité partagée. –
Le Bureau Politique d’OBUTS dont j’assume la présidence attire donc votre attention sur la gravité du projet en cours, et vous exhorte vivement à mettre un terme à cette démarche suicidaire dont nul ne peut prédire les conséquences à venir.

Le contexte politique actuel doit faire privilégier un véritable dialogue qui seul peut décrisper la tension sociale et ramener la confiance. Ce n’est qu’à cette condition que le Togo pourra retrouver le chemin de la paix et de la cohésion sociale nécessaires à une véritable relance de notre économie.

Je vous invite à prendre pour une fois la mesure de la désespérance de la population afin de sortir le Togo de son état d’ « orphelinat de l’humanité » et l’inscrire dans la dynamique d’ « or de l’humanité » de nos pères fondateurs.

Assuré de votre compréhension, je vous prie, Monsieur le Président de la République, de recevoir l’expression de mes meilleurs sentiments.

Agbéyomé KODJO
Président National OBUTS
Ancien Premier Ministre
Ancien Président de l’Assemblée Nationale

Ampliations :

– Le Président de l’Assemblée Nationale Togolaise
– Le Président de la Cour Constitutionnelle du Togo
– Le Président de la République Française
– La Chancelière d’Allemagne
– Le Président des Etats Unis d’Amérique
– Le Président de la République du Faso
– Le Président du Conseil de l’Europe
– Le Président de la Commission Européenne
– Le Président du Parlement Européen
– Le Président de l’Assemblée Nationale Française
– Le Président en Exercice de l’Union Africaine
– Le Président de la Commission de l’Union Africaine
– La Commission des droits de l’Homme de l’Union Africaine
– Le Président de la Commission ACP/UE
– Toutes les Chancelleries
– Le Président d’AMNESTY INTERNATIONAL
– Le Président de la FIDH
– Le Président de Human Watch
– La Presse Nationale et Internationale.

 

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