Libreville, la capitale gabonaise, est verrouillée, et de violents affrontements ont éclaté depuis l’annonce mercredi des résultats de l’élection présidentielle contestée de samedi. Bien avant que les investigations sur les résultats ne commencent, Paris exige que le Président Ali Bongo remette le pouvoir à son candidat préféré, Jean Ping, dans cette ancienne colonie française riche en pétrole.
Les tensions politiques étaient vives avant l’annonce des résultats des élections ; des chars étaient dans les rues et de vastes zones de Libreville étaient désertées. Les habitants faisaient leurs provisions et rentraient directement chez eux après le travail, craignant des combats de rue.
Après l’annonce mercredi de la victoire de Bongo – il aurait reçu 49,8 pour cent, contre 48,2 pour cent pour Ping, ce qui suffit à lui assurer la victoire, selon la loi électorale gabonaise – des partisans de l’opposition ont affronté les forces de l’ordre. Ils ont brûlé l’Assemblée nationale mercredi soir.
Jeudi, le Parti socialiste (PS) en France a publié une déclaration publique exigeant carrément que Bongo cède le pouvoir à Ping.
« Voilà plus d’un demi-siècle que la famille Bongo gouverne le Gabon, » a-t-il déclaré. « Une alternance serait signe de bonne volonté et un exemple. »
Le clan Bongo – qui gouverne le Gabon en étroite collaboration avec l’impérialisme français depuis la prise du pouvoir en 1965 par Omar, le père d’Ali, après une intervention militaire française au Gabon contre Jean-Hilaire Aubame – s’est refusé de répondre à cette déclaration. Cependant, après l’incendie de l’Assemblée nationale, il a envoyé des troupes attaquer le quartier général de campagne de Ping et lancé une vague d’arrestations. Selon le ministre de l’Intérieur, Pacôme Moubelet-Boubeya, plus de 1000 personnes auraient été arrêtées. La situation au Gabon reste extrêmement instable ; des rapports contradictoires ressortent à propos des événements dans les principales villes du pays.
Les forces de l’ordre ont tué plusieurs personnes en donnant l’assaut au QG de Ping. Selon lui, 26 responsables y seraient toujours détenus, dont René Obiang, l’ancien secrétaire général adjoint du Parti démocratique gabonais (PDG) de Bongo, mais qui l’a quitté l’année dernière ; l’ancien vice-président gabonais, Didjob Divungui Di Ding ; et les dirigeants d’un parti d’opposition, l’Union nationale (UN), Zacharie Myboto et Paul-Marie Gondjout.
Ping, qui s’est réfugié à l’ambassade française avant l’annonce de la victoire de Bongo, tente de rallier le soutien de la presse et des milieux dirigeants en Europe.
Le Monde a publié un long entretien bienveillant avec Ping, qui compare la situation au Gabon à celle en Syrie, où l’OTAN arme des milices oppositionnelles afin de renverser le Président actuel, Bachar al-Assad. Interrogé pour savoir s’il était en sécurité, Ping a répondu : « Personne n’est plus en sécurité au Gabon. Nous avons un tyran qui tire sur sa population comme Al-Assad. Qui peut être en sécurité dans ces conditions ? Personne ! »
Ping a exigé que Bongo fasse recompter les voix sous surveillance internationale. Interrogé sur ses relations avec les autorités françaises, il a répondu : « Je fais tout pour avoir d’excellentes relations avec les Français de gauche comme de droite ».
L’avocat de Ping à Paris, Eric Moutet, a fait écho à ces remarques auprès des Échos : « M. Jean Ping réaffirme vigoureusement, en accord avec l’Union Européenne et les États-Unis, que le recomptage, bureau par bureau, devient le seul moyen de garantir désormais la loyauté du scrutin. »
En prétendant intervenir pour assurer la démocratie et l’alternance pacifique au Gabon, Paris commet une fraude réactionnaire. Le PS lance une opération impérialiste de changement de régime. Face à l’escalade des conflits au sein de la clique Bongo, il intervient afin de soutenir une faction dissidente du régime Bongo et de façonner ainsi une base plus stable pour sa domination de ce pays, qui est au cœur des dispositifs de la Françafrique.
On n’a qu’à regarder la carrière de Ping. Ce fils d’un homme d’affaires franco-chinois influent et d’une mère gabonaise est l’ancien beau-frère d’Ali Bongo, ayant marié, puis divorcé, la sœur d’Ali, Pascaline Bongo, qui a été le principal conseiller financier de son père Omar jusqu’à la mort de ce dernier en 2009.
Selon La Diplomatie, Ping aurait de vastes propriétés en France et en Côte-d’Ivoire, dont le président Laurent Gbagbo a été renversé par une intervention française en 2011, alors que la France lançait une vague de guerres néocoloniales en Afrique suite à la guerre de l’OTAN en Libye. Il dirige le cabinet de conseil Ping & Ping avec son fils.
Ping connaît bien les circuits financiers corrompus par lesquels l’industrie pétrolière et les partis bourgeois français ont pillé les richesses pétrolières du Gabon. Il a bénéficié de ce système, dans lequel une petite part des profits servait à acheter une minuscule clique autour de Bongo lui-même. Omar Bongo a amassé une fortune d’environ 450 millions d’euros ; sa mort a déclenché des combats acharnés entre ses enfants autour du partage de ses avoirs.
Entretemps, les conditions des masses au Gabon, dont l’économie produit plus de 10 000 dollars par habitant, ne sont pas très différentes de celles de pays africains subsahariens où les travailleurs et les paysans vivent de l’équivalent de quelques dollars par jour.
L’impérialisme français intervient non pas pour défendre la démocratie, mais pour préserver cet ordre social néocolonial. Paris a estimé que ses intérêts sont menacés non seulement par la montée du mécontentement social avec le régime Bongo, mais par les liens tissés entre ce régime et la Chine, dont l’influence est en pleine essor à travers l’Afrique.
Depuis l’arrivée d’Ali au pouvoir, le régime Bongo aurait récolté des dizaines de millions de dollars du constructeur chinois Sinohydro, qui a remporté des contrats clés au Gabon malgré l’influence traditionnelle des entreprises de construction françaises dans leur ancien « pré carré » africain.
L’intervention de Ping après les élections aura été préparée avec de hauts responsables français, qu’il a rencontrés à Paris en octobre dernier. Il a vu le première secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, le sénateur Jean-Pierre Cantegrit, la conseillère Afrique de François Hollande, Hélène Le Gal, le diplomate Jean-Christophe Belliard, et Ibrahima Diawadoh, et la conseillère Afrique du Premier ministre Manuel Valls.
Ping a collaboré étroitement avec le PS et avec le régime ivoirien installé par l’armée française en 2011. Jeune Afrique a publié des détails d’un appel téléphonique intercepté lundi entre Ping et un responsable ivoirien, Mamadi Diané, lors duquel les deux hommes ont discuté de comment déstabiliser Ali Bongo après les élections.
Diané : « Mon frère, comment va ? »
Ping : « Oui, j’ai reçu le papier, on va l’envoyer ».
Diané : « Non, non, il y a autre chose, plus important. Il faut que tu réussisses à avoir deux ou trois personnes de la commission électorale qui disent qu’il y a trop de tripatouillages et qui démissionnent. »
Ping: « Oui … »
Diané : «Tu comprends, ça va mettre la pagaille totale. Si on peut faire ça ce soir, ça va être extraordinaire ».
Ping : « OK, merci. »
Diané a dû démissionner après la publication de cet extrait de la conversation.
Stéphane Hugues et Alex Lantier
Article paru d’abord en anglais, WSWS
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