La France doit au moins 4000 milliards Cfa [6 milliards d’euro] aux pays africains

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La dernière réunion des ministres des Finances de la zone Franc à Dakar a été l’occasion pour les partisans et les détracteurs de cette monnaie commune de s’entredéchirer par presse interposée dans les faubourgs fleuris de la françafrique. Plutôt que de croiser le fer, nous leur demanderons de croiser les mots et les chiffres.

La conjoncture est plutôt favorable pour un espace qui va connaître cette année une croissance de 6% marquant le retour de la Côte d’Ivoire à la vie et au développement. Gardons-nous cependant de tout triomphalisme. La zone Franc est le grand corps malade de l’Afrique, évoluant moins vite que le Ghana, le Nigeria, le Mozambique, l’Angola ou encore les pays de l’Afrique de l’Est. Contrairement à ce que suggère le partage de l’appellation commune de leur monnaie, cette zone comprend virtuellement trois monnaies: le Franc de l’Afrique de l’Ouest et le Franc de l’Afrique Centrale. Auxquels il faut ajouter le Franc des Comores, soumis à la dérive des continents.

S’ajoutent à ces fractures monétaires, des politiques budgétaires souvent en contradiction du fait de l’absence de plan de convergence économique et de la multiplicité des barrières pour la fluidité des capitaux et des échanges. L’Europe a mis cinquante ans pour arriver à une monnaie. A son rythme actuel, la zone CFA mettra sans doute cinq cent ans pour parvenir à une gouvernance économique et à des critères de convergence.

Aussi, à nos économistes qui dénoncent une monnaie d’asservissement, il serait utile sans doute de rappeler que ce n’est pas la monnaie en elle-même qui pose problème. C’est encore une fois de plus notre volonté à faire sauter les verrous nécessaires à l’édification d’un marché intégré. C’est là où le Kenya, le Rwanda et l’EAC en général ont évolué plus vite que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et l’UEMOA en général. Ces pays anglophones manifestent une volonté de convergence attestée par des actes concrets et un agenda clair.

Tel ne semble pas être le cas de la zone CFA où l’heure est au copié collé des mesures d’austérité européennes. La proposition du premier ministre sénégalais, Abdoul Mbaye, de créer un fonds de stabilité (en a-t-on besoin quand on attend 6% de croissance ?) semble être tiré du naufrage chypriote ou de la tragédie grecque. Gardons-nous d’attirer sur les berges escarpées de Dakar une crise qui concerne avant tout le monde développé. L’Europe fera 0% de croissance cette année. L’Afrique en fera 5%. D’où un vocabulaire d’austérité qui souffle sur Bruxelles mais qui ne convient pas à Yaoundé.

Par contre, là où on rejoint monsieur le premier ministre, c’est quand il regrette la faible contribution du secteur bancaire (seulement 20% contre 77% au Maroc et 145% en Afrique du Sud) au financement de l’économie. Oui, les banques sont frileuses. Notre compagnonnage avec son éminence Abdoul Mbaye prend brusquement fin lorsqu’il feint d’oublier les vertus cardinales de sa profession première. Le rôle du banquier c’est d’abord de gérer le risque car, comme le disait l’autre, «toute banque est mortelle ». C’est aux Etats et, par devers eux, à la Banque centrale, de prendre les mesures nécessaires à l’assainissement du climat d’affaires, à la fluidité des démarches de création d’entreprise, à la sécurisation du fichier personnel des pays membres, et, in fine, à une bonne gestion des comptes publics. Les taux suivront forcément, à la baisse.

Certes, certains de nos banquiers, adeptes des taux olympiques (la moyenne des taux est de 18%), ont leur part de responsabilité, préférant comme toujours «gagner de l’argent bêtement qu’en perdre intelligemment ». Mais ne concédons aux banquiers pas toute la responsabilité. A l’Etat revient le pouvoir d’orientation et de sanction. Ces orientations nous semblent d’une urgence dramatique, encore plus importantes que la révision du rapport ombilical entre le Franc CFA et l’euro. Le poids de la Chine, premier partenaire commercial de la plupart de ces pays à l’exception du Sénégal, appellera sans doute nos gouvernements à refaire le bilan froid et dépassionné de l’arrimage à la zone euro.

En attendant, les passes d’armes se multiplient entre les économistes des deux bords. Certains voient mordicus, dans cette monnaie, un avantage accordé aux multinationales françaises pour investir dans la zone et rapatrier leurs gains sans avoir à gérer le risque de change. D’autres regrettent que des Etats souverains n’aient aucun contrôle sur leur politique de change et soient, de ce fait, suspendus à une BCE (Banque Centrale Européenne) où ils ne sont pas représentés.

Il y a encore, à l’opposé des deux premières thèses, ceux qui pensent que l’effet bénéfique de la monnaie CFA est d’éviter une balkanisation monétaire dans un continent qui compte quand même 40 monnaies. A cela, la voix des économistes membres de l’internationale socialiste réplique en se demandant le bien fondé d’une monnaie unique qui ne permet pas d’augmenter les flux commerciaux entre les pays membres. Les échanges sont en deçà de 15% dans les pays de l’UEMOA tournés vers l’Europe, destinataire de 60% de leurs export-import.

Dans leur élan, les partisans d’une rupture nette appellent de leurs vœux le divorce avec l’euro quitte à en payer le prix par une inflation, même à deux chiffres, bousculant au passage les conceptions classiques du FMI et de la Banque mondiale.

En dépit du talent oratoire indéniable de nos ministres des Finances, il y a deux chiffres qui collent au cerveau à la sortie de cette messe. D’abord celui là : 4000 milliards de FCFA. C’est le montant des réserves accumulées dans le compte CFA logé au Trésor français. Or, l’UEMOA a besoin uniquement de 2000 milliards de FCFA pour financer son programme régional. C’est là le point faible du Franc. L’immobilisation de ces 4000 milliards de FCFA dans le compte d’opération coûte cher aux économies de la zone et fausse le ratio d’endettement. Nous restons persuadés que, tout comme dans le cadre du marché financier régional, la notation des pays sur la base des critères de convergence, offre plus de garantie qu’un compte séquestre à taux zéro.

A quand donc les révisions des accords de la zone Franc ?

Adama Wade Les Afriques

Important tournant dans la lutte contre les fonds-vautours

Jusque-là les juridictions commerciales internationales ont donné raison aux fonds-vautours contre les Etats «débiteurs». La donne a changé depuis juillet 2012, nous explique Fall Aboubacar, docteur en droit, LL.M (Seattle), ancien Conseiller juridique principal de la BAD et membre du Conseil de gestion de la Facilité Africaine de soutien juridique.

Les Afriques : Les juridictions britanniques viennent de statuer en faveur d’un Etat africain dans le cadre d’un litige l’opposant à un fonds-vautour. Pouvez-vous revenir sur le contexte et le fond de ce jugement ?

Fall Aboubacar : Il faut tout d’abord rappeler que les fonds-vautours sont de nouveaux acteurs apparus sur la scène financière internationale à la faveur de l’expansion du marché secondaire de la dette. Les fonds-vautours sont des sociétés (ou parfois des boîtes aux lettres situées dans des paradis fiscaux) qui achètent des crédits souvent à des prix très bas, dans le but d’engager des poursuites contre le débiteur (en général, un Etat) pour l’obliger à rembourser intégralement la dette initiale. Le modus operandi est le suivant : En général, le fonds-vautour achète à un prix dérisoire la dette commerciale d’un Etat en difficulté financière, en particulier un pays pauvre très endetté (appelé PPTE) et refuse de participer aux négociations de restructuration de cette dette souveraine. Il initie ensuite une procédure judiciaire ou arbitrale pour réclamer le paiement du montant total de la dette initiale, à sa valeur nominale, en sus des intérêts et pénalités de retard.

Bien que moralement condamnable, le procédé est juridiquement inattaquable. Pour recouvrer sa créance, le fondsvautour a souvent recours à la saisie des biens et avoirs de l’Etat débiteur, par le biais des sociétés nationales assimilées à l’Etat débiteur dont elles sont «l’émanation». Ainsi, dans les affaires Kensington International LTD c/République du Congo et Walker International Holdings LTD C/ République du Congo, la Cour de Cassation française a jugé que la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) doit être assimilée à l’Etat, dès lors que :

– Son objectif social est «d’intervenir pour le compte de l’Etat»

– Qu’elle exerce une activité de service public pour l’exploitation et la commercialisation des hydrocarbures congolaises

– Qu’elle est sous la tutelle du ministre chargé des hydrocarbures et que, ce faisant, elle n’avait aucune réelle autonomie juridique et financière.

Le même raisonnement a été appliqué par la Cour de Cassation française pour justifier la saisie des biens et avoirs de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), opérée au titre de paiement de la dette de l’Etat du Cameroun à l’encontre d’un fonds-vautour.

Toutefois, le 17 juillet 2012, la décision rendue par la Cour d’Appel de Jersey dans l’affaire ayant opposé la République Démocratique du Congo (RDC) au fonds-vautours F.G. Hémisphère Associates LLC («la société Hémisphère») a redonné de l’espoir aux Etats débiteurs. En effet, la société Hemisphère avait racheté, par cession de droits, 2 sentences arbitrales rendues par la Chambre de Commerce Internationale (CCI) condamnant la RDC au paiement d’une créance résultant de contrats conclus par le régime du Président Mobutu avec la société yougoslave d’hydroélectricité Energoinvest D D. Le fonds-vautour a décidé de saisir les biens et avoirs de la Société générale des carrières et des mines (Gecamines) au motif qu’elle doit répondre des dettes de l’Etat, dont elle serait une émanation.

Le 27 octobre 2010, un jugement de la Cour Royale de la Grande Bretagne lui a donné raison et cette décision a été confirmée par la Cour d’Appel de Londres, le 14 juillet 2011. Mais, la Cour d’Appel de Jersey, saisie en second appel, a considéré ces décisions infondées et rejeté l’action de la société Hemisphère en se fondant sur ce que la Gecamines est une entité juridiquement et financièrement indépendante de l’Etat de la RDC, puisqu’elle possède des intérêts ou prises de participations dans plus de 30 sociétés conjointes (joint-ventures), son propre budget, sa propre comptabilité et qu’elle gère ses propres emprunts.

La Cour a rajouté que même si les biens de la Gécamines ont pu, parfois, être utilisés par l’Etat, cela n’enlève rien au fait que cette société est totalement séparée de l’Etat et ne doit, en aucun cas, lui être assimilée. Vous voyez donc que les Etats peuvent se prémunir, sous certaines conditions, contre la saisie de leurs biens et avoirs, surtout à l’étranger.

LA : D’aucuns, dans les milieux africains spécialisés, disent qu’il s’agit là de la première victoire de la Facilité juridique mise en place par la BAD pour assister les Etats africains? Qu’en est-il ?

F.B. : Deux remarques préliminaires, à cet égard. Tout d’abord, il faut rappeler que la Facilité Africaine de Soutien Juridique («la Facilité») a été créée pour assister les pays africains dans 3 domaines, à savoir la lutte contre les fonds-vautours, la négociation des contrats commerciaux complexes et le renforcement des capacités juridiques nationales et/ou régionales.

Il faut cependant noter que, bien qu’elle ait été à l’origine de la création de la Facilité, la lutte contre les fonds-vautours a enregistré, en 3 années d’existence de la Facilité, très peu de demandes d’assistance de la part des Etats. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Il s’agit, notamment :

-De la peur d’une mauvaise publicité pouvant affecter l’image et la crédibilité financière de l’Etat poursuivi par les fonds-vautours

-Du fait que certains Etats préfèrent conclure des moratoires de paiement hors toute procédure judiciaire, etc…

C’est la raison pour laquelle, nous considérons que la décision sus-évoquée, redue en faveur de la RDC, constitue une première victoire et pourra permettre aux Etats africains d’en tirer les leçons en termes de protection juridique de leurs biens et avoirs. La Facilité continue de faire de la lutte contre les fonds-vautours une de ses priorités. A cet égard, elle a reçu, récemment, une demande d’assistance d’un Etat de la région sud de l’Afrique qui est l’objet d’actions judiciaires pour un montant cumulé de près d’un milliard de dollars. La Facilité est en train d’assister ce pays, par le biais de cabinets juridiques spécialisés, afin d’aboutir à la négociation globale de cette dette par une remise substantielle à consentir par les créanciers et de permettre un paiement différé et échelonné du reliquat. Cette démarche permettra d’éviter les longues procédures judiciaires ou arbitrales et les saisies de biens et avoirs qui leur sont corrélées.

LA : L’Argentine a subi, à son tour, les foudres d’un fonds-vautour en voyant l’un de ses bâtiments de guerre arraisonné dans les eaux ghanéennes. Outre son caractère exceptionnel (saisie d’un navire militaire), cette affaire ne montre-t-elle pas toute la vulnérabilité des Etats du Sud face à ces fonds ?

F.B. : L’affaire ayant opposé la République d’Argentine («l’Argentine ») à la société NML Capital Limited (la société NML) est intéressante à plusieurs égards : Tout d’abord, elle a démontré que ce l’on appelle «l’économie charognard» (c’est-à-dire les actions stratégiques et juridiques des fonds-vautours), ne prospère pas seulement sur le terreau des Etats Africains, puisque le débiteur est, en l’espèce, l’Argentine, pays d’Amérique du Sud.

Ensuite, elle a donné lieu à une bataille juridique et judiciaire commencée à New-York (Etas Unis d’Amérique) en passant par Londres (Royaume Uni) et Accra (Ghana), et qui a connu son épilogue à Hambourg (Allemagne).

Voici les faits : en octobre 1994, l’Argentine a conclu, avec une banque domiciliée à New-York, un accord d’intermédiation financière par lequel elle a offert au public l’achat de Bons du Trésor. La société NML a acheté 2 séries de ces Bons du Trésor. A l’échéance du terme, l’Argentine n’a pas pu respecter ses engagements. La société NML (dont on dit qu’elle est un fonds-vautours) a alors assigné l’Argentine en paiement devant le Tribunal fédéral de New-York.

Malgré sa condamnation, l’Argentine ne s’est pas exécutée. Elle fut donc, à nouveau, assignée en paiement devant la High Court de Londres qui a confirmé la condamnation de l’Argentine à régler sa dette, à savoir les sommes suivantes : 284 184 632,30 USD au titre du principal et 48 095 940,91 USD au titre des intérêts Face à plusieurs mises en demeure restées infructueuses, la société NML a saisi le navire de guerre argentin «Ara Libertad» qui, le 1er Octobre 2012, est entré dans les eaux territoriales du Ghana.

La société NML a fondé la saisie du navire sur une clause figurant sur les Bons du Trésor par laquelle l’Argentine avait expressément renoncé à ses immunités de juridiction et d’exécution. C’est la raison pour laquelle la Haute Cour du Ghana a autorisé et validé la saisie. Mais, l’Argentine a finalement obtenu la main levée de la saisie et le départ du navire à la suite d’une action intentée devant le Tribunal International du droit de la mer siégeant à Hambourg (Allemagne). En effet, le 15 décembre 2012, ce Tribunal a fondé sa décision sur le fait que le navire de guerre est l’expression de la souveraineté de l’Etat dont il bat le pavillon et que, selon le droit international général, le navire de guerre jouit de l’immunité, y compris dans les eaux intérieures… Il est important de souligner que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur le bien fondé de la dette de l’Argentine (qui est une question sur laquelle il n’est pas compétent).

La morale de cette affaire est que si le navire Libertad avait été un navire de commerce ou un bien d’une autre nature, la saisie aurait abouti à une vente de ce bien. C’est le caractère de navire de guerre qui a empêché la saisie. L’on doit déduire de cette affaire que les Etats du sud ou Etats en développement doivent nécessairement renforcer leurs capacités juridiques lors de la conclusion des transactions commerciales et financières internationales. A défaut, ils s’exposent à subir la loi des fondsvautours et autres acteurs et spéculateurs de la finance internationale.

LA : Combien d’Etats africains sont-ils aujourd’hui exposés à ces fonds-vautours ? Y-a-t-il des mesures à prendre, en amont et en aval, pour éviter de tels raids ?

F.B. : Comme rappelé plus haut, il est difficile d’indiquer le nombre d’Etats africains en prise aux fonds-vautours. On peut cependant dire qu’il y en a beaucoup plus que ceux qui se sont manifestés, à ce jour. Il faut rappeler que le phénomène des fondsvautours trouve son origine dans :

– Une mauvaise gestion des finances publiques (c’est-à-dire des dettes commerciales contractées sans autorisation et sans respecter la moindre procédure d’emprunt prévue par la Constitution, une absence de suivi de la gestion de la dette etc…)

– Une mauvaise (ou absence totale) de négociation du contrat commercial dont les clauses essentielles ne sont pas comprises de l’Etat emprunteur.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du mandat d’assistance juridique qu’ils fournissent, les cabinets d’avocats ou conseils juridiques, recrutés par la Facilité pour le compte des Etats, s’engagent en outre à fournir un rapport de fin de mission relevant les erreurs techniques commises par l’Etat poursuivi par les fonds-vautours et indiquer les solutions destinées à les prévenir et/ou à les corriger.

En amont de la négociation d’un Accord de prêt, l’Etat doit constituer une solide équipe pluridisciplinaire intégrant, notamment, de l’expertise économique, juridique comptable et financière.

Il doit surtout éviter d’accepter :

– De renoncer à toutes ses immunités

– Que sa dette puisse être cédée (vendue) sans son accord préalable

– Que le droit applicable soit celui d’un système juridique qui ne lui est pas familier, et que la décision de choisir la juridiction compétente soit prise sans son accord, autant que faire se peut.

Propos recueillis par Adama Wade

 

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