Pour François Fillon, candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle de mai 2017 mais soupçonné de trafic d’influence, d’abus de biens sociaux et de détournement de fonds publics, “la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord” (déclaration faite le dimanche 28 août 2016, à Sablé-sur-Sarthe). Mais c’est quoi, la culture française? Est-ce la langue française que l’on nous obligea à parler et qui progressivement mangea les langues africaines (la fameuse glottophagie de Louis-Jean Calvet dans “Linguistique et colonialisme”) appelées dédaigneusement dialectes par le colonisateur alors que, de l’avis de François Amon d’Aby dans “La couronne aux enchères”, la langue de ce dernier pouvait prospérer chez nous sans tuer les nôtres? Et puis, quel était le but recherché par cette France tellement généreuse qu’elle était désireuse de faire partager sa culture? “Arracher les pitoyables tribus indigènes à l’atroce esclavage des démons tout en les protégeant contre l’exploitation des maîtres sans conscience”, lit-on dans l’encyclique “Maximum Illud” de 1919 du pape Benoît XV.
Difficile de savoir si les missionnaires ont vraiment réussi à empêcher les Noirs d’aller en enfer. Ce qui est certain, en revanche, c’est que nos masques et autres objets d’art nous furent arrachés, sous le prétexte qu’ils avaient quelque chose à voir avec le diable, puis se retrouvèrent dans des musées européens qu’on ne visite pas gratuitement. Il est tout autant indiscutable que l’Occident n’a jamais cessé d’opprimer et d’exploiter les Africains (et cela au nez et à la barbe des missionnaires) et que, bien souvent, ces “maîtres sans conscience” ont été soutenus par ceux qui, au nom du “Messie crucifié”, auraient dû se mettre du côté des exploités et des opprimés. Pour ne prendre que deux exemples, quel missionnaire européen ayant travaillé ou travaillant encore en Côte d’Ivoire a protesté contre le massacre des Ivoiriens en 2004 et en 2011 par l’armée française? Quel pape et quelle conférence épiscopale européenne a une fois dénoncé les crimes de la France en Afrique et son immixtion dans les affaires des Africains?
N’en déplaise au mari et ancien patron de Penelope, l’objectif de la France n’était point de faire partager sa culture mais de voler et de violer. Autrement dit, la colonisation fut “ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit” (Césaire). Certains feront remarquer que la France ne fut pas le seul pays à voler et à tuer et je ne peux que leur donner raison car l’Angleterre fut, elle aussi, une puissance colonisatrice mais les Anglais ne se contentèrent pas de prendre; ils construisirent et laissèrent quelque chose (ponts, routes, bâtiments, etc.) dans leurs anciennes colonies alors que tout ce que la France a fait et continue de faire en Afrique francophone, c’est piller et ramener chez elle tout le fruit de son pillage. Voilà pourquoi Aimé Césaire écrit: “Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires… Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production.”
L’ancien maire de Fort-de-France ajoute: “À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés. Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.”
L’auteur du “Discours sur le colonialisme” conclut: “On se targue d’abus supprimés. Moi aussi, je parle d’abus, mais pour dire qu’aux anciens – très réels – on en a superposé d’autres– très détestables. On me parle de tyrans locaux mis à la raison ; mais je constate qu’en général ils font très bon ménage avec les nouveaux et que, de ceux-ci aux anciens et vice-versa, il s’est établi, au détriment des peuples, un circuit de bons services et de complicité. On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification.”
Je ne sais pas si Emmanuel Macron a lu l’immense Césaire mais il est intéressant qu’il abonde dans le même sens que le poète martiniquais en qualifiant la colonisation française de barbarie et de crime contre l’humanité. Les Français d’aujourd’hui devraient avoir honte des actes barbares perpétrés par leurs ancêtres et présenter des excuses au lieu de persister dans un déni stupide et irrationnel. Il est temps que leurs dirigeants se débarrassent de la tunique de l’arrogance pour revêtir celle de l’humilité. Car c’est aussi à la capacité à faire son mea culpa quand on a commis telle ou telle faute qu’on reconnaît les grands hommes ou les grands peuples. Les Allemands demandèrent pardon à la Namibie le 10 juillet 2015 pour le génocide des peuples hereros et namas; les Anglais, au Kenya en 2013 pour la répression des Mau-Mau; la Belgique, à la République démocratique du Congo le 5 février 2002 pour son rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba; l’ONU au Rwanda en 1999 pour non-assistance à personnes en danger en 1994. Au nom et en vertu de quoi, la France ne s’excuserait-elle pas d’avoir exterminé des peuples qui ne faisaient que réclamer plus de justice et de liberté? Les Français seraient-ils plus intelligents et plus forts que les autres peuples qui les ont précédés sur le chemin de la repentance? “Présenter ses excuses, c’est purger l’Histoire pour construire le futur”, dit l’écologiste Yannick Jadot. Fillon, Juppé, Sarkozy, Hollande, Marine Le Pen, ne revendiquez pas seulement la Révolution française, la Déclaration universelle des droits de l’homme, Victor Hugo, Émile Zola, Jean Jaurès et autres grandes figures politiques et intellectuelles françaises! Assumez aussi le passé sombre et peu glorieux de votre pays! Cessez de parler des bienfaits de la colonisation car d’autres pourraient aussi suggérer que Hitler, en occupant la France, voulait faire partager la culture allemande et vous a fait du bien, ce qui risquerait de vous mettre en colère! Mettez de côté votre petit orgueil! Présentez vos excuses à tous les peuples que l’État français a martyrisés, méprisés et piétinés et vous ferez mentir Albert Camus qui disait que “la bêtise insiste toujours”.
Jean-Claude DJEREKE
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