Jean-Paul Dias a été membre de la direction du Parti démocratique sénégalais (PDS) de Maître Abdoulaye Wade, fondateur et premier directeur de publication du journal Sopi (changement) du PDS. Il sera Ministre de l’Intégration économique africaine, Président du Conseil des ministres de la CEDEAO, membre du Conseil des ministres de l’UMOA (devenue UEMOA), membre du Conseil des
ministres de la Zone franc, membre du Conseil des ministres ACP et CEE-ACP, Président du Conseil d’administration du Fonds de la CEDEAO (devenu la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO). Exclu du PDS par Maître Wade en 1993, il créera le Bloc des centristes Gaïndé (BCG) en 1996 dont il est le Président sous le titre de Premier secrétaire. Sous les couleurs du BCG il devient Conseiller municipal de la Ville de Dakar (1996 et 2009), Député (1998), Vice- Président de l’Assemblée nationale et Conseiller régional de Dakar (2009).
En avril 2006, le jour du Vendredi Saint, la Division des Investigations Criminelles (DIC) de la police sénégalaise le poursuivra jusque dans l’enceinte de la Cathédrale de Dakar où il assistait au Chemin de Croix afin de tenter de l’arrêter au motif qu’il aurait traité le Président Abdoulaye Wade de mécréant. Ce n’est qu’à la sortie de l’office qu’il sera interpellé, nuitamment relâché, suite au tollé populaire, puis à nouveau arrêté, le mardi suivant. Après trois semaines de prison, il sera libéré.
Dans une interview accordée au quotidien dakarois Walf Fadjri il parle de la situation en
Côte d’Ivoire.
Pour en venir à l’actualité internationale, quelle est la lecture que fait le politique mais aussi l’ancien diplomate, de la crise que vit la Côte d’Ivoire ?
Jean-Paul Dias : Je voudrais d’abord préciser que je connais Alassane Ouattara tout comme Laurent Gbagbo. Le premier au cours d’une visite officielle qui avait été dirigée en Côte d’Ivoire par le Premier ministre Habib Thiam, le second à l’occasion d’un voyage personnel dans un pays africain où nous étions tous les deux ensemble.
Du point de vue de l’ancien diplomate que je suis, je suis choqué de l’attitude de M. Choi, le représentant du secrétaire général des Nations unies. Il y a en diplomatie, à côté de la réciprocité, une règle élémentaire : c’est la non ingérence dans les affaires intérieures d’un pays. Lorsque les Nations unies sont venues en Côte d’Ivoire, c’était à la demande du gouvernement ivoirien, donc de Laurent Gbagbo directement ou indirectement. Ces gens-là (les Nations unies), entre autres missions puisqu’il y en avait d’autres, avaient une mission de certification. Mais certifier ne veut pas dire cautionner ou garantir ou valider quoi que ce soit. Certifier signifie dire si telle étape
ou telle autre s’est bien passée ou pas. L’Organisation des Nations unies, ce n’est pas la mère des Etats. C’est une association où un Etat adhère librement comme un Etat peut ne pas être membre des Nations unies et vivre. Un Etat est forcément souverain, indépendant et n’est pas sous tutelle.
Je ne discute pas de ce que le Conseil constitutionnel ou la Commission électorale indépendante (Cei) a bien fait ou pas. Mais en tout état de cause, M. Choi devait se limiter à rendre compte à son patron et ne devait pas faire une déclaration pour dire que le président Gbagbo n’est pas élu, que c’est un autre qui est élu. C’est contraire à toutes les règles élémentaires mises en place depuis la convention de Vienne.
Donc, je dénonce son attitude.
D’autre part, si nous parlons toujours des Nations unies, des élections se sont passées partout ailleurs. Par exemple, il y a seulement quinze jours, des élections se sont passées en Biélorussie, un des Etats de l’ancienne fédération soviétique, et ça a été truqué. Le même soir des élections, il y a eu de la violence avec des morts. Tous les leaders de l’opposition ont été mis en prison et ne sont pas libérés jusqu’à l’heure où je vous parle. Et où sont les Nations unies ? Il y a eu en Birmanie des élections complètement ubuesques. Avec une femme, leader de l’opposition qui est un prix Nobel, qui est empêchée de sortir de chez elle, empêchée d’être candidate, etc. Où
étaient les Nations unies ? Alors, il faut qu’on arrête de prendre les Africains pour des
enfants. Je condamne l’attitude de M. Choi ainsi que de l’Onuci qui est la structure mise en place pour ces affaires-là. Même si la Cedeao a subi une mue pour devenir une sorte de commission, son rôle, c’est de travailler au développement économique d’abord de la sous-région et à l’intégration de nos économies. Ce n’est pas de jouer le rôle de gendarme de la sous-région.
Que reprochez-vous alors à l’Onuci ?
L’Onuci dispose d’une radio qui fait un travail de “Radio mille collines” à Abidjan. Elle a récemment mis sur des plates-formes (des éléments que tirent les camions) plusieurs conteneurs et personne ne sait ce qu’il y a à l’intérieur de ces conteneurs pour les acheminer à l’hôtel du Golf (quartier général de Ouattara). Il a fallu que la population s’interpose pour qu’ils rebroussent chemin. Mais qu’est-ce que c’est que ces Nations unies-là ? Ça commence à dépasser l’entendement parce que les Nations unies, on en a besoin quand, par exemple, un homme comme Abdoulaye
Wade trafique la Constitution, le code électoral, etc., pour faire pression sur lui.
Aujourd’hui, on vous dit que tous les jours les Nations unies alimentent l’Hôtel du Golf par hélicoptère. Mais Gbagbo est naïf parce qu’il ne sait pas ce qui vient par hélicoptère et qui descend à l’hôtel du Golf. A sa place, je ne laisserais pas faire.
L’ambassade de la Côte d’Ivoire en France a été envahie. Les gens qui ont fait faire ou laissé faire disent avoir été saisis par des autorités légitimes de Côte d’Ivoire. Or en droit public international, la notion d’autorité légitime n’existe pas. Il y a des autorités officielles ou il n’y en a pas.
En outre, dans le cas de l’avion, c’est totalement illégal de le retenir puisqu’il était en révision.
Quelles que soient les autorités qui peuvent le réclamer, sa base, c’est Abidjan et il doit retourner à Abidjan. Si j’étais Gbagbo, j’allais porter plainte devant les tribunaux français.
Pour ce qui concerne la Cedeao, j’ai été président du Conseil des ministres de la Cedeao donc je sais de quoi je parle. Même si la Cedeao a subi une mue pour devenir une sorte de commission, sa mission demeure la même. Son rôle, c’est de travailler au développement économique, d’abord de la sous-région, ensuite à l’intégration de nos économies. Ce n’est pas de jouer le rôle de gendarme de la sous-région ni de dire à un chef d’Etat si vous ne quittez pas le pouvoir, je vais vous
envoyer des troupes.
Quand le président Tandja du Niger a supprimé le Conseil constitutionnel et a organisé un référendum pour proroger son mandat, mis en prison des opposants, est-ce que la Cedeao avait décidé de lui envoyer des troupes ?
Certaines choses ressemblent à du mépris, or la Côte d’Ivoire est un Etat phare dans la sous-région. Elle est membre fondateur de la Cedeao, donc on n’a pas le droit de se leurrer. On l’a déjà suspendue, mais ça suffit. Ils n’ont pas le droit de venir dire à son chef d’Etat ou vous partez ou on vous envoie des troupes. Dans les cas où la Cedeao a expérimenté l’envoi de troupes à travers l’Ecomog (Liberia,
Sierra Leone, Guinée-Bissau), l’expédition a toujours tourné à l’échec. Même si on considère que le cas libérien a été un bon exemple, il a fallu une occupation de cinq ans pour arriver à un semblant de démocratie.
De toute façon, le Bcg et moi-même, nous insistons pour que le contingent du Sénégal dans les troupes de l’Onuci rentre. Et surtout, si la Cedeao devait envoyer des troupes, que les Sénégalais n’en fassent pas partie.
Selon vous, quelle est la meilleure voie pour régler cette crise ?
Que la Cedeao engage des actions diplomatiques, comme on le fait partout. D’après les informations que j’ai de l’intérieur de la Cedeao, à l’heure où je parle, les présidents Yayi Boni du Bénin, Pires du Cap Vert et celui de la Sierra Leone ne vont pas demander à Gbagbo de quitter le pouvoir. Ils vont essayer de faire de la diplomatie, donc négocier. Parce qu’il est insultant de dire à un chef d’Etat de
quitter le pouvoir. Même quand des chefs d’Etat ont fait des coups d’Etat, jamais on est venu leur dire de quitter le pouvoir. Le premier responsable de tout ça, c’est le président Houphouët-Boigny, paix à son âme.
En quoi serait-il responsable de ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire ?
Il est responsable de cette situation parce qu’il avait une telle phobie du coup d’Etat qu’il n’a pas armé l’armée ivoirienne. Ce qui fait que lorsque l’armée ivoirienne a fait l’objet d’une attaque par invasion, parce que c’est ce qui s’est passé, elle n’a pas su réagir correctement. Simplement parce que Houphouët avait une peur bleue d’une armée qui avait des armes. Ensuite, vers la fin de ses jours, il passait six à huit mois en France ou à Genève et ne dirigeait pas la Côte d’Ivoire. Il a cherché quelqu’un qui, selon lui, n’était pas en mesure de lui prendre le pouvoir et il l’a mis là. Et c’était Ouattara. Alors qu’il était malade, Houphouët aurait dû avoir le courage de dire : je suis vieux, j’ai fait mon temps, j’organise des élections claires puisque je ne peux plus diriger. Et celui qui gagne gère les destinées du pays. C’est ce que nous disons aussi à Wade. Voilà pourquoi je dis qu’Houphouët est responsable. Et il y a d’autres éléments de responsabilité sur lesquels je ne peux pas m’épancher. Le président Compaoré s’est aussi discrédité comme médiateur. J’observe d’ailleurs qu’il ne fait pas partie des trois délégués de la Cedeao à Abidjan. Il a eu plusieurs années pour régler cette crise, mais n’a pas été capable de le faire. Même s’il n’a pas une responsabilité visible dans la crise, il a une responsabilité indirecte parce qu’il a échoué.
Concernant la Bceao, j’ai été membre du Conseil des ministres de l’Uemoa, donc je sais de quoi je parle. On n’a jamais vu, même dans les cas les plus compliqués des pays où il y avait des coups d’Etat, la Bceao fermer des robinets de financements à ces pays. L’exemple du Niger avec Tandja en est un. Par ailleurs, la-non reconnaissance de signature du camp Gbagbo est intervenue à la suite
d’un Conseil des ministres. Ce faisant, le Conseil des ministres a outrepassé ses attributions et prérogatives. Parce que même si ce type de suspension devait arriver dans une telle situation conflictuelle, seul le sommet des chefs d’Etat aurait pu être compétent.
Par ailleurs, ce n’est pas à partir de la Bceao que les salaires des fonctionnaires ivoiriens sont payés, mais bien à partir du Trésor public ivoirien qui le fait avec les recettes douanières, fiscales, etc. Et il est assez riche pour s’acquitter de cette tâche pendant plusieurs mois. Parce que la Côte d’Ivoire est un pays qui, à lui seul, n’est pas loin de faire la moitié de la Bceao. Elle fait au moins 40 % de la Bceao. Ce que l’on veut faire, c’est-à-dire couper les vivres à Gbagbo, on ne le réussira pas.
Pourquoi la Bceao et la communauté internationale ne le réussiront-elles pas ?
Parce que c’est le peuple ivoirien que l’on va atteindre et non Laurent Gbagbo. Mais aussi la Côte d’Ivoire, ce n’est pas un pays du Sahel comme le Sénégal. C’est un pays qui, à l’heure actuelle, aurait dû faire partie des pays émergents. Je ne suis pas un conseiller de Gbagbo, je ne suis même pas un consultant auprès de lui. Mais si c’était moi qui lui donnais les idées, je vous garantie que tout cela ne se produirait pas.
C’est quoi votre solution ?
On aurait dû, dès le départ, organiser d’abord les élections législatives et tester en même temps la Cei. On ne l’a pas fait avec le fétichisme de l’élection présidentielle. Ensuite, peut-être qu’il fallait décider que Gbagbo, Bédié et Ouattara ne puissent pas se présenter, comme on l’a fait en Guinée. C’était antidémocratique, mais c’est politique. Il ne faut pas que l’avenir de la Côte d’Ivoire dépende uniquement de Ouattara, Gbagbo et Bédié. Et si on avait fait la même chose qu’en Guinée, peut-être
qu’on n’en serait pas là aujourd’hui. Mais ce qui est fait est fait. Aujourd’hui, de mon point de vue, il faut un système de règlement politique et non militaire. Parce que si on essaie le règlement militaire, il y aura des débordements que nous n’arriverons pas à gérer. Imaginer que le Côte d’Ivoire décide de renvoyer tous les Burkinabé chez eux, ils sont 3 millions, les Maliens 2 millions, etc.
In Walf Fadjri