Lynx.info : Vous aviez au MoLiTo une idée sur les objectifs finaux du FRAC et de Jean-Pierre Fabre ?
Kofi Alouda : Pour nous, il va de soi que l’objectif du FRAC et de Jean-Pierre Fabre est l’alternance afin d’offrir une alternative à notre pays. Personnellement, je ne pense pas que ce soit opportun d’en douter. Cependant, comme nous, beaucoup de togolais émettent des réserves plus ou moins sérieuses sur la méthode et le discours.
En collaboration avec CMAF-Togo implanté aux USA, nous avons fait des propositions dès les mois qui ont suivi la mascarade présidentielle du 04 mars 2010. Sans sous-estimer les difficultés du terrain, nous n’avons pas pu voir un signe notable de leur prise en compte.
Pour ce qui nous concerne, nous pensons qu’il y ait besoin d’un discours innovant et rassurant, allant dans le sens du rassemblement de tous nos concitoyens de toutes régions, et ce, dans une meilleure posture de leadership empreint d’humilité. Ce discours doit s’appuyer sur une vision nouvelle du Togo et une présentation convaincante de sa réalisation, étayée par la connaissance profonde des dysfonctionnements actuels comme des moyens, bien réels, dont dispose le pays.
Lynx.info : Comment expliquez-vous que Faure ne se sente toujours pas menacé avec les marches depuis plus de un an ?
Permettez-moi de vous dire que j’aime bien cette question.
Pour moi c’est le fait d’un sentiment de retard politique de l’opposition togolaise. Il y a une impression diffuse de méprise qui perdure de la part de cette opposition.
Voyons, si celui qui est au pouvoir a l’impression que ceux qui convoitent ce pouvoir ne savent réellement pas ce à quoi ils ont affaire, que ces derniers ne mesurent pas ses forces et ses soutiens secrets, alors comment voulez-vous que celui qui est assis sur le fauteuil les prenne au sérieux ? Comment voulez vous qu’il s’inquiète de concurrents qui donnent l’impression de ne pas savoir la nature ni la taille de l’obstacle qu’ils devraient franchir pour s’emparer du titre ?
Les leaders politiques qui ont pris la relève aux lendemains de l’indépendance nominale ont manifestement cru que c’était gagné, surtout que cette indépendance a été obtenue de haute lutte démocratique dans le cas du Togo. Mais ensuite, il y a eu les différents coups d’Etat, l’avènement d’Eyadèma et du parti unique, etc. Pour notre opposition, c’est comme si nous étions toujours indépendants et que tout cela n’était que péripéties totalement internes qu’ils allaient pouvoir régler « rapidement ». Ils n’ont jamais donné l’impression d’avoir suffisamment compris qu’il y avait une gigantesque conspiration extérieure contre toute l’Afrique, justifiée par des enjeux tous aussi énormes. Le Togo n’étant qu’un cas, avec les méthodes que les conspirateurs lui ont choisies parmi tant d’autres appliquées dans la partie « francophone » où l’emprise est particulièrement forte.
Après la fin supposée du parti unique dans les années 90, ils se sont alors engagés dans des compétitions électorales dans un cadre également supposé démocratique. Supposé seulement, car la réalité de la démocratie voire du multipartisme est bien toute autre. Même les projets de société sont, à quelques très rares exceptions près, restés au second plan, que ce soit pour l’opposition ou pour le pouvoir en place d’ailleurs.
Ces difficultés d’appréhension ne sont pas propres à la classe politique togolaise, mais le cas du Togo nous semble parmi les plus désolants. La nature du régime installé en a été sans aucun doute pour quelque chose.
Lynx.info : Beaucoup de Togolais ne connaissent pas le MoLiTo. Vous en êtes conscient ? Que faites-vous pour que le mouvement ait une base au Togo ?
Nous en sommes tout à fait conscients. Dès l’origine nous ne nous attendions pas à une adhésion rapide et massive à notre vision et à notre posture qui tranchent avec les perceptions courantes. Notre compréhension du monde dans lequel nous vivons est en rupture avec celle que le citoyen « ordinaire » a intégrée malgré lui du fait de la manipulation orchestrée par les «grands » médias caporalisés.
Mais notre règle d’or est le travail dans la patience. Et nous avons confiance. D’ailleurs, même si notre mouvement en tant que tel n’est pas présent dans le plus grand nombre d’esprits, nos idées elles gagnent, car MoLiTo n’est fort heureusement pas la seule organisation dans cette dynamique. Vous avez par exemple la J.U.D.A, Pyramid Of Yeweh et bien d’autres organisations ou patriotes individuels. Ainsi, « les petits ruisseaux feront une grande rivière » et le contexte semble relativement favorable.
Notre objectif est bien sûr le pays, la présence et la diffusion sur place de nos idées. Nous nous y préparons. Mais en attendant, il y a aussi du travail à faire dans la diaspora. Avec l’Internet et grâce aux médias comme Le Lynx, nous pouvons également atteindre à partir d’ici, une frange de citoyens au Togo, notamment la jeunesse, en attendant mieux.
Lynx.info : Pour beaucoup de mouvements et de partis politiques, Faure doit partir. Le MoLiTo se situe aussi dans cette logique ? Et pourquoi ?
Oui, Faure Gnassingbé doit partir car il n’est pas élu par le peuple. De ce fait, il ne peut avoir les mains libres pour servir les intérêts du pays, même s’il en avait l’envie et la volonté. Ce n’est pas la personne de Faure Gnassingbé qui pose problème, car c’est un togolais comme tout autre qui a aussi le droit de se porter candidat à la présidence. Je me permets de vous faire partager une confidence qui n’est qu’un secret de Polichinelle : en 2009, alors que j’étais en pré – campagne dans la région de la Kara pour le compte du mouvement Sursaut Togo, une autorité coutumière locale qui, en aparté, affirme comprendre et partager les idées de Sursaut Togo, m’informe cependant que quoique nous fassions, Faure restera président parce que ce sont les « Anassayi » (les Blancs) qui l’ont décidé. La personne précise qu’elle tient l’information d’un officier supérieur de l’armée qui l’a entretenue expressément à ce sujet.
Il faudrait donc que Faure Gnassingbé parte pour le respect dû à la voix du peuple. Cependant, nous pensons que la meilleure façon de partir passerait par une sorte de conférence nationale bis, qui permettrait d’organiser la relève du pouvoir au Togo dans les meilleures conditions. S’il convoque lui-même cette conférence, ce serait à son honneur, mais nous ne rêvons pas…
Nous tenons à souligner que notre organisation n’est pas elle-même dans une dynamique de prise et d’exercice du pouvoir, autrement c’est un parti politique que nous aurions créé. Pas parce que nous en avons peur d’exercer ce pouvoir, mais du fait que la libération du peuple des mains des mafias militaro affairistes et négrophobes étrangères prime d’abord. La compétition pour le pouvoir a été un des freins les plus sérieux à la réussite de cette libération. Nos politiciens ont jusqu’alors voulu de manière solitaire, s’approprier en quelque sorte la peau du loup avant de l’avoir abattu.
Lynx.info : Merci Mr Kofi Alouda
C’est moi qui vous remercie pour l’intérêt porté à notre mouvement et tiens à vous féliciter pour votre professionnalisme.
Interview réalisée par Camus Ali