ll ne l’aura pas démérité!
Le Bénin enterre, cette semaine, un des fils du continent qui peuvent revendiquer une place sur les pages glorieuses de l’histoire d’Afrique : Mathieu Kérékou. Il a désormais valeur d’exemple. Pour la simple raison qu’il fut l’un des rares chefs d’état africains à comprendre qu’aucune condition humaine ne peut être éternelle. Dans cette Afrique où la plupart des dirigeants, mus par l’idolâtrie de l’argent public qu’ils amassent sans retenue sont devenus, certains des loups cruels et d’autres de vulgaires pyromanes, il est nécessaire que le legs moral de Kérékou s’étende, et même s’impose, pour devenir une charte continentale irréversible ?
Fervent adepte du marxisme-léninisme, le général putschiste Mathieu Kérékou s’etait anamorphosé en sage absolu, en sage ultime. Du dictateur marxiste, il était devenu un grand démocrate pluraliste, un peu Dumbledore, un peu Severus Snape, figures à la fois honnies et adorées d’Harry Potter. Il a réconcilié une nation, lui a révélé sa grandeur de laboratoire de la démocratie en Afrique francophone. Par les temps qui courent où l’épidémie des “troisième mandats” se répand comme une trainée de poudre, Kérékou devient un héros, un grand homme d’état qui doit inspirer les partisans éhontés des “démocraties de partis uniques”.
Kérékou a changé le destin de son peuple. Après avoir soumis, au nom de la république populaire socialiste du Bénin, sa création, ses opposants aux enfers de l’exil ou de la prison. Mais il avait fini par comprendre qu’il était un mortel et non un demi-dieu, un Béninois comme les autres et non un super homme craint et vénéré. La sage avait compris que le seul remède qui peut sauver le continent noir du naufrage des guerres civiles et des coups d’état c’est-à-dire la solution principale pour chacun de ses pays essentiellement fondés sur des valeurs tribales, reste le principe d’une démocratie alternante qui suppose l’acceptation de l’autre, la cohabitation harmonieuse des différences politiques. Maintenant il est parti. En paix. Dans son propre pays et non en terre d’exil, suscitant une cascade d’apologies partout en Afrique. Les femmes et les hommes du Bénin, en jetant un regard sur le marécage boueux et puant dans lequel baignent leurs voisins de l’ouest, doivent se sentir redevable à l’illustre disparu, le père de leur démocratie. Le Commandeur restera dans l’imaginaire de tous les Béninois, de tous les Africains.
En effet, après deux mandats présidentiels, il s’est retiré. Est-il un modèle? Il ne l’aura pas démérité! Surtout lorsqu’on le mesure à l’aune de certains de ses pairs, notamment le général Eyadéma, qui n’ont pas lésiné sur les moyens pour mettre à feu et à sang leur propre pays dans le but de conserver le pouvoir. Aujourd’hui, pour les hommes politiques béninois comme pour les citoyens lambda du continent noir, le nom de l’illustre disparu peut sonner comme un nom commun. Qu’est-ce que c’est un (e) Kérékou ? Rien d’autre que la modestie et l’humilité, la grandeur d’esprit et l’effacement de soi. Des valeurs qui concourent au respect, par les dirigeants, des espaces de liberté et de démocratie de leurs peuples.
Vivre une vie paisible d’ancien président de la république, mourir d’une mort digne, parmi les siens, n’est-ce pas plus agréable et plus honorable que les comptes gonflés d’argent volé déposés dans les pays du Golfe? D’ailleurs, au palmarès de l’intégrité, ce Prince des monts de Kouarfa non loin de Natitingou manque sincèrement de concurrents. Les balances comparatives sont délicates à manier.
Le Grand Kérékou, un fier Africain, n’avait nullement senti le besoin de se faire ériger châteaux et appartements luxueux dans Paris ou ailleurs en Europe. Sans doute qu’après avoir conduit d’une main de fer pendant 19 ans son pays vers les abords de la désespérance, sa modestie s’est développée sans faux- semblant. Son Patriotisme était nu, son discours mesuré, sans litote. Durant ses deux mandats post-conférence nationale, Kérékou tirait la légitimité de son pouvoir et sa popularité de son peuple et non d’aucune capitale occidentale. Il n’avait pas cherché à manipuler l’opinion avec l’organisation d’un simulacre de référendum en vue d’obtenir de son peuple – un peuple imaginaire bien entendu – un OUI fictif qui lui accorde un troisième mandat. Quand on dit souvent qu’un seul homme, dans une nation désespérée, peut faire la différence, Kérékou est un bel exemple.
L’homme qui sait céder la place s’en va. Laissant derrière lui un Bénin en paix, une démocratie et des institutions en pleine croissance qui se perfectionnent non pas au quartier général du parti au pouvoir ou, moins encore, au camp militaire mais à l’Assemblée Nationale. Cette fois-ci, le caméléon tire sa révérence. Définitivement. C’est triste! Alors que l’Afrique a plus que grand besoin d’un nombre croissant d’anciens présidents de la trempe de celui que le Bénin entier pleure, force est de constater, douloureusement, que le continent n’a à la place du désormais célèbre Kérékou, que de lugubres Adolf noirs accrochés de toutes leurs forces au pouvoir. C’est doublement triste!
Kodjo Epou
Washington DC
USA
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