Dans la soi-disant controverse au sujet de la confirmation de Brennan en tant que directeur de la CIA, il est une évidence qui saute aux yeux, que tout le monde fait semblant d’ignorer, et elle concerne la CIA elle-même. L’énorme quantité de preuves de torture (sous la désignation impersonnelle, E.I.T (NDT : Enhanced interrogation techniques) devrait, si les règles démocratiques étaient véritablement appliquées aux États-Unis, exiger l’éradication complète de la CIA des structures américaines et des pratiques gouvernementales.
La raison du secret qui entoure les opérations est que ces opérations ne supportent pas d’être exposées au grand jour. Le renseignement, la cryptographie, toutes choses alliant la politisation des réactions émotionnelles aux drones équipés pour des assassinats ciblés, avec les transferts clandestins de prisonniers, les prisons secrètes (« les trous noirs »), les subventions aux groupes fascistes locaux servant à briser les manifestations (mon expérience avec les grands rassemblements anti-guerre à Detroit pendant la guerre du Vietnam), le tout baignant dans une lourde atmosphère où la cruauté et le sadisme sont portés à un niveau ne tenant absolument aucun compte des contraintes qu’impose un comportement civilisé.
Nous honorons l’assassinat politique comme police d’assurance pour la sécurisation de la patrie, ainsi que ceux qui en sont les instigateurs, nobles guerriers sur les lignes de front de la justice. Brennan est l’homme qu’il faut pour diriger tout cela. Il va «corriger» les erreurs du passé, c’est à dire les rendre moins faciles à détecter. Le secret est son armure ainsi que celui d’Obama, impénétrable, digne du culte de la National Security State et de ses ambitions hégémoniques démesurées. En un sens, l’assassinat ciblé se fait au moins au grand jour, alors que la déstabilisation de sociétés et de gouvernements tenus pour être des ennemis de l’Amérique, le Venezuela étant un cas pas si éloigné, fait partie du fonds de commerce de la CIA. Sous l’ère Obama, l’Agence, avec le JSOC, a son impresario, ses pom-pom girls, et désormais ses conseillers tactiques, le tout en une sorte de Tout-en-un.
Se baser sur l’argument selon lequel seul un bandit peut coincer un autre bandit, ou l’argument que Brennan est un vrai dur avec son quart de siècle au service à la CIA, pour dire que sa présence sera inestimable pour réaliser le travail, s’apparente à de l’humour noir mené à son paroxysme, compte tenu de son palmarès propre (du moins par sa prudente valorisation de déni quand il s’agit de simulation de noyade et de toute la gamme des brutalités inhumaines). Chuchoter à l’oreille du président la meilleure façon de faire monter la violence contre les « ennemis » (essentiellement auto-créés) de l’Amérique , destine ce Duo Dynamique, étant donné qu’on va vers l’institutionnalisation du programme des drones, à la perpétuation de la Forteresse Amérique, se créant plus d’ennemis, plus d’interventions, plus de surveillance à l’intérieur, plus d’opérations paramilitaires, toutes choses rentrant dans le cadre de ce que j’ai appelé dans un précédent article, le fascisme libéral, parce qu’emballées dans des expressions rassurantes de paix, de justice et des vertus du marché.
Comme je vois la situation, il semble que l’un ne peut exister sans l’autre. D’un côté Barack Obama, un novice dans la perpétration de crimes de guerre, dépendant de Brennan pour les tenants et les aboutissants de leur exécution et l’élargissement de leur champ d’application, et de l’autre Brennan, totalement dépourvu de pouvoir, mais maintenant, légitimé par POTUS (NDT : President of the United States), pour la traduction en action.
Ainsi, Obama, en bon élève qui apprend très vite dans les arcanes du pouvoir (au pluriel, parce qu’on ne peut plus ignorer le rôle de l’armée au niveau le plus élevé des décisions politico-économiques), a atteint un niveau bien au-delà de son intelligence, sa formation et ses capacités de compréhension. Il est devenu tout d’un coup, avec la doctrine «pivot» qui consiste en un redéploiement massif vers l’Extrême-Orient, un Neo-Con, un va-t-en-guerre, avec des idées de droite en vrac attendant d’être articulées pour être mises en forme, s’appuyant sur une gigantesque force navale, des alliances de défense, des manœuvres conjointes, des mouvements de troupes , de nouvelles armes en cours de fabrication. Son principal objectif est de contrer la Chine, dans une sorte de remake de guerre froide, dans laquelle, se dessinent une vision et une stratégie géopolitiques nouvelles concernant le Pacifique dans le but de contenir et d’isoler la Chine, pour affaiblir ses investissements et son commerce en Afrique et en Amérique Latine, et de l’éliminer en tant qu’obstacle à la quête unilatérale américaine de domination mondiale
[Mon commentaire du 7 Mars sur NYT : Serial arsonist to quell 5-alarm fire.]:
Si, comme je le crois, la CIA est un cancer intégré au sein du gouvernement américain, la «réformer» servirait-il à quelque chose, ou doit-elle être extirpée pour conserver la démocratie? Brennan, le nouveau directeur (la confirmation est claire, étant donné que les deux parties s’accordent précisément sur la nécessité de l’IET et des drones armés pour les assassinats ciblés), c’est comme envoyer un pyromane en série pour étouffer un feu de de très grande ampleur. La décision d’Obama de le nommer en dit long sur ses propres penchants fascistes et sa volonté de violer le droit international – Brennan et son vaste élargissement de la campagne d’assassinat sous Bush, et l’accroissement du secret pour ce programme, et probablement toutes les questions au sommet de la sécurité nationale.
Pourquoi tant de secret, à l’extrême? Pour masquer les crimes de guerre. Ni plus ni moins. Placer Brennan à la CIA ne vise qu’un seul objectif, amplifier et attacher une plus grande importance à la doctrine militaire d’Obama: en plus des drones (et assassinats), un accroissement encore plus important des opérations paramilitaires. Obama + Brennan = la doctrine et la mise en place de la guerre permanente.
Norman Pollack
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Norman Pollack est l’auteur de “The Populist Response to Industrial America” (Harvard) et “The Just Polity” (Illinois). Il est Guggenheim Fellow, et professeur émérite d’Histoire à Michigan State University.
Traduction : Avic